jeudi 30 octobre 2014

L'art brut


L’art brut
Edito                                                          


Jean Dubuffet créa en 1945 le concept d’art brut pour désigner les « ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique ».
Les artistes « de l’art brut » sont souvent des marginaux sans formation artistique spécifique. Ils sont dans l’irrationnel, le rêve ou le cauchemar. Par opposition aux artistes académiques, ils méconnaissent les codes et les grands principes des Beaux-arts.
Ils s’inspirent de leurs univers, récupèrent des objets et des matériaux afin de produire des créations propres à leurs environnements. La plupart d’entre eux créent ou ont créé du fond de leur prison, de leur hôpital, ou de leur grenier. Ils n’ont aucune conscience d’être artiste et pourtant ils ont une production artistique intense. Néanmoins, plusieurs de ces artistes ont connu une reconnaissance de leur vivant. (Clémence Pujo, Camille Renard)

Jean Dubuffet, père de l’art Brut                                   
Jean Dubuffet (1901-1985) est un peintre, sculpteur, lithographe. Après son baccalauréat, il étudie à l’Académie Julian, travaille ensuite comme dessinateur technique à Buenos Aires. Il finit par rejoindre l’affaire paternelle en 1925, une pause dans ses ambitions artistiques qui durera 8 ans. En 1945, il recherche des peintures réalisées par des enfants et des patients psychiatriques, qu’il définira comme de l’ « art brut ». Il s’intéresse à l’impulsion spontanée de ces manifestations artistiques. Deux ans plus tard, Jean Dubuffet fonde la Société de l’Art Brut. Dans ses débuts, il expérimente la matière, les objets quotidiens, la boue, et explore la banalité. De 1962 jusqu’à 1974, il travaille sur le cycle de l’ Hourloupe. Il applique en peinture, sur des panneaux, et en sculpture, des graphismes sinueux. Il utilise principalement du bleu et du rouge, et joue avec les vides blancs. Qualifié d’insoumis, Dubuffet développe un univers graphique, pseudo-naïf et primitif, qui conteste les modes artistiques.
En 1973, dans un spectacle intitulé Coucou Bazar au Grand Palais, l’artiste anime ses personnages détachés des peintures, créés sous le coup du hasard. Il explique cette performance comme un «intermédiaire entre la peinture et le théâtre». (Yan Huang)
Hourloupe 
Le Barbouillé, 1955, Dubuffet 
La collection de l’art brut de Lausanne                                     

En 1971, Jean Dubuffet offre à la ville de Lausanne sa collection d’Art Brut. A cette date, il a réunit 133 artistes. La Collection de l’Art Brut de Lausanne s’enrichit sans cesse. Aujourd’hui, l’exposition permanente accueille près de 700 œuvres de 400 artistes.
Pour recevoir la donation de Jean Dubuffet, la ville de Lausanne a proposé dix lieux d’exposition potentielle. Le château de Beaulieu sera sélectionné. Il s’agit d’une demeure patricienne datant du XVIIIème siècle. Il s’agissait, lorsqu’il fut érigé par le pasteur Gabriel-Jean-Henri Mingard, du plus ample bâtiment de la commune.
Afin d’accueillir la collection d’Art Brut, la réalisation des travaux commença en 1974. Ils furent menés par les architectes Bernard Vouga et Jean de Martini.
La collection d’Art Brut de Lausanne est ouverte au public en 1976.
Par la suite le bâtiment est agrandi en différentes étapes : tout d’abord, une aile est refaite et étendue en 1983 ; puis la surface d’exposition est agrandie en 1985 ; en 2002 une salle sous les combles est ouverte; et enfin en 2005, un sas d’entrée est érigé. Tous ses travaux permettant une plus grande découverte de La Collection de l’Art Brut de Lausanne. (Estelle Muller)
Site : http://www.artbrut.ch/fr/21070/collection-art-brut-lausanne

Aloïse Corbaz                                               
Aloïse Corbaz est une artiste née à Lausanne (Suisse) le 28 juin 1886. D'origine paysanne, elle obtient un diplôme de culture générale à 18 ans, puis s'inscrit à l'école professionnelle de couture de Lausanne. Suite à une relation amoureuse compliquée, elle doit partir en Allemagne où elle tombe amoureuse de l'Empereur Guillaume II et travaille comme gouvernante d'enfants à Potsdam avant de rentrer en Suisse.
En 1918, elle est internée à l'asile de Cery de Prilly en raison de sa schizophrénie. En 1920, elle est définitivement internée à l'asile de la Rosière à Gimel, elle dessinera en cachette jusqu'en 1936 utilisant mine de plomb, encre, pâte de dentifrice sur des calendriers, papiers d'emballage, cartons. Le directeur de l'hôpital (Hans Steck) et son médecin généraliste (Jacqueline Porret -Forel) vont s'intéresser à son travail qui entrera par la suite dans la collection d'art brut de Jean Dubuffet et aura une renommée internationale.
Les œuvres d'Aloïse représentent souvent des couples amoureux. Elle développe un univers peuplé de personnages religieux, féeriques ou historiques. La forme et le mode d'expression utilisés rappellent un peu les dessins enfantins car ils ne sont pas réalistes et retranscrivent une ambiance fantastique : les personnages ont des yeux bleus, les œuvres ne sont pas très précises dans les détails.
Le travail qu'effectue Aloïse, lors de son internement en asile, est comme un exutoire car elle se renfermait en raison de ses accès de violence. Ses œuvres deviendront une référence dans l'art psychopathologique dans la mesure ou l'art aide les patients à s'exprimer et se distraire. (Paul Burgos)



Adolf Wölfli                                                          
Artiste Suisse né en 1864 et mort en 1930, Wölfli est l’une des figures emblématiques de l’Art Brut. Après une enfance difficile, il est interné en 1899 à l’hôpital de la Waldeau où il demeurera jusqu’à sa mort. C'est là qu'il commencera à peindre et dessiner élaborant  un univers aussi bien personnel que complexe à travers des médiums très variés.
Dans son œuvre, constituée de plus de 25 000 pages, Wölfli raconte son histoire imaginaire. Il y réinvente son passé et projette un avenir utopique sous le nom de St Adolf II en réalisant des compositions graphiques aux crayons de couleurs, des créations littéraires, des partitions musicales ainsi que des collages. Ses compositions mêlent le plus souvent des personnages cernés d’un masque avec des notes de musique, des textes ainsi que des formes aux couleurs vives.
Les éléments ornementaux présents dans ses créations ont une fonction aussi bien décorative que rythmique. L’ensemble de ses œuvres est une provocation permanente et déstabilisante pour les observateurs. Il "défie[r] notre mode de pensée et modifie[r] fondamentalement notre vision du monde" (D. Baumann). (Aurélia Maurin)
Vue générale de l'île Neveranger , 1911

Le Facteur Cheval                                         

Avril 1879, Louis Ferdinand Cheval (1836-1924) parcourt les 33 kilomètres de sa tournée quotidienne de facteur rural quand il bute sur une pierre. "C'est une pierre molasse travaillée par les eaux et endurcie par la force des temps." décrit t-il.
"J'avais bâti dans un rêve un palais, un petit château ou des grottes, je ne peux pas bien vous l'exprimer… Je ne le disais à personne par crainte d'être tourné en ridicule et je me trouvais ridicule moi-même. Voilà qu'au bout de quinze ans, au moment où j'avais à peu près oublié mon rêve, que je n'y pensais le moins du monde, c'est mon pied qui me le fait rappeler."
Dès lors, les pierres s'accumulent dans sa brouette à chaque tournée. Le soir, dans son jardin il les assemble et commence doucement à bâtir son Palais rêvé.
Ses voisins disent de lui qu'il est un homme étrange, puis peu à peu le prennent pour fou. Le Palais prend forme, il est à la fois baroque, naïf, foisonnant et désordonné, il est impossible de saisir chaque détail au premier coup d'oeil: des animaux, des colonnes, des petits bassins...


Sa fille décède en 1894. Il décide de prendre sa retraite deux ans plus tard. Il se consacre alors entièrement à la construction du Palais qu'il achève en 1912. Il se compose de quatre façades, d'une terrasse et d'une galerie et nécessitera plus de 3500 sacs de chaux.
À 77 ans, Louis Ferdinand Cheval y grave "Travail d'un seul homme." après avoir passé 33 ans de sa vie à le construire. Il souhaite y être inhumé, ce qui n'est pas possible, il construit donc son tombeau de 1914 à 1923.
Il meurt le 19 août 1924.
Le "Palais Idéal" comme l'appelle son architecte, et son tombeau sont inscrits aux monuments historiques par André Malraux, alors ministre de la culture en 1969. Ces chefs d'œuvre de l'architecture naïve occupent une place importante et unique dans l'histoire mondiale de l'art. André Breton et Pablo Picasso s'y sont intéressés, ce dernier même réalisé douze croquis du Palais.
"Fils de paysan, je veux vivre et mourir pour prouver que, dans ma catégorie, il y a aussi des hommes de génie et d'énergie. Vingt-neuf ans, je suis resté facteur rural. Le travail fait ma gloire et l'honneur mon seul bonheur ; à présent voici mon étrange histoire. Où le songe est devenu, quarante ans après, une réalité." Ferdinand Cheval (1836 - 1924) (Emilie Bethune)

Fleury-Joseph Crépin                                             

Fleury-Joseph Crépin, dit Joseph Crépin, est un digne représentant des artistes de l'Art Brut. Il n'avait, en effet, guère l'ambition de devenir un artiste peintre. Son histoire, telle qu'elle est racontée, est remplie de mystères et de curiosités.
Né en 1875 dans le Pas-de-Calais à Hénin-Beaumont, il grandit dans une famille de plombier-zingueur. Il poursuivra d'ailleurs la tradition, en suivant une formation dans l'entreprise familiale, à la fin de ses études. Il se passionne également pour la musique, participe à diverses représentations et se plaît à diriger et composer des morceaux pour un orchestre. De son mariage en 1901, naissent deux filles dont l'une, l'aînée, sera touchée par la démence quelques années plus tard. Profondément affecté, il abandonne ses activités orchestrales et se découvre une passion pour la radiesthésie ainsi qu'un talent de sourcier. Alors, sa curiosité l'attire vers de nouveaux centres d'intérêts, vers de nouvelles rencontres.
Après un premier contact avec le cercle de spiritualité de Douai, il rencontre Victor Simon et Augustin Lesage. Ces derniers sont également qualifiés de "peintres médiumniques". C'est en effet grâce à leurs conseils que Joseph Crépin devient guérisseur à son tour et peut soigner divers maux par simple pose des mains sur les malades, par souffle ou encore par télépathie.
 Un évènement inouï se produit alors. Recopiant notes et caractères musicaux, sa main est prise d'une soudaine frénésie. Conjointement, une "voix" se manifeste : "Peins 300 tableaux, et la guerre s'arrêtera". Souffrant d'un handicap oculaire depuis l'enfance, la précision de ses tableaux n'en est pas pour autant affectée. Il s'applique ainsi dans sa tâche, guidé par des "ombres", des anges gardiens qui, selon-lui, viennent le guider dans ses choix colorimétriques. De cet état médiumnique naissent trois cents tableaux dont le dernier est achevé la veille de l'armistice, le 7 novembre 1945. La "voix" se présente de nouveau à lui et lui prédit que la paix règnera dans le monde lorsqu'il aura peint quarante-cinq autres merveilleux tableaux. Il meurt d'une congestion cérébrale le 8 novembre 1948 après avoir réalisé quarante-trois toiles et débuté les esquisses des deux dernières.
Sa technique des gouttelettes parfaitement calibrées, brillantes telles des perles, reste secrète. Quant à ses tableaux, ils se basent sur des motifs symétriques et des ornements proches de l'art oriental, d'un format cependant plus réduit que ceux d'Augustin Lesage. (Claire Dugast)


Laure (1882-1965)                                                    

Laure, de son vrai nom Laure Pigeon, est née à Paris. Sa mère décède quand Laure a cinq ans. La fillette est alors élevée par sa grand-mère paternelle, en Bretagne. La jeune fille reçoit une éducation stricte et à vingt-neuf ans, elle se marie à un chirurgien-dentiste contre le gré de sa famille. Après vingt-deux ans de vie commune, elle se sépare de son époux dont elle découvre l’infidélité et s’installe dans une pension de famille. Elle y rencontre une femme qui l’initie au spiritisme. Laure Pigeon réalise ses premiers dessins à partir de 1935. Elle trace à l’encre bleue ou noire des figures abstraites dans un système de lacis complexes. Les dessins contiennent des messages et des prophéties dont l’écriture, sous l’effet de la transe, est incertaine, voire illisible. Ses œuvres seront découvertes après sa mort à son domicile.
Ses dessins sont comme des visions surréelles. On distingue, ici un buste de femme au visage esquissé, gagné par des cheveux en plumes, une forme vaporeuse qui semble s'épanouir dans un étalement de feuilles et pourtant le titre vient brusquer ces éléments végétaux, animaux ou fluides !
Ses dessins sont des œuvres réalisées sous emprise médiumnique, phénomène que l'on relie au spiritisme en vogue à la fin du XIXème siècle, et dont Laure Pigeon est une des figures marquantes. Elle affirme être en contact avec un autre monde, celui des défunts, des êtres qui lui donneraient une marche à suivre. (Laurila Burati)

Sans titre, juillet 1959, encre sur papier, 50x65 cm

Augustin Lesage (1876-1954), France                      

Peintre, médium, Lesage restera un artiste singulier. Élevé par une famille de mineurs du Pas-De- Calais, celui-ci eut une révélation lors d’une descente dans un des tunnels d’une exploitation. Des voix lui parlent, le guident : « Un jour, tu seras peintre ». Aussi absurde que cela puisse paraître, Augustin Lesage débuta alors sa carrière, au début du XXème siècle. Guidé par des esprits dans toutes ses créations, l’artiste rejoint un groupe de spiritisme, lui permettant ainsi d’entendre et de mieux comprendre les voix qui l’habitent. S’affirmant tout d’abord aux travers d'esquisses, il délaissa très rapidement son crayon pour la peinture à l’huile en réalisant une première toile de 9 mètres carrés (3m X 3m), par juxtaposition de petits éléments géométriques. La réalisation de cette peinture gigantesque occupa une année entière de sa vie. Surpris par son talent, Lesage s’imagine alors que ces voix ne peuvent être que celles de Léonard de Vinci, Marius de Tyane ou de sa sœur décédée (à l’âgée de trois ans). À son retour de la guerre (1914-1918), il fit la connaissance de Jean Meyer, directeur de la revue Spirite et de l’institut métapsychique international. Ils sympathisèrent très vite, à tel point que Meyer devint mécène de l’artiste. L’année 1923 sera un réel tournant dans la vie du peintre. En effet, désormais conscient de son potentiel, Augustin Lesage décide d’arrêter sa profession de mineur pour pouvoir consacrer pleinement son existence à l’art. Sa rencontre avec l’égyptologue Alexandre Moret le pris de passion pour L’Égypte antique si bien qu’il se déclara par la suite comme étant la réincarnation d’un artiste de cette époque. Caractérisé par des peintures monumentales aux axes de symétrie parfaits, il restera le maître de l’art visionnaire. Son pinceau, guidé par les dieux fit de lui le père du mouvement Spirite ainsi qu’une figure emblématique de l’Art Brut. Seulement, la légende du peintre s’effaça en grande partie lorsqu’il a été découvert que certaines de ses œuvres n’étaient pas l’objet de visions mais de simples répliques de photographies archéologiques prises dans la presse. (Nicolas Boda)






Pascal Désir Maisonneuve                                            

Pascal-Désir Maisonneuve est un artiste Français né en 1863 et mort en 1934 à Bordeaux.
Dans sa jeunesse, il apprit à travailler la mosaïque. On peut d’ailleurs admirer ses travaux dans des musées de Périgueux et de Bordeaux ainsi que dans des châteaux. Mais ce qui le passionne vraiment est de trouver des objets ou bien des œuvres insolites... Il les entrepose ensuite dans sa boutique.
Alors qu’il a soixante-quatre ans, il se lance dans la réalisation de portraits de personnages célèbres en coquillages de toutes formes et de tailles plus ou moins importantes. Il les trouve dans des brocantes ou bien dans sa collection personnelle. Il assemble ces coquillages à l’aide de plâtre. Il a ainsi réalisé les portraits de Guillaume II ou encore de la Reine Victoria.
On peut d’ailleurs y voire une référence à Arcimboldo qui lui peignait des visages à partir d’éléments insolites tels que des fruits, des légumes, des racines, des animaux… (Constance Chambaud)

La Reine Victoria (vers 1927-1928), Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut.
Pascal Désir Maisonneuve, Le Diable, hauteur 25 cm, vers 1927-1928, collection de l’Art Brut, Lausanne
Arcimboldo, 1528-1593, Portait aux poissons et coquillages

Emilie Ratier                                                     
Emile Ratier est un ancien marchand de bois. Après avoir perdu la vue progressivement, il a décidé de faire face à son handicap et de créer des sculptures en bois avec une approche différente des autres artistes de son époque. C’est alors qu’il se mit à fabriquer des charrettes, des manèges, la Tour Eiffel tout en bois… Ce ne sont pas de simples sculptures, mais des œuvres sonores et mobiles que l’on peut manipuler. C’est grâce aux bruits de ses œuvres, qu’il affine à l’oreille les derniers réglages. Il installe même des manivelles pour rendre ses sculptures plus attractives et originales. (Pauline Dilosquer)





André Robillard                                               

C’est à 33 ans qu’André Robillard réalise ses premières créations. Ses "fusils pour de faux » sont réalisés à partir d’objets trouvés dans les bennes. Tout peut être source de création et c’est avec ce qu’il a à disposition qu'il met en forme ses fusils. Interné depuis son plus jeune âge à l’hôpital psychiatrique de Fleury-les-Aubrais, il découvre une nouvelle voie grâce au psychiatre Paul Renard, qui va présenter ses fusils au collectionneur d'Art Brut Jean Dubuffet. C’est à la suite de cette visite que sa carrière démarre. “Jamais je n’aurais pu deviner que j’étais un artiste, j’en étais loin, c’est drôle il suffit d’un machin qui est parti, ça a changé ma vie”.
André Robillard est un artiste extraterrestre polyvalent et curieux. En effet, en plus de réutiliser des objets usagés pour ensuite s’en servir pour la création de ses œuvres, l’artiste dessine et joue de la musique. Ces dessins de planètes, d’animaux et de spoutniks sont similaires à ceux d’enfants rêvant d’une vie sur un monde parallèle, à la recherche de créatures mythiques et singulières.
La musique quant à elle fait partie intégrante de la vie de Robillard. C’est à l’âge de 10/11 ans qu’il commence à jouer de l’harmonica puis de l’accordéon. Par la suite, il apprendra à jouer de divers instruments mais de manière non conventionnelle. André Robillard met au bout de ses doigts des cartouches pour jouer de la batterie. Il ne joue du violoncelle qu'avec ses doigts, les sons sont ainsi déformés et en décalage de leur forme usuelle.
Ses fusils ont maintenant fait le tour du globe et servent selon l’artiste à tuer la misère. « C’est pas rien, débite Robillard. C’te sacrée misère. Il faut l’arrêter avant qu’il ne soit trop tard. Et on peut même se détruire par nous-même sans s’en rendre compte, il faut contre-attaquer pour détruire la misère. » Ce sont donc des fusils pacifiques, multicolores et inoffensifs qu’André Robillard nous fait découvrir pour lutter contre une cause qui lui tient à cœur car "pour lui, la liberté fut au bout du fusil…un jour de mars 1964". (Claire Brélivet)
André Robillard, un dinosaure, exposition au Musée de la Création

André Robillard Fusil USA Rapide Neil Armstrong M16

Shinichi Sawada                                          

Shinichi Sawada est un jeune autiste japonais. Cet artiste réalise de singulières sculptures que l’on pourrait classer dans l’Art Brut. Dès son adolescence il fréquente un foyer spécialisé pour handicapé mentaux ou il commence à travailler dans la boulangerie de l’établissement avant d’intégrer un atelier où il pratique la poterie plusieurs fois par semaine. Son professeur fera construire une cabane ou il pourra faire cuire (assez sommairement) ses créations.
Les sculptures du jeune homme prennent donc forme grâce à des moyens réduits à l’essentiel. Ce sont des sortes de créatures fantastiques et monstrueuses, empruntant leurs formes à des animaux réels mais toujours recouvertes de piquants placés minutieusement à la main, avec le plus de régularité possible et dans le silence le plus total. Certaines de ses sculptures ont typiquement des traits de créatures asiatiques, ressemblant parfois à un masque de théâtre, parfois à des créatures de manga.
Il est vrai qu’il est difficile de savoir si son art tient de la préméditation ou du hasard. En revanche, nous sommes sûrs qu’elles sortent toutes de son imagination débarrassée de tout complexe. (Pauline Bernard)




Jeanne Tripier                                               

Jeanne Tripier (1869-1944) était une artiste française qui réalisait des dessins à l’encre (qu’elle mélangeait avec toutes sortes de matériaux, comme du sucre, du vernis à ongles ou encore des médicaments), des broderies et des textes tout à fait singuliers.
Elle mène une vie relativement normale, puis commence à s’intéresser au spiritisme lorsqu’elle a 58 ans. Et c’est à partir de ce moment-là qu’elle développe une vision du monde particulière (voir ses "Messages" concernant ses voyages interplanétaires, ou ses "Missions sur Terre"). Elle est internée dès 1934 dans un hôpital psychiatrique de la région parisienne (à Sainte Anne, puis à Maison-Blanche) pour psychose hallucinatoire chronique, excitation psychique, logorrhée et mégalomanie. Elle se dit "médium de première nécessité, justicière planétaire et réincarnation de Jeanne d’Arc", lance des malédictions, déclenche des guerres, et parle avec des codes secrets qu’elle appelle le « langage sphérique ». Les esprits (Jeanne d’Arc, Anatole France, Joséphine de Beauharnais… etc.) l’auraient chargée de préparer le “Dernier Jugement définitif”; elle considère alors toutes ses créations comme des révélations médiumniques.
Elle dit "Ne croyez pas que je sois folle, et je ne le serai jamais!" dans “La lettre à l’Economat” où elle précise ses pensées concernant l’asile dans lequel elle est internée (il n’y a pas assez de nourriture et l’odeur des lieux est insoutenable). Elle ne considère pas être malade et elle a l’impression d’être “enterrée vivante” en ces lieux.
C’est au peintre Jean Dubuffet que Jeanne Tripier doit sa célébrité posthume : les broderies de Jeanne Tripier sont présentées à la Galerie Drouin (Paris, 1948-1949) et à la Galerie Cordier (New York, 1962). L’essentiel de son œuvre fait aujourd’hui partie de la “Collection de l’Art Brut”, à Lausanne. (Celia Ferrer)




Auguste Forestier (1887 -1958)                               

L’histoire de cet artiste est assez triste car, passionné de train, c’est en 1914 qu’il en fait déraillé un en posant des cailloux sur les rails ; plus tard il affirmera à la police « Je voulais voir écraser les cailloux , mais je ne croyais pas que mon acte pût faire dérailler le train ». Il fut alors placé en hôpital psychiatrique jusqu’à sa mort. Nous pourrions dire qu’il fut artiste malgré lui car bien qu’ayant créé de nombreuses œuvres, elles reflétaient plus le désir de l’évasion, le reflet de ses ressentis et traumatismes que le désir de se placer en tant qu’artiste dans le milieu de l’art. Nous pourrions même soupçonner qu’elles sont le découlement logique de longs moments de solitude à l’hôpital où il récupérait des chutes de matières telles que le bois, le verre, le métal, le cuir, la ficelle, les os, pour créer ses œuvres sculpturales. Il se créa également un atelier où il travaillait avec des outils souvent inventés. Il confectionnait alors des petites maisons, des meubles et particulièrement des sculptures d’animaux féroces telles des totems africains, un art qu’on pourrait croire venu d’ailleurs où même préhistorique.
Dans son travail nous parlerons d’art brut mais également d’art psychologique, une façon pour Auguste Forestier de s’exprimer, de se libérer de son enfermement, de ses traumatismes personnels et surtout de voyager car il était question de cela : des voyages imaginaires qui le transportaient fictivement ailleurs. Comme si ses œuvres voyageaient pour lui ; et c’est ce qu’il se passera car très vite Auguste Forestier échange ses sculptures contre de la marchandise (cigarettes, œuf, chocolat, livres etc..) les vendant même au personnel hospitalier. Cela confirme l’hypothèse qu'Auguste Forestier a accepté son sort, "Je n’ai rien à réclamer, je comprends que je suis ici pour toujours et autant vaut-il que j’y finisse mes jours", il est alors possible de se demander si ses œuvres sont voulues en tant qu’œuvres ou simplement en tant que distraction.
Malgré tout, son art reflète son intimité, ses angoisses, ses peurs mais aussi ses origines. Il en est pour moi l’aspect le plus fort de son travail. Effectivement les bêtes féroces qu’il conçoit sont souvent une représentation de la bête du Gévaudan, bête anthropophage qui a tué une centaine de personnes en Lozère (1764-1767). Cela nous prouve que son art était pour lui la seule façon d’exprimer ses peurs et ses sentiments enfouis. Pour ces raisons, je considère son travail comme de l’art car il sert avant tout à exprimer ce qu’on pourrait enfouir en soi au lieu de le laisser sortir. (Alice Delsenne)




Judith Scott                                                                      


On pourrait qualifier l’œuvre de l’artiste Judith Scott d'insolite. En effet, ses cocons multicolores sont des travaux étranges et inhabituels. Le tout est harmonieux bien que ces cocons ne soient autres que des objets enserrés et emprisonnés par une quantité innombrable de fils et autres bandes de tissus.
À l’image de ses œuvres, Judith Scott est une artiste à l’histoire singulière. Née en mai 1943 à Cincinnati dans l’Ohio, Judith Scott vient d’une famille de la classe américaine moyenne. Très jeune, elle attrape la scarlatine et contracte le syndrome de Down. Elle devient autiste. Par la suite, elle perdra également son audition mais ceci ne sera pas diagnostiquée suffisamment tôt. À cause de sa surdité, Judith ne parle pas. Elle est donc refusée dans la seule école pour enfants en difficulté de Cincinnati et à sept ans ses parents prennent la dure décision de l’envoyer dans une institution spécialisée à Dickensian dans l’état de l’Ohio.
Plusieurs années plus tard, sa sœur jumelle, Joyce, devient sa tutrice légale et l'accueille dans sa famille en Californie et lui permet d'intégrer un centre axé sur l’art pour les personnes en difficulté. Vite désintéressée des crayons et de la peinture, Judith se lance dans la sculpture. C’est probablement Sylvia Seventy qui sera une de ses plus grandes inspirations et qui l’initiera à la structure textile après un passage à l’institution en 1987.
L’art de Judith Scott pourrait être classé dans la catégorie de l’Art Brut étant donné qu’elle n’a eu que très peu d’éducation artistique à part celle donnée par les quelques intervenants du centre où elle résidait.
Les œuvres créées par Judith Scott avec ce procédé de sculpture textile sont ce qu’il y a de plus intéressant à retenir de son travail. Son œuvre regroupe près de 200 cocons colorés qui n’ont été ni nommés ni datés.
Judith Scott est morte en 2005. (Margot Lenorais)





Nek Chand                                                                                        


Nek Chand est un artiste autodidacte indien célèbre pour son œuvre le Rock Garden. Le Projet de ce jardin est lancé vers 1957 et est peuplé de sculptures en céramique recyclée. Censé représenter le village natal de l'artiste et sa population, il s'étend aujourd'hui sur 12 hectares. Ce jardin occupé illégalement à ses débuts est découvert par les autorités en 1975 et sera ouvert au public en 1976. Les sculptures sont uniquement composées de matériaux ou d’objets recyclés. Le jardin est donc composé de plus de mille sculptures de danseuses, paysans, musiciens, singes, chevaux, paons, cascades etc. L'artiste appelle son projet "Le Royaume des Dieux" et a toujours expliqué que ce jardin était sorti spontanément de son imagination. (Antoine Dehillerin)





mercredi 22 octobre 2014

Marcel Duchamp, La Peinture, même


ÉDITO




 "Que le goût soit bon ou mauvais, cela n'a aucune importance, car il est toujours bon pour les uns et mauvais pour les autres. Peu importe la qualité, c'est toujours du goût."  C’était là le point de vue de Marcel Duchamp.

Au Centre Georges Pompidou, L’exposition, La Peinture, même, ouverte de Septembre 14 à janvier 2015 apporte un regard nouveau sur l’œuvre abondante de Marcel Duchamp. Contre toute attente, ce ne sont pas les fameux Readymade (objets déjà faits, choisis et transformés par l’artiste) qui sont mis en avant, mais, au contraire, son œuvre picturale. L’exposition permet aussi de découvrir ses sources d’inspiration notamment scientifiques, techniques, livresques et picturales.

La peinture, même rassemble une centaine d’œuvres réparties dans huit salles : climat érotique, des nus, apparition d’une apparence, détérioration du cubisme, pudeur mécanique, inconscient organique (mécanique viscérale), « peinture de précision et beauté d’indifférence », le grand verre. [Margot LENORAIS et Constance CHAMBAUD]
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BIOGRAPHIE


« J’ai eu une vie absolument merveilleuse. »   Marcel Duchamp

Portrait de Marcel Duchamp




Marcel Duchamp (1887 – 1968), était un homme de lettres et un peintre plasticien français et américain (dès 1955).
Il fait son apprentissage de la peinture au sein du Groupe de Puteaux (formé avec un cercle d’amis), principalement des artistes d’inspiration cubiste comme Fernand Léger ou Albert Gleizes.
Cependant en 1912, sa peinture se rapproche plutôt d’un futurisme italien avec “Le Nu descendant l’escalier”.
Il invente par la suite le ready-made - des objets tout-faits qu’il sélectionne pour leur neutralité esthétique- comme la célèbre Fontaine (1917), un urinoir renversé sur lequel il appose la signature “R. Mutt”.
Il s’insère dans le mouvement dadaïste avec l’œuvre La Mariée mise à nu par ses célibataires, même ou le Grand Verre (1915-1923).
Marcel Duchamp fait également quelques apparitions dans l’univers surréaliste : il figure par exemple dans le Numéro 2 de la revue “Le Surréalisme au Service de la Révolution” (1930-1933) lancée par André Breton et éditée par José Corti.
Un artiste polyvalent et provocateur, qu’André Breton a qualifié "d’ homme le plus intelligent du siècle”. [Célia FERRER]

Portrait de Marcel Duchamp

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DEUX NUS 

1910

Peu connu, Deux nus, est une peinture issue d’une série de nus réalisée par Marcel Duchamp en 1910. Elle est une représentation naturaliste d’une première œuvre portant le même nom. Elle a un esprit "fauve". Ces toiles n’ont été découvertes par le public qu’à la fin des années 1940, elles étaient auparavant confinées dans le cercle familial. Elle est représentative des débuts du peintre qui se cherchait artistiquement. Les coups de pinceaux sont grossiers et peu précis, on devine les visages et les formes. Le contraste des couleurs quant à lui est plus fort, la représentation de corps très pâles sur fond vert de nature, avec des touches d’orangé accentue le contraste et rappelle la chevelure d’une des protagonistes. La peinture représente deux femmes nues (ceci expliquant le titre de l’œuvre Deux nus). La diagonale qui la construit énonce une opposition dans le tableau. L’une des femmes nous tourne le dos, la seconde nous fait face. Cependant sa composition indique qu’elles s’attirent, le cadrage resserré de l’œuvre nous fait pénétrer dans leur intimité. [Estelle MÜLLER]
Deux femmes nues, huile sur toile - 1910


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BAPTÊME

1911


Il s'agit d'une huile sur toile (91,4 x 65,1 cm), réalisée par Marcel Duchamp en 1911. Elle est conservée au Philadelphia Museum of Art. Elle appartient à "The Louise and Walter Arensberg Collection".
Le Baptême (1911) fait partie d'un trio de peintures représentant un cycle : Buisson, Paradis, Baptême, exposé au Salon des Indépendants en avril de la même année. Le bassin situé en bas du tableau, ainsi que la nudité des femmes évoquent le thème du baptême. De style post-symboliste, l’œuvre met l’accent sur la transmission de l'idée par rapport à sa représentation. Les personnages aux formes charnues sont reproduits dans des positions peu naturelles dans un décor abstrait. La femme à la peau couleur ambre, fortement surélevée et de manière écrasante, suscite chez le spectateur une impression de lourdeur. [Yan HUANG]

Le baptême, huile sur toile 91.4x65.1 cm, 1911 

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JEUNE HOMME ET JEUNE FILLE DANS LE PRINTEMPS

 1911, huile sur toile


En 1911, la sœur de Marcel Duchamp se marie et se voit offrir une toile particulièrement intrigante par son frère, Marcel. Complexe et mystérieuse, cette œuvre offre plusieurs lectures possibles et suscite notre curiosité grâce aux nombreux détails cachés. On peut y voir au premier plan deux silhouettes élancées qui nous rappellent Adam et Eve devant l’arbre de vie. Adepte du symbolisme à cette époque, Marcel Duchamp cherche à retranscrire dans cette œuvre la métamorphose fille-femme et l’union de deux êtres. En effet, nous distinguons des figures triangulaires, rondes ainsi que des fruits à l’arrière plan qui nous laissent penser que le fruit du mariage est la maternité. Au delà de ces interprétations, le propos principal de l’œuvre reste l’union d’un homme et d’une femme associé à la nature. [Clémence PUJO]


Jeune homme et jeune fille dans le printemps, huile sur toile 65.7x50.2 cm, 1911


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JEUNE HOMME TRISTE DANS UN TRAIN

1911, huile sur carton (100 X 73cm),  Musée Solomon R. Guggenheim à New York 


En 1911, Marcel Duchamp peignit « Jeune homme triste dans un train ». Cela fut sa première œuvre de la série fondée sur la traduction du mouvement. Il s’intéressa et s'inspira du cubisme et du futurisme pour traduire le déplacement d'un ou de plusieurs corps grâce à la superposition de lignes, de différentes lumières, des couleurs et des formes géométriques. En effet, dans son œuvre, nous remarquons qu'il a choisi d'utiliser une palette sobre et superpose plusieurs lignes et formes qui dynamisent la toile. Le résultat est concluant, on aperçoit deux mouvements différents. Ainsi, grâce à la multiplication de lignes et de formes, le train donne l'impression qu'il va en avant, comme s’il allait sortir de la toile ! Cependant on aperçoit tout de même un mouvement inverse traduit par des lignes allant contre le train tandis qu’ à l'aide d'une palette plus sombre inspirant un univers mélancolique il illustre l'homme avec une cigarette dans un environnement obscur. On remarque aussi que Duchamp s'est inspiré de la chronophotographie en superposant plusieurs images pour traduire l'idée de mouvement. [Pauline DILOSQUER]
Jeune Homme triste dans un train" ( 1911), peinture à l’huile sur toile montée sur carton

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NU DESCENDANT UN ESCALIER  N°2 

1912


Nu descendant un escalier, huile sur toile, 146x89 cm, 1912

Nu descendant un escalier est une huile sur toile de Marcel Duchamp peinte en 1912. Ce tableau correspond à une période plutôt cubiste de l’artiste mais où ses inspirations futuristes sont présentes. Nu descendant un escalier est une des ces toiles qui a été peinte comme par curiosité, comme une recherche du mouvement et de la vitesse à la manière de Giacamo Balla ; mais surtout en s’inspirant de la chronophotographie (série de photographie découpant le mouvement). Son inspiration première fut le travail du photographe Muybridge (1830-1904), on pourrait même y reconnaître le modèle et sa posture sur le tableau de Duchamp. Dans cette toile, c’est le dégradé de couleur descendant qui nous indique un mouvement mais aussi les formes géométriques répétées comme pour schématiser un modèle. On pourrait presque y voir une machine plus qu’un nu artistique car ici, à la manière d’un futuriste, Duchamp nous montre l’idéal industriel en décomposant l’homme telle une machine et en abandonnant tous canons esthétiques classiques. Cette œuvre marque le début de l’art moderne et fait de Marcel Duchamp le fondateur d’un nouveau genre d’art à tel point qu’il est difficile de catégoriser son travail. [Alice DELSENNE]


Giacomo BALLA, speed of a motorcycle, 1913, huile sur toile


MUYBRIDGE, Femme descendant des escaliesr, 1887



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LES JOUEURS D'ÉCHEC

1911


Dans cette peinture, Marcel Duchamp a peint ses deux frères Jacques Villon et Raymond Duchamp-Villon disputant une partie d’échecs. Cette œuvre met en avant les recherches cubistes de Duchamp dans les années 1910. Nous pouvons voir la démultiplication des formes qui peut faire penser aux théories futuristes. Il a créé une toile cubiste où tout est morcelé comme sur les cases d’un échiquier en utilisant la technique de la "démultiplication" : les pièces d’échecs s’éparpillent sur toute la surface du tableau.

Cette peinture tient beaucoup à cœur à Marcel Duchamp car lui-même était un grand joueur d’échecs. Il disait même : «Je suis venu à la conclusion personnelle que bien que tous les artistes ne sont pas les joueurs d'échecs, tous les joueurs d'échecs sont des artistes." [Laurila BURATTI]


Les Joueurs d'échec, huile sur toile 50x61 cm, 1911




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LE ROI ET LA REINE ENTOURÉS DE NUS VITES 

1912

« […] Aux Échecs, quand on parle d’une belle résolution à un problème, cela provient d’une pensée abstraite qui se résout dans la forme physique d’un Roi faisant cela ou d’une Reine faisant ceci. Comme si une chose abstraite était rendue vivante. Reine ou Roi deviennent des animaux qui se comportent selon une pensée abstraite mais vous voyez la Reine faire cela – vous sentez une Reine faire cela – vous la touchez… alors qu’une beauté mathématique reste toujours abstraite […]. » Marcel Duchamp
Cette peinture fut réalisée en 1912 par Marcel Duchamp et fait partie d'une série de plusieurs études sur la mécanique et le mouvement. Deux personnages et une auto est la première étude au fusain de cette série, précédant Deux Nus : un fort et un vite. La troisième étude nommée Le Roi et la Reine traversés par des Nus vites introduit pour la première fois dans cette série le sujet du jeu d'échec. Au premier abord, le titre: Le Roi et la Reine entourés de nus vites est déroutant et la peinture d'autant plus. Ni l'un ni l'autre ne nous permettent de réellement comprendre le sujet de la peinture. C'est en s’intéressant à ses passions et aux études faites au préalable que l'on comprend que le roi et la reine dont il est question, sont en fait les pions du jeu d'échec. En effet Marcel Duchamp était un fervent joueur d'échec car : « Je l’ai pris très au sérieux, dit-il, et je m’y suis complu parce que j’ai trouvé des points de ressemblance entre la peinture et les échecs ». Les nus vites sont quand à eux la représentation visuelle du déplacement des pions et du mouvement des joueurs. Dans l'ensemble de ces études, l'artiste a cherché à montrer la désarticulation du mouvement à la manière de la chronophotographie. L'artiste cherche à exprimer le mouvement et sa décomposition, ce qui se traduit par quelque chose d'assez déstructuré et géométrique. En effet, le mouvement des pièces rend leur visualisation floue et presque désarticulée. Pour cette œuvre, le spectateur a l'impression de pénétrer les pensées des joueurs et de visualiser les coups qui vont être joués, un mélange à la fois de réel et d'irréel, de figuratif et d'abstrait. Il est peut être intéressant de faire un rapprochement avec l’œuvre de Stefan Zweig, le joueur d'échec, dont le sujet principal est un homme qui, pour échapper à son enfermement, va mentalement recréer des parties d'échec pour pouvoir psychologiquement s'évader. On imagine alors une combinaison entre la visualisation mentale de ce personnage et la peinture de Duchamp, comme étant la retranscription physique de sa pensée. [Claire BRELIVET]


Le Roi et la Reine entourés de nus vites, huile sur toile 146x89 cm, 1912


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LA MARIÉE

1912


La Mariée est une œuvre réalisée par Marcel Duchamp en août 1912 dans le cadre d'une série d'études faites pour le « Grand Verre » à New York, trois ans plus tard.
Cette peinture est une huile sur toile, format portrait, mesurant 89,5x55 centimètres, elle fait maintenant partie de la collection Louise et Walter Arensberg au Philadelphia Muséeum of Art, à Philadelphie.
Le tableau est une représentation d'une mariée vue par Duchamp totalement dépourvue de réalisme et plutôt construite grâce à des éléments mécaniques et des formes géométriques. L'artiste a beaucoup développé son art autour du cubisme et la peinture cinétique cependant sur cette toile, il affirme avoir modifié sa méthode de travail "Remplaçant la main levée par une technique d'extrême précision, je me lançai dans une aventure qui ne serait plus tributaire des écoles existantes".
On perçoit tout d’abord l’œuvre par les jeux de lumières, de contrastes, et de formes, puis en se penchant sur les détails, on distingue le déhanchement d’un être étrange formé de différents espaces géométriques ou non. Le ton très jaune et lumineux de la toile invite les yeux des spectateurs à se balader entre les dégradés et les contrastes de couleurs et de formes. Le tableau est très dynamique en raison de la présence de droites qui rigidifie un peu la composition mais donne de la vitesse à sa lecture. La Mariée n’appartient pas vraiment à un mouvement précis car elle est une expérimentation, une transition entre le Cubisme et le Futurisme, effectuée par Marcel Duchamp.
On peut peut-être faire un lien avec les œuvres de Georges Braque lors de sa période de Cubisme analytique, en effet, « Violon » et « Bach » présentent beaucoup de superposition de lignes et de formes dans leur composition, ainsi que la « Mariée ». [Paul BURGOS]



La Mariée, 89.5x55.25 cm, 1912

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LA MARIÉE MISE À NU PAR SES CÉLIBATAIRES MÊME

1915-1923


Au premier abord en regardant l’œuvre, on peut très vite se retrouver confus et se sentir déstabilisé devant cette installation composée de deux panneaux de verre superposés qui sont peints à certains endroit à l’huile, qui comprennent des inserts en plomb et de la poussière à d’autres endroits.

La Marié mise à nu par ses célibataires même ou encore Grand Verre commencé en 1910 est déclarée inachevée par l’artiste en 1923 : Dans un entretient avec Robert Lebel, il révèlera qu’il s’est inspiré d'un stand de fête foraine de province où l’on devait lancer des  projectiles sur une représentation de femme en robe de mariée (référence au jeu du Chamboultou) dans le but de la mettre «à nue» tandis que dans un autre entretien accordé à Lewis Jacob il explique que cette œuvre doit énormément à l’un des poèmes de Raymond Roussel, Impressions d’Afrique (1910).

Chaque détail de cette œuvre a été calculé et travaillé dans de nombreux dessins préparatoires très poussés. Marcel Duchamp y laissa la poussière s'y «déposer» pendant un an et demi afin d’obtenir une certaine qualité picturale avec la présence du verre. Quelques temps plus tard il nettoiera son "Grand Verre" en laissant certains endroits où il fixa la poussière ce qui donna ainsi à l’installation une légère coloration jaunâtre.

Cette œuvre suscite beaucoup d’attention, de suppositions et restera sans nul doute un des objets d’art les plus énigmatiques de l’histoire. [Aurélia MAURIN]

La Mariée mise à nu par ses célibataires même



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ROTATIVE PLAQUES DE VERRE (OPTIQUE DE PRÉCISION)

1920- 1979

En gros les rotatives sont des sortes de grosses machines en plexiglas, parfois peintes, en métal, en bois, et sont actionnées par un moteur. La question que Duchamp soulève est : L’art peut-il être aussi un objet qui s’inspire de la technique ? Mais aussi est ce qu’un objet manufacturé peut devenir un œuvre d’art ?  Les Rotatives sont un nouveau chapitre dans l’art de Duchamp. En fait, Duchamp est toujours à la recherche d’une manière de représenter ou de présenter le mouvement (Dulcinea, Nu descendant de l’escalier, Roue de Bicyclette). Il a également le souci d’explorer les frontières entre les dimension spatiales, celles qui nous font passer du plan à la profondeur et prennent en compte la notion de temps.  Sur sa Rotative, il installe plusieurs plaques de verre  de différentes longueur qui, quand elles sont en mouvement, dessinent des formes circulaires mouvantes fascinantes, proposant une nouvelle perception de la vision. [Pauline BERNARD]








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ANÉMIC CINÉMA

1925-26


Marcel Duchamp est connu pour ses peintures et ses œuvres plastiques. Il ne faut pourtant pas oublier Anémic Cinéma, une œuvre cinématographique unique en son genre.

Cette œuvre singulière s'inscrit dans le mouvement Dada. Anémic Cinéma n'est autre qu'un court-métrage de 1926 d'environ sept minutes alternant dix séquences de cercles concentriques et neuf séquences de contrepèteries, également concentriques. Man Ray et Marc Allégret ont participé à la réalisation de ce film atypique dépourvu de scénario, de même que Rrose Sélavy (son double féminin) à qui l'on doit ces phrases étonnantes. Le titre du film, palindrome imparfait, annonce déjà la couleur de la production. Cette réalisation s'avère être un savant mélange de La Roue de bicyclette de 1913 et des Rotoreliefs conçus également par Marcel Duchamp.

Anémic Cinéma est le témoin d'un intérêt flagrant du plasticien pour l'optique. [Claire DUGAST]



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ROUE DE BICYCLETTE

1913


D’une simple roue de vélo, Duchamp réinventa à lui seul, une nouvelle façon d’appréhender l’art. Las des représentations picturales et de ses exigences techniques, celui-ci finira par définir l’art comme étant le pur et digne fruit de nos pensées, s’étendant bien au delà des prouesses de pinceaux qui par ailleurs, étaient déjà bien épuisées par des siècles de peinture. Ce sera donc l’idée qui primera sur la manière. Pour ce faire, l’artiste imagina le «Ready Made» (déjà fait). Concept réalisé à partir de matériaux manufacturés. Sa Roue de bicyclette devient sa première œuvre du genre. Une roue de vélo fixé par le biais de sa fourchesur un tabouret peint. À l’état brut, démunie de pneus, elle tourne et porte son ombre sur le mur, derrière elle. Présenté de la sorte, l’objet a alors perdu toutes ses caractéristiques initiales, le faisant passer du stade d’objet fonctionnel à œuvre d’art. Cette sculpture, en plus d’être l’une des premières œuvres de l’art cinétique, sera le point de départ d’une grande série et inspirera de nombreux artistes tant pour ses qualités visuelles qu’intellectuelles. Pour Marcel Duchamp, cette roue symbolise un nouveau cycle  "J’aimais la regarder tourner comme j’aime regarder le mouvement d’un feu de cheminée."

Il faudra aussi noter que la sculpture originale fut égarée, l’auteur réalisa donc dans les années 1960 des répliques de celle-ci. [Nicolas Bodas]

Roue de bicyclette, 1913



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LE READY-MADE, DÉFINITION


Le Ready-made est défini comme un "objet usuel promu à la dignité d'objet d'art par le simple choix de l'artiste" par Marcel Duchamp, son inventeur (article "Ready Made" dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme).
Duchamp utilise ce terme pour la première fois dans une lettre à sa sœur Suzanne: "Ici, à N.Y., j'ai acheté des objets dans le même goût et je les traite comme des « readymade » tu sais assez d'anglais pour comprendre le sens de « tout fait » que je donne à ces objets – Je les signe et je leur donne une inscription en anglais."
Cette pratique remet en cause les notions de virtuosité ou de savoir faire dans l'art, ici l'œuvre prend substance dès lors qu'on la nomme et l'exhibe. On peut considérer que le premier ready made apparaît en 1913 avec Roue de Bicyclette, une œuvre de Marcel Duchamp composée d'une roue de bicyclette sur un tabouret que l'artiste définit comme "ready-made aidé" car il est intervenu sur l'œuvre en associant les deux objets. « Quelques fois j'ajoutais un détail graphique de présentation : j'appelais cela pour satisfaire mon penchant pour les allitérations, « un ready-made aidé » en anglais : ready-made aided. Une autre fois, voulant souligner l'antinomie fondamentale qui existe entre l'art et les ready-made, j'imaginais un « ready-made réciproque » en anglais : reciprocal ready-made) : se servir d'un Rembrandt comme table à repasser ! » explique Marcel Duchamp.


Porte bouteille, 1914 et Fontaine, 1917

Il définit parfois cette œuvre comme une "sculpture sur socle", à la manière de Brancusi, son ami. La capacité hypnotique de l’œuvre "Roue de Bicyclette" s'inscrit dans un réel intérêt de l'artiste pour le mouvement, depuis "nu descendant l'escalier", 1912, jusqu'à "anemic cinéma", 1925.
Le premier ready-made strict de l'artiste serait alors le "Porte-bouteilles" 1914. Le plus célèbre restant "Fontaine" 1917.
Le ready-made marque de façon indélébile l'art et en particulier la sculpture. Il a toujours sa place dans l'art contemporain.
Damien Hirst, par exemple, artiste britannique né le 7 juin 1965 à Bristol (Angleterre) réalise des installations traitant du rapport entre l'art, la vie et la mort. Il utilise la technique du ready-made et travaille souvent avec des cadavres d'animaux: cochons, vaches, moutons, requins, tigres...



Damien Hirst, The Incredible Journey, 2008

Jeff Koons, l'artiste vivant vendu le plus cher au monde actuellement, a beaucoup exploité les produits de consommation et cherché à comprendre pourquoi et comment ces objets étaient "glorifiés". Il a ainsi exposé des aspirateurs sous des vitrines de verre, ainsi que plusieurs objets issus et représentatifs de la société moderne.

Cette technique ironise la société de consommation, la magnifie, et fait entrer les objets de notre quotidien au musée, sous verres et projecteurs. Mais en ce sens le ready-made désacralise l'art, peut-être de la même façon que Wim Delvoye vend les excréments produits par Cloaca, on achète aujourd'hui un concept, une idée de l'art. [Émilie BÉTHUNE]

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LHOOQ 

1919



LHOOQ, 1919



L'œuvre L.H.O.O.Q de Marcel Duchamp créée en 1919 est une reproduction de La Joconde de Léonard de Vinci. L'artiste intervient sur cette reproduction en ajoutant à Mona Lisa une moustache et un bouc. Cet ajout, signature dadaïste, tend avec ironie à désacraliser l'art. L'artiste utilise volontairement une icône de l'art très célèbre pour en faire une réinterprétation personnelle. De plus, le titre de l'œuvre L.H.O.O.Q ["Elle a chaud au cul"] est un allographe qui rajoute un côté provocateur et humoristique à l'œuvre ce qui est l'inverse du travail sage et sacré de De Vinci. De nombreux autres artistes ont revisité La Joconde comme Banksy ou Aurélie avec IL.H.O.O.Q qui nous montre Ben Laden. [Antoine DEHILLERIN]

Banksy- La joconde armée, Londres 1990

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LA BOÎTE EN VALISE

1935-41


La Boîte en valise, 1936-41


Entre 1936 et 1941, Marcel Duchamp entreprend le projet de réunir certaines de ses œuvres dans un format miniature et de les  regrouper dans des valises. 

L'idée de Duchamp est de rendre ses œuvres portatives et de broyer les pistes entre objet d'art unique et reproduction d'œuvres existantes en implantant l'œuvre dans œuvre elle-même.  

Il réalise ainsi plusieurs valises comportant 69 reproductions de ses œuvres. Ces boites- valises sont entièrement réalisées en carton, bois, papier et plastique et se déplient pour exposer au spectateur trois panneau. Ainsi, la structure de l'œuvre se suffit à elle-même en terme de présentation aussi bien pour montrer les reproductions ou les masquer. 

On retrouve ainsi dans l'une de ses boites en valise, une miniature de Nu descendant l'escalier, Broyeuse de chocolat et des miniature de ses ready- made comme Fontaine ou encore Air de Paris.  [Camille RENARD]