mercredi 21 février 2018

Arts et Fenêtres


  
L'ART est une FENÊTRES ouverte sur…


De plusieurs formes, de plusieurs tailles, cet espace vide dans le mur nous permet de voir le monde extérieur depuis l’intérieur. Il nous offre un morceau de paysage à admirer. Sa surface vitrée est à la fois protectrice et fragile, ne laissant passer ni la pluie, ni le vent mais seulement les rayons du soleil. Même fermée, la fenêtre est symbole d’ouverture grâce à sa transparence. elle permet l'évasion. Cet échappatoire, par le regard et l'imaginaire, ouvre sur de nouveaux horizons, d’autres perspectives. Mais la fenêtre peut également, par divers procédés tels que des filtres colorés ou des trompes l’œil, nous donner à voir d'autres vérités. Ces fenêtres que l'on a dans la tête ouvrent des univers parallèles, fantastiques et irréels. La fenêtre peut alors s'avérer n’être qu’une simple illusion.
Les peintres ont vu dans la fenêtre une métaphore de leur art. La peinture est une fenêtre ouverte sur le monde. Les artistes vont s'attacher et s'amuser de cette idée et en viendront à user de ce matériau comme matière première de leur œuvre..

Amélie Werhung - Capucine Brossier

La fenêtre comme outil

Une fenêtre sur l'histoire, 
Machine à dessiner de Dürer

Albrecht Dürer (1471-1528) est un graveur et peintre de l’époque de la Renaissance qui a
écrit des ouvrages théoriques et techniques notamment sur la perspective. Un de ses
traités sur la perspective nommé Instruction pour mesurer à la règle et au compas 
parut en 1525. Il créa une machine permettant de dessiner en perspective appelée le
Perspectographe. Cette machine est également appelée la « fenêtre de Dürer ». Ce
dispositif permet de représenter un objet tridimensionnel sur une surface plane.
Cet instrument est composé d’un cadre en bois et d’une vitre quadrillée ce qui en donne
une forme semblable à une fenêtre. Le peintre doit placer ce cadrant devant la scène qu’il
veut représenter et regarder dans un œilleton, sa vision en devient alors monoculaire ce
qui en modifie légèrement sa perspective. L’artiste doit ainsi retranscrire les figures qui
coupent le quadrillage présent sur le cadre et les reporter sur une feuille quadrillée.
Albrecht Dürer n’est pas le premier ni le seul théoricien de la perspective. Effectivement il
reprend un traité d’Alberti, la « construzione legittima » permettant de dessiner un
carrelage en perspective et il tente d'en simplifier la construction.
Leon Battista Alberti (1404-1472) était un humaniste, peintre, écrivain, architecte et
théoricien de la perspective. Son traité sur la perspective intitulé De Pictura parut en
1436 soit presque un siècle avant celui de Dürer.
L’idée de la fenêtre reprise dans la machine à dessiner de Dürer n’est donc pas nouvelle. En effet Alberti considérait déjà la peinture comme une fenêtre sur l’histoire : « Je trace d’abord sur la surface à peindre un rectangle de la grandeur que je veux, qui sera pour
moi une fenêtre ouverte à partir de quoi on peut contempler l’histoire ».
Nous pouvons interpréter la gravure sur bois d’Albrecht Dürer comme une mise en abîme. Elle fait partie de la série de gravures Instruction concernant l’usage du compas. Cette
gravure représente un homme en train de dessiner à l’aide de sa machine à dessiner.L’artiste représenté regarde dans un œilleton à travers un cadre quadrillé, une femme
allongée vêtue d’un unique drap et la dessine sur une feuille, elle aussi quadrillée. Nous pouvons voir en arrière-plan deux fenêtres ouvertes où sur l’une d’entre elles nous retrouvons un vase et un buisson. Ces deux objets peuvent faire écho à la femme
dessinée, à sa féminité traduite à travers les courbes du vase et sa sexualité par le biais
du buisson.
Le thème de la fenêtre est alors présent en plusieurs points dans cette gravure : par son procédé de création à l’aide de la « fenêtre de Dürer », elle-même composée d’un
cadran en bois rappelant une fenêtre, qui est elle-même représentée dans la gravure. Ce
thème de la fenêtre est également accentué par les deux fenêtres en arrière-plan : la peinture, ou ici la gravure, serait une fenêtre sur le monde.

Sarah LODS
Instruction concernant l’usage du compas (1525), de Dürer, Nuremberg, 
conservée à Berlin au Kupferstichkabinett

La peinture, une fenêtre ouverte sur le monde ?

La fenêtre est un tableau, 
Les promenades d’Euclide de René Magritte

René MAGRITTE est un peintre belge du mouvement surréaliste, né le 21 novembre 1898 à Lessines (Wallonie), et mort le 15 août 1967 à Bruxelles. Magritte est l’auteur d’une large production artistique : il aurait réalisé entre 1 000 et 1 500 peintures. Beaucoup d’entre elles jouent sur le langage des images sur les disjon,cation entre réalité et représentations. 

Le tableau Les Promenades d’Euclide, de 1955, est une huile sur toile de dimension 163 x 130 cm. Le tableau est intitulé Les Promenades d'Euclide, faisant malicieusement référence à l’un des pères de la géométrie (Euclide est un mathématicien de la Grèce antique). Néanmoins il ne représente pas Euclide en train de se promener, il utilise plutôt des effets de formes géométriques et des effets de perspective qui sont des conventions mathématiques. Le boulevard de promenades que l'on peut voir en perspective n'a donc rien à voir avec Euclide, il est complètement indépendant du personnage  tout en y faisant référence.
Le tableau, peint dans le tableau, qui se fond dans le décor de la fenêtre, paraît au premier coup d’œil invisible dans le décor. Tout comme les notions de géométrie et perspective qui régissent pourtant notre perception du monde.
Cette œuvre montre un intérieur donnant sur l’extérieur à travers une fenêtre. Il y a un chevalet identifiable, posé devant cette fenêtre centrée et encadrée par des rideaux. Un paysage représentant les toits d’une ville est visible par la vitre de cette fenêtre.
Au premier plan de ce paysage, nous voyons une tour avec un toit en forme de cône avec
une rangée de feuillages d’arbres. A droite, nous pouvons voir une large allée ou un boulevard qui donne l’impression de se prolonger droit dans les profondeurs du tableau.
Le toit et cette grande rue se font échos et sont tous deux placés dans la tableau
posé sur le chevalet. Ces deux éléments sont de forme conique et sont construits en perspective frontale. Leurs extrémités en pointe s’arrêtent sur la ligne d’horizon. L’ensemble de cette composition permet de les confondre et de créer à la fois une illusion d’optique qui
provoque une ambiguïté structurelle et visuelle. Finalement nous ne savons pas s'ils sont inventés ou s'ils font vraiment partie du paysage correspondant à travers la fenêtre.
La large allée est presque déserte à l’exception de deux silhouettes en plein milieu, qui sont peut être en pleine discussion. Les couleurs s’éclaircissent et deviennent floues lorsque notre vision se dirige vers l’horizon du paysage. Donnant l’impression que cette ville s’étend à l’infini.
Ici la présence du chevalet est primordiale. En effet ce chevalet joue un rôle important à l’intérieur de cette peinture. Le tableau qui repose sur lui, représente trait pour trait le paysage extérieur, c’est grâce au chevalet, à la bande blanche de gauche et une ligne de contour fine, à peine perceptible, marquée en haut,à droite et en bas du tableau que nous pouvons distinguer sa présence au centre de la toile de Magritte. Le tableau se fond entièrement dans le paysage et se prolonge dans celui-ci.
Par la continuité entre l'image du tableau et le paysage qui l'entoure, le tableau est donc relié en continu avec ce paysage. Sa position légèrement de biais casse l’homogénéité de la scène représentée. Le chevalet ne participe pas à cet effet de superposition miraculeuse. il nous indique clairement que le tableau est situé à l'intérieur de la pièce. Le chevalet permet ainsi de distinguer la présence d’une toile posée devant la fenêtre.L’artiste s'amuse à nous perdre.
Avec cette œuvre nous avons du mal à savoir où commence et où finit le paysage qui se confond dans la fenêtre et le tableau. 

Magritte nous montre que les images sont trompeuses et que l’on ne peut pas s’y fier. Vincent LASSEGUE

Les promenades d’Euclide (1955) 33 x 48.5 cm, de René Magritte

Éloge de la dialectique (1937) 38 x 32 cm, de René Magritte

La Condition Humaine (1935) 100 cm x 81 cm, de René Magritte  
« Magritte » dans la collection "Découvrons l'art du XX° siècle" - Éditions Cercle d'Art

Fenêtres de paix, 
Mur de Bethléem de Banksy

Banksy, un artiste sans visage, connu pour ses interventions in situ aux quatre coins de la planète, possède une démarche bien réelle. A travers ses travaux graffitis, qui sont une combinaison de pochoirs et d’écrits, il dénonce, souvent en choquant, certains faits de la société comme des conflits ou la surconsommation. Au fil des années, il est devenu un artiste contemporain urbain très connu sur la scène internationale, même si son identité reste secrète.
Window on the West Bank fait partie d’un de ses projets nommé Santa’s Ghetto.
En 2005, Bansky a produit 9 visuels sur le mur de séparation construit entre Israël et la Cisjordanie, côté palestinien, à Bethléem. Ces visuels sont lourds de sens, dans le contexte d’oppression que vievent les palestiniens.
Ce graphe met en scène la vue, depuis un salon, sur un extérieur, au travers d’une fenêtre.
Le paysage du dehors montre une nature verdoyante, paisible et grandiose avec une montagne enneigée qui culmine au centre. L'illusion de la fenêtre peinte sur le mur permet de transporter le regard vers un ailleurs et peut-être de donner une perspective d’espoir. Ce mur qui est le symbole d’oppression et de privation de liberté pour les palestiniens reste triste, tout comme leur salon tracé en noir et blanc par l’artiste, alors que derrière, tout près, parait un paysage paisible et gai. Cette fenêtre, un objet du quotidien, représente ici le passage vers un futur libre. Ainsi l’artiste dénonce une injustice. Le contraste colorimétrique et visuel entre l’intérieur (le salon) et l’extérieur (le paysage) appuie sa démarche.
Cette œuvre, symbole de liberté contraste avec la situation politique du pays. Bansky veut donner un message d’espoir aux palestiniens par l’intermédiaire du paysage sauvage, symbole de liberté et tranquillité. Cette fenêtre est une première percée dans ce mur, un premier pas vers la Paix.

Marie DONNOU
Projet Santa's Ghetto (2005), de Banksy, Street Art en Palestine

Une ouverture bousculée, 
Nature morte à la fenêtre de Juan Gris

Juan Gris, est l’un des fondateurs du Cubisme, ainsi que Braque et Picasso. La préoccupation première des artistes cubistes est la figuration des volumes. Ils ne se contentent plus d’un seul point de vue mais de plusieurs qui viennent cohabiter les uns avec les autres provoquant une perte de repères pour le spectateur.
Son œuvre « Nature morte à la fenêtre », peinte en 1922 représente divers objets comme un vase ou un journal devant une fenêtre. Les principales couleurs présentes dans le tableau sont le noir, le bleu ainsi que le gris. Ici, Juan Gris simplifie les formes et parvient à les unifier avec le fond, grâce à un jeu de couleur d’une part, et un jeu de ligne diagonale qui viennent liées les différents composants du tableaux entre eux. Il joue avec la perspective et donne une impression de mise à plat dans cette œuvre. Il qualifie lui même ses tableaux  "d’architecture plate colorée", cependant l’œuvre garde une unité générale, une homogénéité. La lumière a aussi son importance, issue d’une source unique, elle est utilisée pour mettre en avant le volume des objets, donner une touche « réaliste » à l’ensemble. Juan Gris accorde une grande importance à la mise en scène. Enfin une deuxième mise à plat est présente dans ce tableau, la fenêtre, fragmenté et totalement décalée donne l’impression d’être fusionnée avec les différents éléments peint devant elle, mais aussi avec le fond bleu, qui s’apparente à un ciel.

Juan Gris, avec les Cubistes, conteste la façon de peindre  qui existe depuis la Renaissance. Pour eux la peinture n'est plus une fenêtre ouverte sur le monde, mais un espace expérimentale, une surface où s'invente l'art.
Léon DE CONINCK

Nature morte à la fenêtre (1922), de Juan Gris

Quand la fenêtre devient le matériau de l'artiste
La fenêtre aveugle
Fresh Widow de Marcel Duchamp

Marcel Duchamp est l’un des artistes phares du mouvement Dada. Il est surtout l’inventeur du Ready-made, un concept qui remet en question la nature de l’œuvre d’art.
Selon André Breton, le Ready-made, qui peut se traduire par préfabriqué, est un « objet usuel promu à la dignité d’objet d’art par le simple choix de l’artiste ». Créer un ready-made consiste à choisir un objet manufacturé, d’y apposer une signature, parfois quelques modifications, puis de le sortir de son contexte en l’exposant en tant qu’œuvre. Ainsi la signification d’usage de l’objet disparait sous son nouveau statut d’œuvre d’art.
Dans le cas de Fresh widow, l’œuvre a été fabriquée par un charpentier, sous les instructions de Marcel Duchamp en 1920 à New York. Il s’agit d’une fenêtre miniature en bois, peinte en bleu et dotée de 8 carreaux qui, au lieu d’être en verre, sont des morceaux de cuir noir.
A La base de la fenêtre est inscrit le nom de l’œuvre ainsi que les mots « COPYRIGHT ROSE SELAVY 1920 ». C’est ainsi que Marcel Duchamp signe cette œuvre, sous son pseudonyme féminin Rose Selavy, inspiré du dicton « eros, c’est la vie ».
Marcel Duchamp affectionne particulièrement les jeux de mots : on en retrouve un ici avec le titre « Fresh widow ». On comprend facilement qu’il est censé désigner une
"French window", c’est-à-dire une fenêtre française à battants, contrairement aux fenêtres américaines qui s’ouvrent en coulissant à l'horizontal. Mais en changeant quelques lettres, Marcel Duchamp en transforme le sens, et le titre devient « veuve fraiche », ou « veuve effrontée », soi-disant en référence aux nombreuses femmes devenues veuves suite à la première Guerre Mondiale.
La fenêtre est un objet se rapportant aux notions de vision et de perception qui ont une place importante dans le travail de Marcel Duchamp. Dans l’art également, la fenêtre est un thème qui fascine : déjà au XVème siècle, Alberti assimile le tableau à « une fenêtre ouverte sur le monde » dans un de ses traités fondamentaux sur la perspective. Pourtant ici, la fenêtre n'ouvre sur aucun paysage, sur aucun espace fictionnel. Les carreaux de cuirs, qui peuvent rappeler la notion de deuil liée au titre, créent surtout une fenêtre aveugle : le spectateur s’attend à pouvoir voir à travers, ou à y trouver son reflet, mais est désappointé par le cuir noir. Au lieu d’être une transition, elle s’affirme comme objet à voir. Pour couronner le tout, Duchamp lui donne l’usage d’un objet plus que celui d’une œuvre d’art en incluant dans son concept une notice d’entretien : les vitres de cuir doivent « être cirés tous les matins comme une paire de chaussures, pour qu'elles reluisent comme de vrais carreaux ».
Avec Fresh widow, Marcel Duchamp cherche à remettre en question plusieurs notions importantes dans l’art : la position et la définition de l’œuvre d’art face à celles de l’objet, et le symbole métaphorique de la fenêtre.

Morgane GIVELET

« Fresh Widow » Bois peint, cuir, 79,2 x 53,2 x 10,3 cm
© 2017 The Museum of Modern Art
© Guillaume Victor Laplace, 2012-2017

Fenêtres de lumière
Skyspace de James Turrell

James Turrell est né en 1943 à Los Angeles. Cet artiste se sert de la lumière et de l’espace comme moyen d’expression. Il vit et travaille à Flagstaff en Arizona, ainsi qu'en Irlande.
Turrell est passé maître dans la manipulation de la lumière pour lui donner une qualité matérielle. Il est surtout connu pour ses projections lumineuses qui créent des formes semblant posséder une masse bien réelle, mais qui ne sont créées qu'à partir de lumière.
Nous sommes dans les années 70 et la Californie est toujours une région isolée du reste de l'Amérique. Malgré ça, James Turrell incarne un nouveau courant artistique, dit « Light and Space », qualifié de courant luministe ou de minimalisme californien, qui deviendra internationalement reconnu par la suite. L’appropriation et la transformation de la lumière fonde la démarche de l’artiste.

Si une grande partie des œuvres de James Turell sont réalisées à l'aide de sources lumineuses artificielles, il crée également des espaces qui s'ouvrent sur le ciel et qui s'intéressent à la lumière naturel.
Il les nomme des Skyspaces.
Un Skyspace est donc une œuvre composée d'une pièce, peinte d'une couleur unis, possédant une ouverture dans son plafond. Cette ouverture, cette fenêtre peut être ronde, ovale ou carrée et permet d'observer le ciel comme s'il était encadré. Des lumières entourent l'ouverture et peuvent changer de couleur afin d'altérer la perception du spectateur.
Ces espaces dénués d’objets sont ainsi essentiellement habités par la lumière. Cette trouée plonge le regard dans la lumière, qui ne cesse de changer au cours de la journée. La perception de cet espace n’est jamais la même compte tenu de l’instabilité du ciel. De plus, en se reposant sur une plinthe, en s’asseyant sur des bancs ou en restant debout, le spectateur n’aura jamais une vision identique de l’œuvre.
Les Skyspaces peuvent être des structures autonomes ou intégrées à une architecture existante. Selon les termes de Turrell : « la chose la plus importante est que l'intérieur se transforme en l'extérieur et vice-versa… »
Grâce à ces ouvertures ou a ses installations de lumière, James Turrell nous plonge dans un monde parallèle. On est comme déconnecté du temps, entre imaginaire et réalité. Nous n’arrivons plus à discerner les frontières entre peinture et ciel. Les Skyspaces viennent tromper notre regard et jouer des tours à notre cerveau. Une illusion qui rend ses œuvres aussi fascinantes que captivantes.
La fenêtre sert de viseur sur le monde extérieur, elle ne capte qu’une partie du ciel, comme pour ne garder que l’essentiel.
Arthur PIETO

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Skyspace ©, de James Turell
Third breath (2005), de James Turell
Above horizon (2004), de James Turell
Ciel pescher (2005), de James Turell

Fenêtres de mémoire 
The Room of Memory de Chiharu Shiota

The Room of Memory a été installée dans divers lieux et notamment en 2009 au Musée d'art contemporain du XXIe siècle à Kanazawa au Japon et en 2012 au Haunch of Venison à New York. Dans cette installation, l’artiste, Chiharu Shiota, fait de la fenêtre le matériau essentiel de son œuvre. Elle assemble et superpose pas moins de 400 fenêtres. Ces dernières proviennent de sites en cours de démolition, de maisons abandonnées dans le Berlin-Est après la réouverture du mur en 1989. Cette structure singulière forme alors une sorte d’architecture, de tour, de grande cabane vitrée. Chacun y voit en réalité ce qu’il souhaite. Éclairée de l’intérieur, l’installation invite le visiteur à y pénétrer par une étroite ouverture. Démarre alors une expérience à la fois visuelle et émotionnelle. D’une part, la perception varie en fonction du point de vue et la place dans laquelle on se trouve. D’autre part, ces fenêtres font écho aux stigmates du passé et à leurs anciens propriétaires qui regardaient à travers elles. En mémoire à l’histoire de la ville, c’est une manière de leur rendre hommage. Paradoxalement, cette immense verrière évoque des notions de légèreté dans la forme tout en portant une densité de sens dans son contenu.
Chiharu Shiota est une artiste japonaise essentiellement connue pour ses performances
artistiques et ses installations spectaculaires. Ces sujets favoris sont l’enfance, les rêves,
le sommeil, l’anxiété, le passé, les souvenirs, et l’oubli. L’artiste collecte et accumule de vieux objets du quotidien qu’elle trouve notamment dans des chantiers, des constructions
désertes et démantelées, des hôpitaux psychiatriques désaffectés ou encore dans des appartements inhabités. Ses propositions in situ engagent souvent l’implication mentale et corporelle du spectateur.

Laëtitia GERARD
A Room of Memory, (2009) Chiharu Shiota,
21st Century Museum of Contemporary Art, Kanazawa ©
A Room of Memory, (2009) Chiharu Shiota,
21st Century Museum of Contemporary Art, Kanazawa ©
A Room of Memory, (2009) Chiharu Shiota,
21st Century Museum of Contemporary Art, Kanazawa ©


Jouer avec la fenêtre  

L'humour dans l'art, 
Penalty de Wim Delvoye

Depuis longtemps le sport inspire les artistes. L’art maltraite, aime, détourne, déteste et sublime le sport surtout l’art contemporain.
On retrouve cette intérêt dans l’œuvre de l’artiste belge Wim DELVOYE intitulée Penalty II. Réalisée en 1990, elle prend la forme dun but de handball dont les filets sont remplacés par des vitraux. La structure du but est en acier recouvert de peinture et les vitraux sont en verre coloré, métal et peinture émaillée. Cette œuvre est à l’échelle une, elle fait donc : 200 x 300 x 100 cm.
L’artiste est connu pour tourner en dérision et revisiter notre monde en créant des paradoxes. Il rassemble les contraires, détourne des objets… Il nous amène à nous interroger sur nos rapports avec les objets, la société, notre vision…
Le contraste entre la structure robuste et les vitraux si fragiles peut créer un malaise ou un sourire.  

Wim Delvoye aime jouer avec les objets pour les entrainer dans d'autres domaines que ceux auxquels ils sont habituellement associés…
Par exemple avec son Pneu dentelé, il met en parallèle la robustesse, les travaux durs auxquels il est destiné et la dentelle, si fragile et délicate.
L’artiste aime également mélanger les styles anciens et l’art populaire. On le retrouve dans cette création qui met à côté des vitraux (art passé) et une cage de hand (objet contemporain). Ici l’artiste fait de cette œuvre une représentation humoristique et sarcastique, en mettant en scène une cible pour une balle et des vitraux qu'on essaie habituellement de protéger. C’est une création qui vise à provoquer celui qui la voit, qui se tient dans la position  du joueur.
« L’art est un jeu avec des règles, mais on ne peut gagner qu’en changeant ces règles. » dit Wim Delvoye.
L’artiste a ainsi créé une série de but de hand dont les filets sont tous remplacés par de fragiles vitraux représentant des scènes médiévales ou des saints qui se muent en gardiens de but. En appelant son œuvre Penalty il incite le public à s'imaginer tirer dans le but comme on le ferait pour un penalty, où l’on marque seul devant le gardien.
Wim Delvoye n’est pas seulement un artiste qui imagine des œuvres mais également un plasticien qui aime mettre en valeur le travail des artisans.

Margot CHEVALLEREAU
Penalty (1990), de Wim Delvoye
Penalty (1990), de Wim Delvoye
Pneu dentelé (2009), de Wim Delvoye


Une fenêtre dans le paysage
Fiction : Journal de bord Dan Graham, 
Austvågøy or Austvågøya de Dan Graham

Jour 1 - C’est un matin de printemps calme. Accompagné de l’artiste Anne Katrine Dolven et d’Astrid Arnoy, chef des affaires culturelles de la municipalité de Vagan, j’arpente avec ardeur le sol des îles Lofoten, situées dans le cercle polaire Arctique.
Nous parcourons l’endroit de long en large, croisant sur notre chemin une multitude de villages et des maisons de pêcheurs. Mes deux guides m’observent, ne me quittent pas du regard. Je sais ce qu’elles attendent ; elles guettent le moment où je trouverai enfin l’endroit parfait. Le lieu qui verra naître ma prochaine création. Moi, je reste calme, l’œil pénétrant, j’aimerais m’imprégner du paysage pour mieux comprendre sa constante évolution.
Jour 2 – Je dois choisir l’endroit avec précaution, c’est d’une importance capitale. Mon œuvre ne devra effectivement pas paraître matérielle aux yeux des spectateurs, mais plutôt être perçue comme une chose qui a le pouvoir de capter la lumière et l’image du paysage environnant. Tout mon travail s’articule autour de ce qui touche la perception, la place du spectateur dans l’art et ma future construction de verre et d’acier inoxydable n’échappera pas à cette règle. Je sais exactement à quoi elle ressemblera : il s’agira d’un triangle de miroirs dont l’un des côtés sera incurvé, concave. J’aimerais que la courbe lente du verre, à la fois transparente et réfléchissante, forme un mur panoramique dans lequel viendront se dessiner le paysage et la lumière du soleil. L’observateur sera à la fois face à un décor
magnifique, qu’il pourra percevoir directement, mais aussi face à la représentation de ce paysage.
Mais je veux tromper le spectateur, le déstabiliser : alors qu’il croira contempler, à première vue, les montagnes au travers de simples panneaux de verre, il se rendra finalement compte que mon œuvre fait état du panorama qui se situe derrière lui, qui se superpose, s’intègre à celui qui se trouve en face. Peut-être alors se posera t-il des questions, peut-être s’interrogera t-il sur sa position dans le monde ou sur sa façon d’observer l’univers qui l’entoure. Tout du moins je l’espère.

Jour 3 – Dernier jour dans les îles Lofoten. C’est aujourd’hui. Je le sens. Une intuition me pousse à retourner à Lyngvaer. Le petit groupe s’approche de l’ancien embarcadère du ferry. L’excitation est à son comble, mes yeux cherchent de tous côtés avec avidité, quand soudain : « STOP ! » ai-je crié. J’ai trouvé. Je me précipite. Mes mains en visière me permettent de scruter l’eau. Deux minutes s’écoulent pendant lesquelles je ne tiens plus en place. J’ai enfin trouvé ! « Là ! ».

1996
Ma sculpture, réalisée en Suisse, a été installée sur ses fondations, gérées par la municipalité de Vagan, à l’endroit exact que j’avais repéré 15 mois plus tôt. « Untitled »,
mesurant 2,50m de haut par 3m de long, se situe donc à quelques mètres de la route principale, invitant les passants à venir la contempler. Elle est exactement comme je l’imaginais : accessible physiquement et mentalement.
Des nouvelles que j’ai reçues, beaucoup de gens ont assisté à la cérémonie de dévoilement. Pas moi. J’irai la voir lorsqu’elle se sera véritablement installée, fondue dans
son environnement. La population locale semble l’avoir adoptée. Ils l’ont même rebaptisée la « cabine de douche » pour contrer le "non titre" que je lui avait donnée. Je n’en suis pas peu fier. Ce qui a eu l’air de les impressionner tout particulièrement est que le verre utilisé est le même que l’on trouve sur certains gratte-ciel de New-York.
Ma création fait de l’observateur un acteur du paysage, il entre dans un processus d’expérience dans lequel il a la possibilité de réguler le rythme de son récit. « Untitled » n’est pas un objet, mais à la vocation d’être un événement en constante évolution, qui ne représente jamais deux fois la même chose. Les montagnes et l’eau changent d’apparence au fil du temps, des saisons, du moment de la journée. Les miroirs sont donc le moyen de faire état des ces transformations et mon installation conduit finalement à une rencontre vertigineuse et amplifiée du spectateur avec le paysage qui l’entoure.



Untitled (1996), de Dan Graham, 
construction faite de 3 miroirs avec une face incurvée 
qui réfléchit les transformations du paysage environnant


Œuvre jouant sur la présentation et la représentation d'un même paysage

Image de spectateurs se reflétant dans l’œuvre de Dan Graham
Delphine Le Mao


Fenêtres colorées, 
Façade Sud du Corbusier

" En bâtissant cette chapelle, j'ai voulu créer un lieu de silence, de prière, de Paix, de joie intérieure. Le sentiment du sacré anima notre effort. Des choses sont sacrées, d'autres ne le sont pas, qu'elles soient religieuses ou non.", Le Corbusier.
La chapelle Notre-­Dame du Haut à Ronchamp (Bourgogne-Franche­-Comté) fut endommagée suite à la libération en Septembre 1944. Une association a fait appel au célèbre architecte Le Corbusier pour la reconstruire.
Le chantier débuta en 1955 lors du grand élan d’enthousiasme de la période de la reconstruction de la seconde guerre mondiale.
A sa construction, la chapelle surprit ses spectateurs par sa modernité, ses formes déconcertantes, ses matériaux ainsi que la variété des sources de la lumière. Les travaux se sont portés sur l’intégralité de la chapelle mais ici, nous allons uniquement traiter le jeu des lumières à travers le mur-verrière. Le but de cette rénovation était de réinterpréter d’une façon nouvelle la religion pour que les portes de la chapelle soient ouvertes à tous.
Cette structure architecturale a été inspirée de l’incipit de l'Évangile de Jean, résumé ici : si le Christ est Verbe, Parole, il est aussi Lumière, et la réception / non réception de cette Lumière par l'humanité et l'Incarnation vue comme Descente de la Lumière.
A l’intérieur de la chapelle, sur la façade sud, le matériau, c'est la lumière. Le Corbusier a imaginé pour cette occasion, des fenêtres jouant le rôle de puits de lumière. Le mur-verrière, possède une forte épaisseur, permettant de construire des appareils de captation de la lumière sous forme de parallélépipèdes s’élargissant de l’extérieur vers l'intérieur (en vase optique), ou de l’intérieur vers l’extérieur (en entonnoirs). Ces fenêtres varient en fonction de leurs formes, rectangulaires ou carrées, verticales ou horizontales. Les dalles de verres sont une technologie développée vers 1950 par Ephrem Socard à l’Abbaye d’En Calcat. Elles sont colorées et encastrées dans le béton, au fond de la “boîte à Lumière”.
Pour Le Corbusier, il ne s’agit pas de vitraux, mais de vitrages, au travers desquels on peut voir passer les nuages ou remuer les feuillages des arbres à l’horizon. Les verres sont parfois inscrits par des mots ou des dessins stylisés de fleurs, d’étoiles ou de lunes. La couleur est utilisée avec parcimonie : les verres reçoivent des éléments rouge, vert, jaune ou bleu dont la fonction est de colorer les parois de la boite optique de reflets. Les parois de ces boites sont de ce blanc grenu qui couvre les murs, mais certaines semblent peintes tant le rayonnement du verre coloré les embrasent.
La Chapelle Notre-Dame du Haut de Ronchamp est l’icône de l’architecture sacrée chrétienne qui révolutionne l’architecture religieuse au XXème siècle. Cependant, les techniques innovantes de l’époque utilisées par l’architecte ne suffirent pas pour préserver l’édifice des dommages du temps. Ainsi, des dégradations ont été constatées sur le mur sud qui subit les plus fortes contraintes thermiques. Aujourd’hui, les travaux de rénovation de Notre Dame du Haut sont estimés à 3 millions d’euros. L’association propriétaire des lieux fait appel à des donateurs pour les aider à remettre sur pied ce patrimoine mondial.



Chapelle Notre Dame du Haut, 
Ronchamp (photo Paul kozlowski© ADAGP)
Le mur de lumière, Chapelle Notre-Dame-du-Haut, Ronchamp (photographie lavieb-aile)
Chapelle Notre-Dame-du-Haut, Ronchamp (photographie lavieb-aile)
La Chapelle Notre-Dame du Haut de Ronchamp est une icône de l’architecture sacrée 
chrétienne qui révolutionne l’architecture religieuse au XXème siècle.
Mélanie DELAUDE

 
Fragments colorés, frontière intérieur extérieur, 
Boghossian Foundation de Daniel Buren

Créée en 1992 par Robert, Jean et Albert Boghossian, la Boghossian Foundation veut améliorer les conditions des jeunes en Arménie et au Liban en encourageant leur potentiel dans l'optique d'un meilleur avenir. Elle contribue à l'éducation de la jeunesse et à sa formation. La Fondation restaure entièrement la villa Empain et en fait son siège en 2010. C'est devenu le centre d'art, « l'écrin muséal », le centre de dialogue entre les cultures Occidentales et Orientales.

La Villa d'Empain fût construite par une famille d'industriels Belge en 1932, puis occupée par les nazis. Par la suite, elle devient une ambassade soviétique, etc.. Cependant, cette sublime villa, chargée d'histoire, désormais centre d'art, accueille des oeuvres d'art contemporain, des expositions où dialogue les cultures d'Orient et d'Occident. 


Boghossian Foundation vue de l'extérieur CC: © Daniel Buren / ADAGP, Paris.


En 2016, Daniel Buren a participé à une exposition intitulée "Décor". Cet artiste français, aime jouer avec les couleurs qui sont essentiellement primaires, et notre perception de l'espace. Sans même poser le pied dans l'enceinte de la villa d'Empain, on reconnaît le travail de Buren de part ses formes géométriques simples mettant en valeur l'espace qui les accueillent. Des films de vinyle de couleurs primaires, à l'image des vitraux d'une cathédrale, jouent avec notre perception de la lumière et notre perception de l'extérieur. Notre vision devient alors fragmentée et modifiée en fonction du positionnement des filtres et des lignes blanches placés sur les fenêtres. Ainsi, en fonction de notre situation dans la villa, un même espace sera perçu différemment.

Vue extérieure : © Daniel Buren / ADAGP, Paris.

Le travail de Buren ne laisse que partiellement traverser la lumière à l'intérieur de la villa d'Empain, ce qui a pour effet de nous plonger, nous, visiteurs, dans les volumes du bâtiment. Ce filtre qui délimite le monde intérieur et extérieur génère une atmosphère apaisante et appropriée pour l'usage du bâtiment, à savoir un musée.
Les reflets créés sur le sol marbré par ces vitraux fait vivre l'espace intérieur puisque l'intensité lumineuse diffère selon les moments de la journée et des saisons. Ainsi, le spectateur pouvait découvrir et redécouvrir l'intérieur et l'extérieur de la villa d'Empan aux travers des installations de Buren sur les fenêtres.

Vue intérieur © Daniel Buren / ADAGP, Paris.

Melvin BOSSIS
 
L'Oracle des fenêtres, Clockwork de Ugo

Clockwork of oracles, de Ugo Rondinone a été exposé au CIA en 2005. En entrant dans la pièce, où Clockwork of oracles est exposée, le visiteur est transporté dans un univers coloré et stimulant. Rondinone décrit cette pièce comme «un champ ouvert pour que les choses se passent». Son œuvre murale de 964,0 x 746,0 cm est composée de 52 fenêtres de différentes tailles et couleurs. Le mur du fond a été blanchi à la chaux et tapissé de papier journal. Les fenêtres qui y sont accrochées, ne sont pas ordinaires, leurs vitres ont été remplacées par des miroirs qui reflètent l’espace et le spectateur. Les miroir ont été recouverts de gel plastique (rose, indigo, jaune etc.).
Clockwork of Oracles est une œuvre figée qui a besoin d’une interaction avec le public et avec son environnement pour prendre vie. Le titre de l’œuvre signifie mouvement d’horlogerie pour oracles. On découvre dans cette installation, que l’artiste a établi un lien entre le temps et la fenêtre. L’oracle est une figure divine chargée de prédire l’avenir et le mouvement de l’horloge nous permet de mesurer le temps qui passe. L'artiste multiplie les détails : comme le papier journal sur le mur, qui porte des dates de parution. Chaque page rappelle un moment précis passé. Le nombre des fenêtres n’a pas été choisi au hasard, il fait référence au nombre de semaines dans l’année… L’idée de cycle transparaît.
Le rôle du public dans cette œuvre n’est pas seulement d’être spectateur mais acteur. Effectivement, dans l'espace d’exposition, un jeu de reflet se trame avec le visiteur, qui est amené à regarder les fenêtres multicolores pour se voir. Les surfaces réfléchissantes conduisent les à une réflexion personnelle. Elles renversent le regard, inversent la perspective. La fenêtre symbolise l’ouverture, le regard sur l’extérieur mais ici, elles sont centrées sur l’image, les émotions du visiteur.
Clockwork of oracles fait référence au passage du temps et à la réflexion personnelle. Cela nous interroge sur notre mortalité et condition humaine, c’est-à-dire sur notre existence éphémère.

Vue de l'installation Clockwork of Oracles II (2008), d'Ugo Rondinone,
de l'exposition Good evening beautiful blue à The Bass. 
Photographie par Zachary Balber.

Clockwork for oracles II (2008), d'Ugo Rondinone,  
exposition Good evening beautiful blue à The Bass. 
Photographié par Zachary Balber

Clara-Line OGER

La fenêtre cinématographique
Solitude contemplatrice, 

Morning Sun d'Edward Hopper

Morning Sun, peint en 1952, est une huile sur toile exposée au Museum of Arts  (Colombus, USA). Le titre pourrait se traduire par «Soleil du matin» en Français
Dans un espace aussi ouvert que clos une jeune femme est assise sur un lit, face à une fenêtre. Un intérieur clos, au centre de cette scène, une femme seule, face à une fenêtre donnant sur un extérieur lumineux. Elle semble dans une sorte de réflexion teintée de solitude. Nous adoptons une position d’observateur silencieux. La fenêtre qu’est le tableau nous place dans la même pièce que cette femme pourtant seule, elle ne nous regarde pas. La pièce est vide, neutre, nue, aucun élément ne se détache des murs ce qui ajoute encore à la solitude et au silence qui émane de cette œuvre.
La jeune femme est assise sur le lit, face à la fenêtre, elle regarde les toits qui se dessinent dans les premiers rayons du soleil. Le temps semble comme figé, la femme paraît être dans l’attente de quelque chose qui n’arrive pas. Ce tableau pourrait être une illustration de notre société contemporaine. Au travers de ses toiles, Hopper devient «le peintre de la vie et de la réalité au quotidien». Ce tableau n’est pas le seul qu’il ait réalisé montrant des personnes seules regardant par la fenêtre, toute une série découle de cet univers et à chaque fois le lieu dans lequel se trouve le personnage est géométrique, nu et met en avant le personnage présent dans la scène. Ce thème de solitude et de rêverie est souvent au centre de ses œuvres. La rêverie tend vers la nostalgie, la mélancolie.
En analysant davantage le tableau nous nous apercevons que cette femme, assise sur ce lit, est en réalité Josephine Verstille Nivision, la femme du peintre. Ce corps froid et muet est l’illustration du caractère de cette femme. Une personne qui semble porter un masque de neutralité et de résilience. Un témoin de la vie implacable qui défile. Bien que nous puissions appréhender le ressenti de la protagoniste, il nous est en revanche impossible de déterminer la cause de ce sentiment. L’artiste ne met pas de mot non plus sur les raisons de cette mélancolie et disait souvent «Si vous pouviez le dire avec des mots, il n’y aurait aucune raison de le peindre».
En se penchant vers le travail purement plastique de l’artiste nous pouvons en comprendre la construction et notamment les jeux de lumières avec la peau blanche de la femme, les draps illuminés et les ombres qui se projettent. Le dessus de la fenêtre est très sombre et délimite la jonction/ frontière entre la lumière de l’extérieur et celle qui entre dans cette pièce qui s’apparente de plus en plus à une prison, elle délimite la vie extérieure de la vie intérieur, plus secrète, plus intime.Un extérieur ou nous apercevons d’autres fenêtres alignées derrières lesquelles la même scène est potentiellement en train de se dérouler. Ce tableau n’est pas une œuvre qui se lit picturalement mais un tableau qui exprime l’homme, l’être humain, ses ressentis, ses peurs...
La femme n’est pas le seul élément de cette œuvre. L’élément qui délimite, ouvre, définie et construit cette œuvre est la fenêtre. Cet élément est lui aussi central dans le travail d’Edward Hopper. Telle une scène de cinéma, nous faisons fasse à une énigme qui adopte certain code de la représentation cinématographique par sa construction, la disposition des éléments présents et l’orientation du personnage. Ce face à face silencieux entre le personnage et la fenêtre nous pousse à une interprétation personnelle.
La femme semble ne pas avoir accès à la vie extérieure et ne peut que la contempler de sa chambre. Pourtant une corrélation existe entre la fenêtre et le lit ou se trouve la femme : les deux sont de même dimension. Comme si elle était bloquée sur ce lit, faisant face à ce qui aurait dû être la continuité de sa propre vie qu’elle ne peut que contempler. A contrario elle pourrait aussi faire face à son avenir, un avenir qu’elle voit venir, sans surprise, sans sursaut et vers lequel elle ne souhaite pas avancer.


Morning Sun (1952), d'Edward Hopper

Western Motel (1957), d'Edward Hopper

Excursion into Philosophy (1959), d'Edward Hopper
Kilian CORNILLON

Un regard sur le statut d'émigré,
Guests de Krzysztof Wodiczko

Krzysztof Wodiczko est un artiste Polonais né à Varsovie en 1943. Tout d'abord diplômé en design Industriel, il est davantage connu pour ses interventions artistiques dans l'espace public. Le travail de Krzysztof Wodiczko traite essentiellement de problématiques sociales, notamment liées aux thématiques de l'exclusion sociale et de l'immigration. Ses œuvres témoignent de cet engagement social profond. De plus, nous percevons à travers son travail un dialogue récurrent avec l'architecture.
En 2009, lors de la 53ème Biennale de Venise, il réalise l'exposition Guest, spécialement conçue pour le pavillon polonais. Il s'agit d'une installation vidéo, composée de projections lumineuses sur les murs intérieurs du pavillon à travers laquelle l'artiste explore le concept de l'autre ; de l'étranger. Ces projections créent l'illusion de fenêtre translucides, ouvrant ainsi l'espace et dévoilant des silhouettes humaines semblant provenir de l'autre côté du mur. Ces silhouettes ne sont autres que celles de migrants venus de diverses régions du monde et vivant en Pologne, préalablement filmés par l'artiste. Ainsi, le spectateur assiste à diverses scènes dans lesquelles il perçoit les immigrés en perpétuel mouvement, bougeant de bas en haut le long d'échelles, apparaissant et disparaissant, tout en s'adonnant à diverses activités telles que le nettoyage des vitres de ces fenêtres illusoires.
L'aspect brumeux des vitres brouille ces figures humaines, les éloignant un peu plus
encore du public qu'elles ne le sont déjà par la barrière physique créée par les fenêtres, illustrant ainsi leur invisibilité sociale liée à leur statut d'immigrés. De plus, cette distance semble évoquer la peur de l'autre, la peur de l'étranger.
« Dans la projection de Wodiczko (...), il s'agit de la visibilité de l'invisible, de la vision elle-même et, inévitablement, d'un manque de vision. D'une part, les immigrés derrière
les vitrines, leurs visages s'effacent contre l'image opaque, d'autre part, ils sont incapables de voir ceux qui les regardent » témoigne Bożena Czubak, la conservatrice de l'exposition.
Le titre de l'exposition, Guests (se traduisant par « Invités ») fait directement écho au statut des immigrés, « Des gens qui, n’étant pas chez eux, restent “d’éternels invités" » explique Bozena Czubak. La technique de la projection murale n'est pas une première pour l'artiste polonais. En effet, il utilisait déjà cette technique afin d'animer les façades extérieures de bâtiments publiques, notamment dans Sans Papiers, une exposition elle aussi dédiée aux immigrés et présentée au Kunstmuseum de Bâle en 2006.
Photographie issue du document filmé de l'expositionKrzysztof Wodiczko
© et Profile Foundation


Jon Barraclough ©



Marianne GUILLOT
 

Une fenêtre comme seul échappatoire,
Alice de Cristina Lucas

« ALICE » c’est le nom d’une installation dans la ville de Séville en Espagne, réalisée par Cristina Lucas une artiste espagnole. Christina Lucas est une artiste qui aime questionner les mécanismes du pouvoir mais aussi, les structures politiques et économiques dans ses œuvres afin de soulever les paradoxes de la vie. ALICE est une installation réalisée en 2O13 au centre d’art contemporain de Séville. Inspirée par la scène de Alice au Pays des Merveilles dans laquelle Alice est devenue trop grande et est coincée dans une pièce,
Christina cherche ici à représenter à travers deux fenêtres sur un mur de maison ocre une femme enfermée. Une première fenêtre nous dévoile le bras de la femme pendre, ce bras est un symbole de lassitude ou simplement d’un désir d’évasion d’un univers oppressant. L'image donne une dimension de prison à la maison. A travers la deuxième fenêtre, on peut voir le visage de la femme scruter l’horizon sans aucune émotion. L’installation dans son ensemble peut être interprétée de différentes façons, elle peut représenter l’enfermement des femmes au sein de la société ou encore l’idée qu’il est toujours impossible pour une femme de pouvoir vivre sans être cloisonnée aux clichés de la femme de maison. La femme semble rêver d’évasion, semble lassée d’être partie intégrante du foyer dans lequel elle s’investit au point de fusionner avec. Son seul moyen d’échappatoire : deux fenêtres trop étroites pour pouvoir s’échapper. A travers ces fenêtres symboliques de la liberté, Christina Lucas transpose le conte dans la réalité traduisant l’enfermement morale et physique de la femme dans la société andalouse.

Alice, de Cristina Lucas © Luis Duràn

Alice au pays des merveilles, Le film de Tim Burton, scène de la chambre

Cédric MARMONNIER


Comme un parfum d’égoïsme, 
Egoïste Chanel de Jean Paul Goude


Le film publicitaire pour le parfum « É
goïste » de Chanel a été réalisé par Jean-Paul Goude en 1990. La pub démarre en noir et blanc Sur la musique de la Danse des Chevaliers du ballet Roméo et Juliette, scène 4 n° 13, de Prokofiev. Aux fenêtres d'un palace luxueux, des femmes en robe haute-couture crient leur haine pour un homme avec des airs de tragédiennes, en reprenant des vers du Cid de Corneille. La Pub passe ensuite en couleur après l’apparition du bras nu d’un homme, il pose sur la balustrade de son balcon, le flacon de parfum « Égoïste ». Les femmes se mettent alors à hurler "Égoïste" en ouvrant et fermant les volets au rythme de la musique.


Extrait du film publicitaire pour le parfum « égoïste » de Chanel
Goude a déclaré à propos de son film publicitaire : « L’idée du film est basée sur l'ambiguïté de ces femmes. Hurlent-elles au vent leur frustration sexuelle à l'égard de ce séducteur caché ? Ou bien lui reprochent-elles de ne pas vouloir partager son parfum ? »
Véritable œuvre cinématographique, la publicité a nécessité la construction d’un bâtiment ressemblant énormément à l’hôtel Carlton de Cannes dans un désert brésilien, en quatre semaines et par près de 300 ouvriers. L’édifice a été entièrement construit en stuc.



Photo de la construction du décor pour la pub du parfum « égoïste » de Chanel
Le scénario aurait d’ailleurs été inspiré d’un fait réel ayant marqué le réalisateur : « un macho ivre de jalousie avait coupé le nez de sa femme pour la punir de son infidélité. Penchées aux fenêtres de leur HLM, des ménagères d'origine maghrébines, témoins de la tragédie, insultaient le criminel tout en claquant les volets sur le rythme de la musique ambiante. ». La présence de fenêtres dans le film évoque donc une rébellion féminine, une dénonciation de l’homme et de ses comportements.


Extrait du film publicitaire pour le parfum « égoïste » de Chanel

Jean-Paul Goude a obtenu un Lion d'or à Cannes lors du festival international de la publicité en 1990 pour cette campagne et de nouveau l’année suivante pour le parfum COCO avec Vanessa Paradis pour Chanel.
En 2001, Michael Youn a fait une parodie de la pub dans son émission le « Morning live », dans laquelle il y inverse les rôles des femmes et des hommes.

Loun
a LAPLACE-CLAVERIE