mercredi 14 décembre 2016


Entre Utopie et Dystopie


L'utopie, vision personnelle et subjective d'un idéal de société imaginaire, est issue de la pensée et des expériences de chacun. Les différentes conceptions de ces sociétés idéalisées varient selon la conscience politique, l'imaginaire, les influences extérieures, les désirs et les rêves de chacun.
Une utopie peut-être pensée en réponse à un besoin, un manque, une déception, un regard sur la société dans laquelle son auteur vit. Son désir d'évasion, d'organisation est alors matérialisé par cette utopie et lui permet d'accéder à une forme d'émancipation par l'esprit. Une utopie n'a pas de limite dans l'idéal mais n'est pas à confondre avec l'idéologie, qui elle s'ancre plus dans le réel et le quotidien. Mais il semble qu'aussi parfaite soit-elle, elle comprend toujours les éléments qui la pousseront à se détruire et est donc forcément vouée à sa perte. Une utopie trop poussée aurait vite tendance à tourner vers la dystopie de par les éléments qui la constituent. De nombreux penseurs, humanistes et philosophes ont ainsi développé cette théorie comme c'est le cas par exemple dans l'utopie de Thomas Moore.
Aussi issue des pensées et réflexions de l'individu, une dystopie caractérise une société imaginaire à la gestion totalitaire et bornée, une idéologie néfaste et stérile. Une dystopie se caractérise souvent comme une contre-utopie, cherchant à contrer et défaire les visées des utopies, en montrant leurs limites et faiblesses ; dans le roman dystopique: "1984", George Orwell cherche-lui à dénoncer les idées de son temps telles que le stalinisme et les technos-utopies.
Victor Salinier et François-Marie Vaillant


L' UTOPIE...

Harmonieuse Cité Claude Nicolas Ledoux – Projet : la Cité Idéale de la Ville de Chaux


" Perspective de la ville de Chaux". Gravure du traité " l'architecture considérée sous le rapport de l'art, des mœurs et de la législation " de Claude-Nicolas Ledoux, paru en 1804.

La Cité Idéale de Chaux est un important projet d'étude de cité idéale, et de socialisme utopique du XVIIIe siècle de l'architecte urbaniste, franc-maçon et enfin visionnaire Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806). Surnommé « l'architecte des lumières » durant la période du siècle des lumières et de la Révolution française, il est un des principaux précurseurs de l'utopisme.
Cette cité ultra-futuriste et visionnaire pour son époque (la plus importante de son temps) est le projet d'étude majeur et le grand rêve de toute une vie. Elle est au centre d'une étude hyper prolifique de socialisme utopique universel. Il l'imagine, le réfléchit et le perfectionne durant plus de 30 ans.
Elle est composée de la Cité verte de 3 000 habitants, de la forêt de Chaux de 20 000 hectares, avec bâtiments intégrés dans la nature, architecture néoclassique, en forme d'amphithéâtre antique, inspiré par la civilisation gréco-romaine, l'équilibre, la géométrie.
Cette cité prône 3 grandes choses :
- La révolution industrielle et le progrès scientifique et sociale doivent apporter à la société bien-être, équilibre, harmonie, bonheur, épanouissement humain, dans une organisation saine du travail.
- Réinstaller la société dans son environnement naturel, avec l'espoir d'un meilleur mode d’existence de l'humanité, plus sain et plus joyeux.
- Perfectibilité des hommes corrompus et de communauté pacifiée et en harmonie avec la nature.
En 1804, deux ans avant sa disparition, Nicolas Ledoux publie le premier tome sur quatre annoncés, de son œuvre l’architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation, où il expose à la postérité ses idéaux, études et réflexions pour une société humaine harmonieuse. Il est considéré, avec entre autres le Corbusier, comme un des principaux précurseurs visionnaires avant-gardistes de l’architecture moderne, et de la société industrielle moderne.
Jean Sénécal

Archiborescence


© Luc Schuiten
« Nous avons peut-être trop vite oublié que nous sommes avant tout des êtres biologiques installés sur une planète elle-même vivante. »
Luc Schuiten est un architecte belge hors du commun : il conçoit des alternatives à notre sombre et pessimiste futur urbain en créant des univers végétaux, écologiques et durables. Utopie ? Certes, mais pas si délirante pour autant. Comme il aime à le rappeler : « Mes villes sont imaginaires mais basées sur des réalités scientifiques ! J’imagine des villes qui seraient réalisées au départ de ressources inépuisables et avec des matériaux qui devraient être exploitables dans les années futures. Les recherches avancent et il est sûr que le jour où on y arrivera, l’humanité aura avancé. » Il fut d’ailleurs l’un des premiers architectes européens à bâtir une maison écologique auto-suffisante en énergie dans les années 70 (la maison Oréjona.).
Ce passionné de nature explique ainsi qu’il aimerait voir le monde évoluer vers des techniques uniquement durables, qui n’appauvrissent pas la planète mais qui - au contraire - l’enrichissent, afin que le progrès serve enfin à augmenter la qualité de vie.
Ces utopies se veulent éloignées du système capitaliste régi par l’industrie et la loi du rendement, et intègrent le biomimétisme à toutes les échelles (du fonctionnement d’un moyen de transport à la structure d’un bâtiment en passant par les espaces de circulation...), brouillant ainsi la frontière entre naturel et artificiel.


Sautraile : Moyen de transport propre du futur, inspiré des déplacements d’une sauterelle © Luc Schuiten

Maquette de bâtiment inspirée de formes végétales © Luc Schuiten

Maquette d’avion propre inspirée de la forme d’un oiseau © Luc Schuiten
« Nous devons nous rassembler autour d’une créativité positive, ouvrir des futurs souhaitables qui rendent impatients d’y être et projeter des villes où il fait bon respirer, rendant la place aux chants des oiseaux, aux potagers et aux méandres des rivières et des ruisseaux. »
Toujours dans l’idée d’un développement durable, ces utopies ne proposent pas de détruire pour tout reconstruire, mais d’intégrer des idées neuves au sein de patrimoines existants (comme le montre l’exemple de Laeken ci–dessous)


Evolution prospective de la commune de Laeken à Bruxelles, respectivement en 2000, 2100 et 2200.
© Luc Schuiten

Les projets de Luc Schuiten sont pleins de poésie et insufflent un peu d’espoir à une société morose qui oscille entre catastrophes naturelles, technologiques et économiques.
Ebony Lerandy

Le monde meilleur ne tient qu'à un fil.

Si vous avez la chance de déambuler un jour au cœur de la collection After Bruno Taut de Lee Bul, arrêtez-vous aux pieds des îles flottantes qui ressemblent à des vaisseaux . Du sol au plafond, des sculptures de verres, de perles et de miroirs s’élèvent. Bien que l’artiste sud-coréenne s’intéresse au corps humain, elle porte aussi son attention sur l’architecture et l’utopie. En liant ces deux univers, elle cherche à répondre à la question d’un monde meilleur.
Lee Bul confronte les visiteurs à une vision du monde à travers l’architecture. Certaines œuvres renvoient un message positif alors que d’autres font allusion à des personnes ou des périodes sombres de l’histoire de son pays. D’après le Musée d’art Moderne du Luxembourg qui accueille Lee Bul en 2013, ces architectures font référence à l’architecte expressionniste Bruno Taut, qui avait illustré dans un recueil de dessins le traité utopique de l’écrivain allemand Paul Scheerbart, idéalisant l’emploi de verre et d’acier dans l’architecture.
L’utilisation des perles et des miroirs renvoie directement à la perfection et au précieux. Les perles s’entremêlent donnant l’illusion d’une sculpture fragile faite de fils de soie. L’accumulation de matière qui flotte au-dessus du sol n’est tenue qu’à un fil, laissant le spectateur interpréter sa vision du futur. Peut-être en lui rappelant que le monde meilleur tient grâce à très peu de chose.
C’est une histoire qui s’élève dans chacune de ces minutieuses sculptures. C’est l’histoire de débats qui ont animé l’architecture depuis les débuts de la modernité dans les enjeux sociaux. C’est l’histoire des artistes qui ont inspiré Lee Bul. C’est l’histoire d’un monde futur, qui pourrait être meilleur grâce à l’évolution des technologies.


Lee Bull Say It With Silence
Lee Bul - Sternbau no4, photo de Patrick Gries

Flavie Simon-Barboux

The long tomorrow - 1975 -1976 - Dan O'Bannon et MoebiusSe pencher au dessus du vingtième siècle ...

The Long Tomorrow est une bande dessinée de Dan O'Bannon (pour le scénario) et Mœbius (pour le dessin) qui date des années 1975 et 1976. L'œuvre de Mœbius a eu un retentissement mondial, influençant toute une génération d'auteur en France, aux États-Unis ou au Japon. Désormais l'univers de Mœbius appartient à l'imaginaire du vingtième siècle.
Sur seize planches en couleurs, réparties en deux chapitres, le scénario repose sur une parodie des polars américains, qui se déroule dans un monde futuriste. L'histoire se déroule dans un futur lointain et indéterminé dans une vaste cité enterrée organisée verticalement en niveaux. Le détective privé Pete Club est mandaté par une jeune femme bourgeoise, pour récupérer des affaires personnelles placées dans un casier de consigne situé dans les bas-fonds de la cité. Pete Club va vite se retrouver entraîné dans l'action et ira de surprise en surprise.
Une Utopie/Dystopie justifié par les graphismes bien plus que futuriste, bordée d'un scénario captivant.

Illustration de la bande dessiné the long of tomorrow 1975-1976 par Moebius
Franck Grossel

Entre rêve et réalité

Thomas More, érudit Anglais du début du XVIème, publie en 1516 l’ouvrage Utopia. Il s’agit d’un livre fondateur de la pensée utopiste. Le terme « utopie » provient d’ailleurs du titre de l’ouvrage qui lui-même est tiré du grec « lieu qui n’est nulle part » ( topos).
Mais qu’est-ce qu’une utopie ? Une utopie est une «construction imaginaire et rigoureuse d'une société, qui constitue, par rapport à celui qui la réalise, un idéal ou un contre idéal» (dictionnaire Larousse). Dans celle de Thomas More, la société est basée sur des notions de liberté, l’argent n’existe pas, chacun a le même niveau de vie. Tout y est décrit comme parfait : les lois, les moeurs politiques et la morale. Le travail est réparti également, c’est-à-dire 6h par jour et un service agricole de 2 ans est obligatoire. C’est une société égalitaire où chacun fait ce qu’il a à faire, dans une grande tranquillité d’esprit.
Cette description d’un monde parfait dénote avec le réel contexte historique dans lequel Thomas More publie son livre. En effet, sous le règne d’Henri VIII, la vie Anglaise (et européenne) est rythmée par de nombreuses réformes et guerres religieuses. L’œuvre, et particulièrement sa première partie, est en fait une critique de ce gouvernement qui ne se soucie guère de la misère du peuple. La deuxième partie du livre, quant à elle, est la description de l’île de l’utopie qui est l’idéal que pourrait devenir l’Angleterre si elle était mieux gouvernée.
Utopia est un ouvrage qui traversa les siècles, tantôt étudié par les enfants, tantôt repris pour construire des théories économiques.

Gravure d'Hambrosius Holbein, 1ère édition d'Utopia, 1516

Raphaëlle Caroff

LA DYSTOPIE...

Prison sous haute surveillance

Photo d’un panoptique réalisé au XXème siècle
Les conditions de détention des prisonniers étant épouvantables à la fin du XVIIIèmes, Jeremy Bentham, avocat, se détourne de sa première fonction pour s’y intéresser et proposer un nouveau projet de prison : le panoptique, une prison de forme circulaire dans laquelle les surveillants se trouveraient dans une tour centrale et les prisonniers tout autour. Le but est de faire prôner l’idée d’une sanction pénale dissuasive pour permettre la rééducation des prisonniers, qu’il considère d’un milieu pauvre. Ainsi, les trois principes guidant le panoptique sont douceur, sévérité et économie. Cette dernière s’explique par le fait que l’État sous-traiterait la gestion des prisons à des entrepreneurs privés, responsables à la fois moralement et financièrement. Ensuite, fers, chaines et cachots sont bannis, mais les détenus disposent de 6 m², sont classés par âges et par sexe. Tout homme doit travailler 14h par jour, se reposer 7h30, dispose d’une journée de repos par semaine et reçoit des cours. L’alimentation (thé, alcool et tabac sont proscrits) est conditionnée, et les prisonniers ont le droit d’avoir des moments d’intimité avec leurs visiteurs. Le but est de les empêcher d’être malheureux, pour qu’ils n’aient pas envie de s’échapper. Pour cela, Bentham porte aussi une grande importance à l’hygiène de vie, et la propreté du lieu (aération et système de distribution d’eaux potables sont imaginés), et la discipline acquise permettra aux détenus une bonne réinsertion professionnelle. Malgré cela, le but est d’enlever aux prisonniers toute liberté de décision ou de mouvement individuel. Il doit se sentir constamment surveillé, et Bentham s’inspire des plans de son frère ingénieur en 1780. En acier et verre, ces geôles s’opposent à l’idée de priver de lumière et d’isoler. Les surveillants semblent être surveillés par Dieu, autre notion importante de l’utopie de Bentham. Il fait paraître ses textes dans les Panopticon Letter en 1786, qui rencontrent peu de succès (irréalisable et trop en avance sur son temps) et abandonne définitivement un possible projet de construction au début du XIXè siècle. Cependant, certaines prisons verront tout de même le jour en s’inspirant de ce modèle plus tard. Mais cela pose la question de la liberté dans une société de surveillance, que l’on peut établir aujourd’hui. Les produits technologiques nous surveillent, et réalisent le rêve benthamien, mais ce dernier reste limité par l’importance que Bentham accorde à la surveillance des surveillants, qui dans notre société est quasiment inexistante.
Clara Jouault


Londres selon Gustave Doré

Alors que le travail du célèbre illustrateur Gustave Doré fait fureur en France et en Angleterre, l’artiste part pour quelque temps à Londres. Il y réalise une série de gravures à la fois fascinante et inquiétante sur Londres en 1870 en pleine révolution industrielle. C’est avec son ami journaliste Jerrold Blanchard qu’il visitera la ville dans ses plus sombres recoins et décidera de faire un livre de voyage sur la ville de Londres. Jerrold s’occupait des textes tandis que Gustave se chargeait des illustrations. Le résultat de ce partenariat aboutira à un livre aux illustrations "surréalistes" mais reflétant pourtant la dure réalité de Londres à cette époque. Misère, famine, maladie, sont transmis grâce aux traits durs et profonds de ces gravures. Londres semble être rempli de personnes errantes sans réel but, de travailleurs acharnés et d’ouvriers mal payés. Gustave Doré dépeint ici une ville sombre, pauvre, bien loin de sa grandeur économique et industrielle. Si l’illustrateur est apprécié pour ses illustrations, cette réalisation rencontre beaucoup de critiques puisque c’est la dure réalité quasi-dystopique qui est exposée et non un conte remplit de magie et de rebondissement.
Gustave Doré, Over London by rail, planche pour London, a pilgrimage, 1872
Eloïse Bonnard

Une nouvelle cartographie (dystopique)...Les cartes en allumettes du collectif Claire Fontaine.

Claire Fontaine est un collectif réunissant divers artistes. Ce groupe naît en 2004 à Paris et définit son travail comme « une version d’art néo-conceptuel qui souvent ressemble au travail d’autres gens(...) ». (Tumblr Pacha cartographie)
Mais, son nom ne vous rappelle rien ? Homonyme de la marque de cahiers de notre enfance, ces artistes entreprennent la réalisation de cartes représentant des pays tels que la France, les Etats-Unis... par le biais d’allumettes. En effet, ces allumettes, plantées par milliers sont placées sur le mur de galeries pour ensuite être allumées dans le but de «brûler» la surface délimitée.
« … Le nom du collectif d'artistes, Claire Fontaine, est charmant, ses oeuvres n'en sont pas moins percutantes.» (journal Libération)
En effet, on comprend que ces œuvres ont un but, et non des moindres : s’attaquer aux discours politiques, et dénoncent « une France qui tente de vivre, voire de survivre ».
En plus de la France et des Etats-Unis, le Portugal, l’Italie, la Grèce et l’Espagne ont aussi eu droit à leur carte qui ne comptait pas loin de 360 000 allumettes.

Carte des Etats-Unis réalisée avec des allumettes prêtes à s’enflammer. Présentation de l’avant-après de l’œuvre. © Claire-Fontaine

Mathilde Ceres

Magnifique apocalypse

Jake (né le 3 novembre 1996) et Dinos Chapman ( né le 19 janvier 1962) sont deux frères, artistes plasticiens britanniques. Ils vivent tous deux à Londres et travaillent ensemble. Depuis peu, leur travail consiste en la construction de maquettes, composées notamment de figurines. Les plus connues sont "Hell" qui représente l’Holocauste, Fucking Hell sa suite ou encore le cycle Come and See dont le titre est tiré de celui d’un film d’Elem Klimov que l’on traduit par Requiem pour un massacre. La façon dont ils traitent leurs thèmes, tels que la religion, le sexe, la mort, la société de consommation ou encore la moralité, choquent. Ils aiment mêler l’humour et l’horreur. Dans une entrevue pour le White Cube, Jake Chapman explique que cette œuvre, comme beaucoup d’autres, répond au besoin humain de valider les limites et comportements sociaux par l’art.
Fucking Hell est la suite de Hell qui fut détruite en 2000 dans l’incendie de l’entrepôt d’art Momart à Londres. Elle est réalisée en 2008 et ne compte pas moins de 30 000 figurines. Fucking Hell peut être traduit par «putain de merde, bordel de merde, putain de bordel de merde, nom de Dieu ou encore putain d’enfer », bref l'idée est claire. Elle reprend le thème de l’Holocauste comme pour Hell mais en plus grand et plus brutal cette fois encore. Dans son intégralité elle est composée de 9 vitrines placées de manière à former la svatzika, plus connue sous le terme de croix gammée. Dans ces vitrines ce sont des scènes de la Seconde Guerre mondiale qui sont représentées mais de manière détournée, détournées selon leur vision de cette guerre. Les scènes sont apocalyptiques. Leur vision de la guerre est celle d’une dystopie cruelle, brutale et sale.
On peut ici faire un parallèle avec le film Les Oiseaux d’Alfred Hitchcock avec une forte présence de corbeaux sur les arbres. La guerre serait-elle finalement un film d’horreur? Autre fait intéressant est la présence d’un Christ. Mais là, nous sommes bien loin des représentations judéo-chrétiennes de Jésus. Ici, il est mutilé, avec un aspect de cadavre et la tête tranchée. Cette absence de tête le rend impersonnel et nous montre que quelle que soit la religion, elle n’apportera rien de réconfortant dans une guerre et ne les empêchera pas non plus. Quant au Führer il est présent dans chacune des vitrines on peut donc s’amuser à le chercher, une sorte de revisite d'Où est Charlie ? mais cette fois ci avec un personnage aux allures bien moins sympathiques. Dans chacune des vitrines, il est en train de peindre une scène à la manière des cubistes, cela peut prêter à sourire quand on sait qu’il considérait ce courant comme dégénéré. Alors oui, Adolphe Hitler a échoué à l’École des Beaux-Arts de Vienne, mais ici, grâce aux frères Chapman, il peint son « oeuvre ». Une oeuvre aussi immonde, cruelle, immorale, qu’absurde. Les figurines sont réalisées avec un grand soin ajoutant un fort réalisme aux différentes scènes ce qui nous aide à nous projeter à l'intérieur. La réalisation des frères Chapman est bel et bien faite dans le sens où elle est très bien conçue mais horrible et effroyable dans son contenu.







Myriam Burgaud

Le Futur dystopique de Ridley Scott

En 2019 nous arriverons à la date d'expiration du future dystopique que nous propose Ridley Scott dans Blade Runner. 30 ans après sa sortie en salles en 1982, Blade Runner continue d’incarner l'imaginaire de ville tentaculaire et cosmopolite du futur. L’esthétique du film en fait une figure sombre et emblématique du sous genre SF : le Cyberpunk.
Synopsis : En 2019, la colonisation de l'espace est en cour, la terre est devenue une gigantesque mégalopole insalubre. Les progrès technologiques ont permis à la corporation Tyrell de se spécialiser dans la conception de robots humanoïdes doués de consciences, identiques en apparence à l'homme, appelés Réplicants. Ceux-ci servent d'esclave sur les bases spatiales jusqu’à leurs révoltes. Considéré hors la loi, ils sont interdits de séjour sur terre. Lorsque quatres réplicants arrivent sur terre dans la mégalopole de Los Angeles, Rick Deckard se voit donner la tache de les éliminer. C'est un Harrison Ford désabusé que l'on retrouve dans la peau de cet ancien flic ayant quitté l'unité chargée de traquer les réplicants : les Blade Runner.
La représentation de la ville proposée par la science-fiction est très majoritairement marquée par quatre caractéristiques paysagères et sociétales : la densité, la verticalité, le contrôle social et la rationalité scientifique de l’organisation urbaine.
Le film pose la question de l'identité. Thème ô combien rependue dans l'univers de la science-fiction. De Matrix à Avatar en passant à la très ressente série Westworld ces mêmes questions sont redondantes : Qu'est ce qu'un être humain ? Ou commence la conscience de soi ? Les Androïdes peuvent-ils avoir une âme ?
Dans cette société gouvernée par les géants de l'industrie, les réplicants ne sont qu'une ressource. La révolte des machines contre leurs créateurs est donc inévitable. Les réplicants n'acceptant plus leurs états de servitude, leur identité est remise en question. Dans ce système oligarchique, seul Rick Deckard semble se ranger de leurs cotés. Si les lois de la robotique énoncées par Asimov tendent à forcer les robots à agir pour le bien des humains de nombreux récits S.F choisissent la thématique de la dystopie robotique avec une intelligence artificielle conduisant à la perte de l’homme.
Los Angeles est le théâtre de toute l'action du film. Elle est la représentation négative de la ville du futur. Quel regard porte Blade Runner sur la représentation de la dystopie Urbaine ?
Ridley Scott réussit à nous transporter dans son huis clos urbain. Véritable univers glauque criant de réalisme, Los Angeles en 2019 est violente, polluée, et technologique. La Nature est absente de cette infinie mégapole. Le soleil ne se lève jamais et les épais nuages de pollution déversent une pluie continue sur la ville. La nature disparue est sous-entendue à travers des métaphores animales: hibou pour Tyrell, le serpent de Zora et la mystérieuse licorne de Deckard. Le climat sombre et humide créent une atmosphère oppressante propre à l’esthétique du film.
Le Los Angeles futuriste cherche à instaurer une distance entre la représentation d’un futur urbain lointain et la réalité de la ville contemporaine. Le spectateur est dépaysé pour entrer dans un nouvel univers urbain, où l’ensemble des éléments de la ville et de la société urbaine est à explorer. Le film nous invite à décoder le fonctionnement de la société urbaine, des normes sociales futures.
Sa crédibilité futuriste a bien vieillie au cours des années. On le doit au dessinateur industriel Syd Mead, concepteur de véhicules pour le groupe Ford et Chrysler, qui a travaillé sur des films tels que Star Trek et Tron. Crédité au générique au titre de "futuriste visuel". La mégalopole tentaculaire, sombre, sale et nocturne, les trottoirs grouillant de monde, la toute puissance du monde de la publicité avec des panneaux géants à perte de vue et les costumes réalistes des années 30 appartiennent à l'univers du dessinateur Jean Giraud, alias Moebius ayant aussi travaillé dans Alien.
La dichotomie entre un futur oppressant et sombre et la fascination de la mégalopole dans des plans en plongés en font une dystopie réaliste mais cependant vivable. Le huis clos urbain dans lequel progressent les personnages est un futur post Apocalyptique mais néanmoins vivable. Ce futur proche du nôtre ( papier journal, parapluie ) semble avoir subi une accélération technologique rapide. Le cadre urbain apparaît alors comme le moyen le plus adapté, le cadre privilégié pour rendre compte des transformations plus générales de l’Humanité.
La parole à Ridley Scott, qui revient sur son film en 1993 : "Le cinéma présente habituellement le futur sous des dehors austères, incolores, stériles et glacés. J'ai le sentiment que nous allons dans une direction toute différente. Pensez à ce que sont les villes comme Chicago et New York aujourd'hui et au surpeuplement qu'elles connaissent. Certains bâtiments devront être rasés, mais on ne rase pas l'Empire State Building".






Images tirées du film : Blade Runner

© Moebius

Maxence De Cock

...ET LEUR FRONTIERES...

Epanouissement collectif et individuel

Après la Seconde Guerre Mondiale, l’Europe est sinistrée et a besoin de nouvelles habitations pour ses habitants. C’est à ce moment et dans l’optique du relogement des populations, que l’architecte suisse, Le Corbusier, commence à construire les « villages verticaux ». Dans ses différentes constructions de « Cités Radieuses », Le Corbusier désirait bâtir la ville idéale, car selon lui le comportement des individus est lié à l’architecture du lieu dans lequel ils vivent. Ces bâtiments ont des caractéristiques d’organisation uniques qui ont été imaginées par l’architecte dans le but de respecter les libertés individuelles ainsi que d’améliorer la cohésion sociale.
« Dans ce village vertical de 2000 habitants, on ne voit pas son voisin, on n’entend pas son voisin, on est une famille placée « dans les conditions de nature »-soleil, espace, verdure. C’est la liberté acquise sur le plan de la cellule, l’individu, le groupe familial, le foyer. Au plan du groupe social, c’est un bénéfice des services communs confirmant la liberté individuelle ». Citation de Le Corbusier gravée sur l’un des murs de la cité radieuse de Berlin.
La Cité Radieuse de Rezé est un ensemble de logements HLM créé par le Corbusier en 1955. Son concept d’ « unité d’habitation » a été ici appliqué. Il est conçu sur le principe du Modulor, qui est un système de mesures lié à la morphologie humaine basé sur le nombre d'or et la suite de Fibonacci (suite de nombres dans laquelle chaque terme est la somme des deux termes précédents).
Le Corbusier avait pour but de recréer une ville à l’intérieur de ce grand immeuble. Il y a installé des rues (les couloirs), un centre (le hall d’accueil), des habitations, des commerces, la poste et sur la terrasse du toit, il y a une école maternelle. Tout ceci instaure donc une vie sociale développée. Cependant, dans l’objectif d’une harmonie entre vie collective et vie individuelle, l’architecte suisse a imaginé des appartements identiques certes, mais également tous très bien isolés les uns des autres. De plus, les couloirs d’accès aux habitations sont plongés dans la pénombre, donc les gens ne sont pas incités à stationner dans les rues et une sorte de calme ambiant ne quitte pas les lieux. En conséquence, les rues intérieures sont des sas de calme avant d’entrer dans les appartements, où l’on commence à se recueillir.
L’utopie du Corbusier a eu lieu, mais s’est transformée au fil des années. En effet bon nombre de commerces qui étaient sur place à l’origine ont maintenant disparu, mais l’environnement y reste propice au bonheur de la population.

Maison Radieuse - Rezé - © Agence Bretagne Presse
© David Abittan

Zoé Oberlé

Un projet à la hauteur du niveau de l'eau

Selon plusieurs études, la hausse du niveau des océans actuelle pourrait entraîner la submersion de diverses parties du monde. Il s’agirait de pas moins de 80% des Maldives ou de 20% du Bangladesh.
Lilypad est la réponse au problème soulevé par les études scientifiques que propose Vincent Callebaut. Il le caractérise comme « une réaction au développement de l’urbanisme le long des littoraux et une solution plus durable que les polders éphémères ».
En quoi consiste ce projet ? Il devra dans le futur pouvoir accueillir des réfugiés politiques dont le nombre devrait atteindre environ 250 millions de personnes d’après les pronostiques des Nations Unies. Il aura donc pour but de répondre à un style de vie dit "nomade". Il pourra se déplacer au gré des courants marins pour rester en phase avec l’environnement. La forme de nénuphar géant d’Amazonie, les coques végétalisées et les champs d’aquaculture présents participeront aussi à cette cohésion avec la Nature. Enfin, la cité produira normalement plus d’énergie qu’elle n’en consommera et cela permettra d’atterrir sur un bilan énergétique positif avec zéro émission de carbone.
Les logements seront situés sur une structure plutôt montagnarde. En effet, il y a selon le projet trois montagnes différentes ; une associée aux loisirs, une aux commerces et la dernière au travail… Cette cité semble donc répondre parfaitement aux problèmes environnementaux d’aujourd’hui.
On peut néanmoins se demander si ce paysage ou projet utopique verra le jour et si l’éthique actuelle et les différentes cultures s’y sentiront chez eux. Après tout, une île en mouvement n’appartient à aucun pays… On peut aussi soulever la question du lien entre ce projet et les riches qui pourront probablement plus se payer une habitation ici que d’autres plus démunis… Voici les interrogations que se posent aujourd’hui de nombreuses personnes…

© Vincent Callebaut Architecture
Marie Bal-Fontaine

METROPOLIS – Fritz Lang

METROPOLIS – FRITZ LANG
Film muet en noir et blanc, courant expressionniste - 1927
Dans ce film expressionniste de science-fiction et d’anticipation de nature contre-utopique, nous sommes projetés en 2026, dans une cité futuriste imaginaire dirigée par l’industriel Joh Fredersen : Metropolis.
- UNE CITÉ CONTRASTÉE AU SYSTÈME CAUCHEMARDESQUE:
"Metropolis est né du premier regard que j'ai jeté sur les gratte-ciels de New-York en octobre 1924 " (Fritz Lang)
- LE SCENARIO :
Lorsque le fils de Joh Fredersen découvre ce monde infernal en poursuivant Maria, une femme mystérieuse à l’allure religieuse entourée d’enfants, il est choqué par les conditions de vie de ces citoyens de l’ombre. Désireux d’apprendre à connaître la jeune femme, il décide de se mêler à eux pour se joindre à leurs efforts et échange sa place contre un ouvrier en difficulté. Lors d’un rassemblement, il se rend compte que Maria est en fait la prêcheuse de cette classe ouvrière. Elle leur promet l’arrivée d’un médiateur, d’un cœur liant les mains des travailleurs à la tête du dirigeant, que Freder décide d’incarner. Dans le même temps, le scientifique Rotwang à l’origine de la machinerie de la cité, projette de créer un robot à l’image de Maria, qui prendrait sa place pour pousser les ouvriers à la révolte et renverser Joh Fredersen.
- UNE CONTRE-UTOPIE ÉDULCORÉE:
Cette ville imaginaire possède la caractéristique propre aux utopies et aux dystopies de ne pas être localisable, c’est une cité perdue. Elle est un condensé d’éléments modernes ; elle est constituée d’immenses immeubles arts déco, de bâtisses bétonnées austères, d’une machinerie robotisée, d’autoroutes aériennes et de jardins d’Eden suspendus destinés aux bourgeois. Dans cette cité verticale, deux mondes s’opposent : le monde « supérieur » où vivent les classes les plus aisées, et le monde « inférieur » sous-terrain, peuplé d’ouvriers. Elle est construite ainsi en référence à la Tour de Babel. Cette représentation reflète l’opposition du prolétariat et du capitalisme de l’époque. Les ouvriers travaillent dans l’ombre au service de la société supérieure, soumis une machine colossale, « M », qui permet le bon fonctionnement de la cité. Ce monstre mécanique est associé au Moloch, un dieu ammonite et phénicien à tête de taureau auquel on sacrifiait des enfants par le feu. Au même titre, nombreux sont les ouvriers qui décèdent et finissent dans la gueule de cette créature d’acier. Leurs conditions de vie sont déplorables et les tâches répétitives et mécaniques qu’ils exécutent jour et nuit les déshumanisent pour les rendre eux-mêmes machines.
Metropolis est une contre-utopie dans son scénario initial, qui présente un système cauchemardesque où l’industrie a pris tant de place qu’elle en opprime et réduit en esclavage une partie de la population au service des bourgeois. Il est un des premiers à explorer les dangers d’une technologie envahissante sur laquelle les hommes n’ont plus de contrôle, et ceux de la domination par l’intelligence artificielle. Metropolis est un reflet des années 20. Fritz Lang y pointe du doigt un système capitaliste qui possède l’intégralité des moyens de production et exploite les classes ouvrières et remet en question l’expansion technique et technologique et ses effets sur la société alors que Berlin s’impose comme la nouvelle puissance industrielle.
S’il représente une révolution ouvrière, il ne semble pourtant pas la soutenir : cette lutte guidée par la colère tourne au cauchemar, les travailleurs inondent la cité en détruisant la machine centrale et le film aboutit sur la réconciliation des prolétaires et des bourgeois. Le scénario dérive donc vers l’utopie, probablement afin de mieux satisfaire la société de production et la politique de l’époque.
Emilie Gioanni

Albert Robida, l'écrivain à l' intarissable imagination qui présuma notre monde moderne

Albert Robida est un artiste, écrivain, illustrateur, architecte et voyageur de la seconde moitié du 19éme siècle et du début du 20éme siècle. Il commença sa carrière en produisant des dessins humoristiques et de satire pour la presse. Il est reconnu internationalement pour sa trilogie d’anticipation sur le 20éme siècle. Son intuition et imagination lui permirent de produire une oeuvre étendue et de décrire un monde étonnamment prophétique. Contrairement à Jules Verne qui lui était contemporain et qui l’a inspiré, il propose des inventions de la vie courante et non des créations de savants fous. Non seulement il prédit des innovations techniques et technologiques; mais il imagina également les évolutions des mœurs de la société future. Il décrit par exemple le téléphonoscope (un écran plat avec de l'information en continu) comparable à notre internet, la promotion sociale des femmes (qui peuvent voter et travailler), les guerres sous marines, chimiques et biologiques, et le surmenage et la pollution qu'entraîne une société industrialisée. Les mondes présents dans les œuvres d'Albert Robida ne peuvent donc pas être considérés comme utopiques (même s'ils ont peut-être été considérés comme tels à l'époque à laquelle ils sont parus) parce qu'ils ne présentent pas une société idéale. Ils sont juste une proposition de l'évolution de la société et du monde dans lequel Robida vivait avec leurs dérives et leurs progrès.
Ces deux illustrations montrent qu’il avait entre autres imaginé le concept de la clé USB et du distributeur de livres.






Fanny Fauvarque

Source de réflexions



Tommaso Campanella (1568-1639) est un moine dominicain italien vivant dans le sud de l'Italie, alors sous domination de l’Espagne.
Ne supportant plus ce règne, il participa à une tentative de coup d’État qui l'entraîna en prison pendant 26 ans. Il dut simuler la folie pour échapper à la mort. C’est lors de cette longue incarcération qu’il prit le temps d’écrire La Cité du Soleil vers 1602.
Cette œuvre littéraire dépeint le monde dans lequel il vit et ce qu’il changerait. Il énonce le régime théocratique qu’il souhaite instaurer en cas de réussite de sa conspiration.
S'agit-il d’une utopie ? Le titre reprend celui d'une œuvre grecque perdue (sans doute une des premières utopies). De plus à travers le dialogue qu’il créa entre un grand maître des Hospitaliers et un capitaine de vaisseau génois, il fait passer ses idées d’un autre monde qui peut amener à faire peur, on peut donc se poser la question de savoir si La Cité du Soleil ne serait pas plutôt une dystopie.
Les différents thèmes qu’il évoque pourraient presque paraître pour notre époque tel un programme politique. Parmi eux la propriété, les enfants et l’éducation, le travail et la vie en communauté, le gouvernement, la religion, la liberté et enfin la justice.
La Cité du Soleil est certes un rêve prophétique, mais pour Campanella, elle représente également la projection d'un âge d'or possible.
Pour exemple, l'éducation dans la cité est à l'image de son organisation collectiviste, les enfants sont des produits d'un eugénisme strictement encadré, qui régente même la vie sexuelle en l'absence de mariage. Les prénoms des enfants sont déterminés par le magistrat suprême. Ils sont élevés en commun à partir de deux ans, suivant la même éducation, mais sont séparés selon les sexes. La famille n'existe pas.
les adultes ont droit aussi à leur part de formation, grâce à une journée de travail encore plus réduite c’est-à-dire de 4 heures, les cours étant cette fois placés en fin de journée. Leurs loisirs sont tournés vers le sport. La Cité du Soleil peut donc, pour certaines personnes, paraître comme une dystopie, toujours est-il qu'elle est source de réflexions et de questionnements.
Cellie Piraud

dimanche 11 décembre 2016

Daniel Buren

Un artiste bandant

Jeu de lumière et de transparence, répétition d’un même motif, couleurs vives et rayures omniprésentes… C’est là, la signature du plasticien contemporain, Daniel Buren, qui ne cesse de faire parler de lui. Buren souhaite nous ouvrir les yeux sur les lieux qu’il investit. Et, depuis 1967, on peut affirmer que c’est un pari réussi. Des Deux Plateaux à la fondation Vuitton en passant par les Anneaux Nantais, Buren est devenu un révélateur quotidien qui ouvre la perception, voire même qui transforme notre espace de vie.

Puisque peindre c’est un jeu.
Puisque peindre c’est accorder ou désaccorder des couleurs.
Puisque peindre c’est appliquer (consciemment ou non) des règles de composition.
Puisque peindre c’est valoriser le geste.
Puisque peindre c’est représenter l’extérieur (ou l’interpréter, ou se l’approprier, ou le contester, ou le présenter).
Puisque peindre c’est proposer un tremplin pour l’imagination.
Puisque peindre c’est illustrer l’intériorité.
Puisque peindre c’est une justification.
Puisque peindre sert à quelque chose.
Puisque peindre c’est peindre en fonction de l’esthétisme, des fleurs, des femmes, de l’érotisme, de l’environnement quotidien, de l’art, de dada, de la psychanalyse, de la guerre au Viêt-Nam.
NOUS NE SOMMES PAS PEINTRES.
Les Écrits, Daniel Buren
Tract, 1er janvier 1967 [Manifestation 1]
Tassia KONSTANTINIDIS et Elise CUGNART

Buren à la Fondation Vuitton

Une bâtisse qui danse au gré de l’art et de l'esthétisme

La Fondation d'entreprise Louis Vuitton, anciennement Fondation d'entreprise Louis Vuitton pour la création, lancée en octobre 2006, a été créée par le groupe LVMH et ses maisons.
L'Observatoire de la lumière, mai 2016, travail in situ, in Fondation Louis Vuitton, Paris, France, à partir du 11 mai 2016. Détail. © DB-ADAGP, Paris 2016 © Gehry Partners, LLP and Frank O.Gehry - Photo Iwan Baan 2016
Le bâtiment de Gehry a un objectif de promotion de l’art, de la culture et de pérennisation des actions de mécénat engagées. En 2001, Bernard Arnault rencontre Frank Gehry, architecte inspiré par sa visite des jardins à Paris et découvre un concept exceptionnel pour charger  son bâtiment d’histoire. Il imagine alors une architecture de verre inspirée par le Grand Palais, mais aussi par les structures de verre, telles que le Palmarium, qui ornaient le Jardin d’Acclimatation dès 1893. Sous la main de l’architecte, l’édifice en verre prend l’allure d’un voilier aux voiles gonflées par le vent d'ouest, donnant ainsi l'illusion du mouvement.
Avec l'installation de Buren, le bâtiment s’apparente à un être vivant. Par ailleurs ce dynamisme donne aux visiteurs une envie de découvrir l’art contemporain qui va de paire l'espace. Grâce à la cohérence entre le  volume de Gehry et l'installation de Buren, l’architecture franchit une frontière vers le monde des arts plastiques.
Irmak OZKAN

Buren Cirque

« La relation entre le cirque et l'art contemporain dans une performance magique et de pointe sur une scène d’art-installation »
Buren Cirque, 3 fois un autre Cabanon, présenté à la Fondation Louis Vuitton du 2 au 4 juin 2016. Détail. © DB-ADAGP, Paris 2016 - Photo Fondation Louis Vuitton / Marc Domage

Daniel Buren a toujours été fasciné par l’art du cirque, un univers exploré dans les peinture de Pablo Picasso auxquelles Buren s’intéresse particulièrement. De cette fascination naît naturellement, dans les années 2000, une collaboration entre la Compagnie Foraine et le plasticien français. L’artiste contribua à la création de chapiteaux (intérieur / extérieur) qui permettent d’accueillir des représentations combinant arts du cirque, musique, chant et arts plastiques entre culture africaine et occidentale.
En 2013, Buren s’approprie le chapiteau issu de l’architecture foraine en dessinant 3 « cabanons ». Un cabanon prend pour base une piste circulaire de 9 mètres de diamètre, composée de deux éléments bicolores. La structure est un parallélogramme à base carrée de 11 mètres de côté, coiffé d’un cône de base égale à la circonférence de la piste. L’ensemble étant surmonté de deux arches sur lesquelles apparaît  « la signature visuelle » de Buren : ses rayures.
Le Buren Cirque et sa structure, inchangée dans la forme, ont parcouru le monde ces dernières années. Et chaque nouveau projet engendre une adaptation qui se définit « in situ », qui dépend alors du contexte social, économique et culturel du lieu d’accueil. Ainsi, le spectateur peut découvrir une nouvelle expérience à chacune des représentations, comme à la Fondation Vuitton en ce moment.
Mathis JAGOREL

Mais qui est réellement Daniel Buren?

Biographie

De Buren beaucoup connaissent les bandes, les colonnes ou encore les anneaux, ces formes géométriques qui se sont immiscées dans l’architecture de nos villes. Mais tout l’art de Buren ne repose pas dans le simple étalage de motifs réguliers, et à en croire ses propres dires, il "n’expose pas des bandes rayées, mais des bandes rayées dans un certain contexte" : l’In situ est ainsi au cœur de ses œuvres.
Daniel Buren, Claude Truong-Ngoc,Wikimedia Commons, the free media repository, juin 2014

Aussi la démarche de Daniel Buren commence à la suite de ses études au sein de l’Ecole des Métiers d’Art, en 1960, date à laquelle il fit le choix d’orienter son travail vers une économie des moyens artistiques. C’est en 1965 que ce peintre et sculpteur français s’inspire d’une toile de store rayée pour créer son propre vocabulaire artistique : une alternance de bandes blanches et colorées verticales de 8,7 cm de largeur. Ce motif aux allures industrielles retranscrit parfaitement le désir d’objectivité et d’impersonnalité poursuivi par Buren.
En 1966, il va s’associer avec les peintres Toroni Parmentier et Mosset, afin d’organiser des manifestations destinées à contester la scène artistique parisienne qu’il juge trop académique. C’est de cette manière qu’il va repousser les frontières de la peinture, tout comme celles de la politique du monde artistique. Il va ainsi user de supports très variés allant du tissu pré rayé aux miroirs, en passant par le verre ou encore le métal.
Palais Royal et les Colonnes de Buren, unknown, Wikimedia Commons, the free media repository, Juin 2011
Il s’affranchira du cadre du tableau en travaillant autant sur des surfaces planes que tridimensionnelles. C’est ainsi que Buren développera peu à peu une conception de l’art tournée sur une relation directe entre le lieu, le spectateur et l’œuvre. Il réalisera de cette manière nombre d’œuvres in situ où le spectateur se meut dans l’espace et dans l’œuvre qui donne à voir les particularités de ce qui est initialement le moins visible dans le lieu.
Jason CHAPRON

La notion de "in situ" dans l'art contemporain

l'In Situ désigne une méthode artistique contemporaine pratiquée par de nombreux artistes depuis le milieu du XXème siècle.
Ce terme insolite signifie en latin "sur place". C'est en réalité le terme employé pour désigner une œuvre qui, non seulement n'est plus enfermée dans un espace intérieur et cadrée, mais qui va en plus s'intégrer dans son environnement. Elle prend place dans un espace et lui est dédiée. Un lien est créé entre l'artiste, sa création, le lieu et le public.
Aujourd'hui, une œuvre in situ est le plus souvent présentée sous forme d'installation. Les artistes qui expérimentent cette pratique les rendent généralement pénétrables. Ils jouent avec les notions d'éternité et d'éphémère. Ces créations ont un rôle dans l'espace: elles révèlent ou modifient sa perception, l'univers et l'ambiance dégagée.  Ce qui ne laisse pas les observateurs et participants indifférents. Une œuvre in situ ne peut ainsi pas être déplacée; elle perdrait tout son sens ainsi que le message que son créateur souhaitait véhiculer.
Défini Fini Infini, Travaux in situ, Daniel Buren, MAMO Marseille © Veronese

Ces installations peuvent être en relation directe avec l'architecture. C'est le cas des œuvres de l'artiste incontournable de la scène contemporaine: Daniel Buren. La transformation du toit-terrasse de la Cité Radieuse, centre d'art MAMO de Marseille, est l'exemple même d'un travail in situ. "Daniel Buren s’empare du chef-d’œuvre de Le Corbusier en bousculant les perspectives, en exaltant les points de vue, en absorbant l’environnement, en jouant avec les dimensions, la lumière, les ombres portées, l’horizon…". Comme le MAMO l'a décrit, le travail de cet artiste dévoile toute l'immensité de cette méthode artistique.
Clara CHANTELOUP


Les Deux Plateaux

Les deux plateaux” (ou les colonnes de Buren) de Daniel Buren correspond à une installation artistique réalisée entre 1884 et 1885 au Palais Royal. Elle prend place sur une surface de 3000 m2 proposant un ensemble de 260 colonnes de marbres blancs, rayées de manière régulière, une marque de fabrique pour Buren.


Les deux plateaux, photographie de Anne Landois Favret

Controversé à ses débuts, ce projet a connu une première période compliquée (critiques, pétitions contre sa réalisation, questionnements à propos de la rencontre entre l’art contemporain et le patrimoine). Peu à peu, cette installation a su s’affirmer et prendre de l’ampleur jusqu’à devenir une œuvre populaire. En effet, elle s’intègre totalement au paysage urbain de Paris. Malgré quelques difficultés de conservation et une rénovation nécessaire en 2010, elle marque les esprits et reste incontournable aux yeux des passants.
Buren nous propose, à travers son installation originale, un univers entre le parcours et l’imagination qui nous inonde lorsqu’on le traverse. Un rythme particulier est créé dans un premier temps avec l’ensemble de rayures régulières réparties sur les colonnes puis avec leurs différentes hauteurs. Stimulant la curiosité de certains, favorisant l’échange et les rencontres pour d’autres, ces colonnes dressés jouent et contrastent avec l’architecture du palais Royale. Finalement, cette œuvre mène à s’interroger sur la place que peut avoir l’art contemporain au sein de notre patrimoine.
Jules LEROUGE

D'une arche aux autres

Fidèle à ses précédents travaux, Daniel Buren conserve les caractéristiques artistiques et plastiques qui lui sont propres dans son installation in situ et éphémère "D'une arche aux autres" (exposée du 11 avril au 11 mai 2015 dans les jardins de l'église de Sacré-Cœur de Casablanca au Maroc, dans le cadre des Journées du Patrimoine et de l'Art Contemporain organisées par Casamémoire).
Pour l’événement, Daniel Buren a répondu à la thématique "Une autre histoire" visant à faire dialoguer l'art contemporain et l'architecture patrimoniale en s'appropriant les anciennes colonnes de la prison portugaise du XV siècle d'Anfa, déplacées dans les jardins du Sacré-Cœur.
“J'ai eu un peu de mal à comprendre comment tirer le mieux possible partie de cet ensemble “bizarre” transporté comme un morceau de temple Grec peut l'être dans un musée aux États-Unis dirons-nous et qui se trouve dans cette partie de Casa. J'ai enfin trouvé un moyen à la fois de l'incorporer à autre chose, de le démultiplier et d'en faire une sorte de monument cohérent impliquant l'ancien et le nouveau dans un seul et même objet qui deviendra, pour les besoins de la cause, un objet in situ et éphémère.”
C'est en prolongeant les colonnes portugaises par une succession d'arches décoratives installées de manière régulière, entrecoupant perpendiculairement ces dernières, que Daniel Buren va créer son oeuvre.


D’une Arche aux Autres, avril 2015, travail in situ, dans les jardins de l’église du Sacré-Cœur, Casablanca, Maroc, 11 avril-11 mai 2015. © Daniel Buren/ADAGP, Paris. Détail.

Réalisées en plaques de plâtre ignifugées, peintes selon ses couleurs (noir, blanc, rouge, vert, bleu, jaune) et ornées de ses fameuses bandes noires et blanches, les arches géométriques de Daniel Buren viennent prolonger les arches de l'ancienne prison et jouent avec l'espace, l'environnement et les couleurs en interrogeant le public qui passe d'une arche à l'autre.
Brandon G

Des œuvres déambulatoires

Cabane éclatée n°8

La Cabane éclatée n°8 est une œuvre réalisée par Daniel Buren en 1985. Cette installation a été coproduite avec la FNAC qui l’a acquise par la suite. Daniel Buren réalise cette œuvre spécialement pour une partie inoccupée et à peine aménagée du Musée des Beaux Art de Lyon. C’est donc un travail in-situ.
« La cabane éclaté n°8 » fait partie d’une séries de cabanes éclatées, toutes réalisées et conçues in-situ ; certaines sont démontables et mobiles. Celles-ci sont donc pourvues d’une appellation ou mention de « travail démontable ».

La Cabane Éclatée, Daniel Buren,  1985.  ©Blaise Adilon ©Adagp, Paris 2010

On a l’impression que la « cabane éclaté n°8 » a éclaté sur les murs et qu’elle s’est adaptée à l’endroit. Les vides ressemblent à des fenêtres ou à des portes. Ici, ce sont des bandes verticales alternées, blanches et jaunes qui posent la structure de la « cabane ». Buren a fait le choix de rendre ses rayures parfaites et symétriques pour accentuer le côté impersonnel de son travail.
Peinture, architecture et sculpture se rencontrent dans cette réalisation. Les portes inexistantes invitent le spectateur à entrer et à déambuler dans cette installation.
Camille METAYER

La cabane éclatée aux quatres couleurs

La « cabane éclatée aux 4 couleurs » est une œuvre in situ de Daniel Buren réalisée en juillet 2012 en Italie pour Scolarium Intersections. Cette œuvre se compose d’un cube en plastique de 4x4x4 mètres, aux parois extérieures ayant l’aspect miroir. Devant ce cube, se place une porte de la même matière et d’apparence réfléchissante elle aussi. L’œuvre se perd dans le lieu puisqu’il reflète son environnement. Ce cube est vide et comporte plusieurs entrées laisser libre court à la circulation. Ces entrées et la porte placée devant les miroirs perdent le  spectateur entre intérieur et extérieur, jouent comme une illusion d’optique. Lorsque le spectateur passe entre les portes de cette structure, il découvre des aplats colorés bleus, jaunes et noirs. Ainsi que des rayures blanches et noires que l’on retrouve dans la largeur de la porte, signature du travail de Buren (En effet les œuvres de Buren sont reconnaissables par ces rayures blanches et colorées de 8.7 cm)

Sans Titre, juillet 2012, travail in situ, in “Costruire sulle vestigia: impermanenze. Opere in situ”, 27 juillet-14 octobre 2012, Parco Archeologico di Scolacium, Catanzaro, Italie. Détail.© 2016 Daniel Buren

L’objectif de cette installation, c’est son rapport à l’espace, il modifie la vision qu’ont les spectateurs du lieu, ils le découvrent sous un nouvel angle. Cette structure dynamise l’espace en redécoupant les plans du paysage. La cabane est un corps vivant entre plein et vide, elle invite le spectateur à circuler dedans et dehors. Elle est entre construction et déconstruction, change selon les lieux, s’adapte à ces derniers, elle semble perdre sa propre personnalité et emprunter celle de son environnement. Daniel Buren le dit lui-même « [ce n’] est ni un objet, ni une décoration, mais un lieu utilisable et habitable qui permet chaque fois une réévaluation ».
En 1975, il réalise sa première cabane éclatée en soulignant l’interdépendance du lieu avec son travail. Il a donc continué ce travail de longues années, multipliant les cabanes éclatées, jouant sur leur formes, leurs caractéristiques, les matériaux utilisés, mais surtout mettant en scènes ces œuvres dans différents lieux. On pourrait dire qu’il travaille comme un scientifique, expérimentant et faisait plusieurs tests afin de valider sa théorie.
Il propose plusieurs variantes mais toujours la même thématique : intérieur et extérieur troublés par le jeu de construction et de déconstruction de la cabane.
Pauline LERICHE

Comme un jeu d'enfant

Avec Comme un jeu d’enfant, travaux in situ, Daniel Buren continue d’étendre sa compréhension et son usage de la notion de in situ. Cette exposition est constituée de deux œuvres ayant été conçues pour le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg exposées du 14 juin 2014 au 8 mars 2015.
Comme un jeu d’enfant, travaux in situ, MAMCS, juin 2014. Détail. © Daniel Buren, ADAGP 2014 / Musées de Strasbourg, Mathieu Bertola / dr

La première œuvre se déploie sur les 1500m² de la verrière. Daniel Buren s’est approprié cet espace afin de le magnifier en travaillant lumière et mouvements chromatiques à l’aide de films colorés posés directement sur les vitres du musée. L’effet est surprenant et change radicalement la perception de cet espace. En effet avec Comme un jeu d’enfant, travaux in situ, Daniel Buren a introduit la notion de vitraux sur une façade déjà bien connue et emblématique.

Comme un jeu d’enfant, Daniel Buren, travaux in situ, MAMCS, Strasbourg, juin 2014. Détails © Daniel Buren / ADAGP Paris, Phoebé Meyer / dr

La deuxième œuvre se déploie sur 600m2 dans la salle d’exposition temporaire. Avec celle ci, Daniel Buren a conçu un véritable jeu de construction géant tel qu’un l’enfant l’aurait créé. Cependant tout est réfléchi et adapté à l’espace; 104 éléments de bois peint, des formes géométriques, sont déposés selon un plan de trois carrés et de façon symétrique. Dans la première partie de la pièce, les modules sont blancs tandis que dans la seconde moitié ils sont colorés. Enfin, on retrouve les célèbres rayures à l’intérieur des arches, chacune séparée par 8,7 cm l’une de l’autre.
Avec cette double exposition, Daniel Buren met en avant la complexité souvent peu évidente  des travaux d’enfants ainsi que l’importance de la compréhension et l’adaptation d’un espace.
Constance RONDEAU

Mise en lumière

Buren - Les Anneaux - 2007

Le hangar à bananes, l’ancien port maritime de Nantes, a vu apparaître sur son quai en 2007 une série de 18 anneaux créé pour le festival d’art contemporain par Daniel Buren et Patrick Bouchain. L’un artiste et l’autre architecte ils ont lié leurs idées redonnant une nouvelle vie au lieu devenu une friche industrielle.
Pour Buren la notion d’architecture est fondamental dans son travail dû à l’ampleur et à la complexité de ses dispositifs. Cela l’emmène à collaborer avec de grands architectes dont Patrick Bouchain avec laquelle il réalisa plusieurs de ses oeuvres basés sur une collaboration riche et mouvementée. 
Les Anneaux, 2007 quai des Antilles Nantes Daniel Buren et Patrick Bouchain © Sygal
Ces anneaux maintenant ancrés dans l’histoire de Nantes nous interpellent de jour comme de nuit par leurs spécificités très différentes. Le jour les anneaux s’imposent dans le paysage, l’encadre; alors que la nuit on assiste à un jeu coloré entre eux mêlant le rouge, le vert et le bleu. Disposés les uns derrière les autres sur le quai à égale distance les anneaux jouent avec notre illusion d’optique. Selon l’angle de vue que l’on adopte on peut voir une sculpture différente, ainsi on peut apercevoir à l’extrémité du quai un engrenage d’anneaux de plus en plus petits. En réalité ils mesurent tous le même diamètre étant de 4 mètres.
Plusieurs interprétations pour ces anneaux sont possibles, il y a tout d’abord le fait qu’il soit tous posés sur des bords d’amarrage de bateaux laissant penser à ceux qui permettaient aux marins d’accoster leurs navires. Ils peuvent aussi évoquer des anneaux de mariage représentant l’union entre la mer, la terre et l’eau ou encore les anneaux des esclaves victimes du commerce triangulaire dont Nantes faisait partie. Peu importe ce que l’on en pense, il faut laisser place à son imagination et interpréter à notre manière l’oeuvre de Buren. 
Habitant de Nantes ou non nous sommes tous passé devant ces imposants anneaux bordant le fleuve pour en faire un cliché. Que vous les préfériez de jour ou de nuit ils font désormais partie du paysage de Nantes, lié à tout jamais à son histoire.
Amélie PÉRON

« Excentrique(s) »

Le Titre singulier de cette œuvre, présentée en 2012 lors de Monumenta (une exposition qui se déroule chaque année dans le grand palais, proposant une carte blanche à un artiste) indique peut-être et avec humour, l'approche particulière proposée par l'artiste.
Les rayures caractéristiques de Buren s’éclipsent ici face à une forêt de disques colorés: nous pénétrons dans un espace de couleurs, formes, sons et reflets. Nos sens sont perturbés par ces grands disques teintés, surélevés par des colonnes, qui colorent la salle et semblent en reduire la hauteur, puis par la présence de  grands miroirs placés en son centre qui en révèlent au contraire l’immensité. Des sons accompagnent la promenade et participent à la création d’un environnement particulier.
Excentrique (s), Travail in situ, Monumenta 2012, Grand Palais, Paris, France, du 10 mai au 21 juin 2012. Détail ©Daniel Buren/photo par Pauline Weber.
Comme dans toutes ses réalisations, la place laissée au hasard est mince ; la succession de cercles colorés pourrait paraître réalisée de manière aléatoire alors que tout a en fait été calculé: les cercles sont placés sur des horizontales et verticales tracées sur la nef. Les croisements de chacune d’entre elles révèlent des points d’intersections sur lesquels l’artiste vient placer successivement des cercles de cinq tailles différentes. Le choix de leurs couleurs n’est pas non plus aléatoire : ce sont les seules couleurs existantes du matériau utilisé: des plastiques de couleurs bleu clair, jaune d’or, orangé et vert tendre. Les rayures, caractéristiques de son travail, sont quant à elles disposées sur les 1500 piliers soutenant ces cercles. Ici encore rien n’est laissé au hasard : les rayures mesurent toutes 8,7 cm de large. La diffusion des sons, tout au long de notre parcours, correspond aux noms des couleurs des disques répétés en différentes langues.
Excentrique (s), Travail in situ, Monumenta 2012, Grand Palais, Paris, France, du 10 mai au 21 juin 2012. Détail ©Daniel Buren/photo par Pauline Weber.
Seul élément apportant un caractère aléatoire; la lumière du jour qui traverse la grande verrière du Grand Palais va venir révéler l’œuvre sous tous ses angles. Elle fait toute la poésie de l'installation, et nous entraîne dans une forêt enchantée au travers de laquelle chaque parcours est unique.
Pauline OGER


Performances orchestrées

Seven Ballets in Manhattan, 1975

L’artiste Daniel Buren a exploré l’idée du mouvement au travers de la performance, il ne s’agit alors plus d’oeuvres statiques mais bien d’une chorégraphie orchestrée. C’est sous la  forme d’un ballet déambulatoire dans les rues de New York, qu’il parvient à mettre en action ses motifs emblématiques.
En effet, durant 5 jours, 5 acteurs ont défilé dans différents quartiers de la ville, chacun d’eux portant une affiche recouverte de bandes blanches et colorées. A la manière de protestants, les performeurs marchaient, suivant les directives précises de l’artiste. Ils devaient ainsi suivre le trajet imposé et ne répondre aux passants que par le nom la couleur présente sur leur affiche respective.
Seven ballets in Manhattan, travail in situ, New York, 27 mai/2 juin 1975. Détail. © DB-ADAGP Paris
Ce que l’on pourrait qualifier, non pas de manifestation pacifique, mais plutôt de manifestation artistique, vient se placer comme une interpellation du public. De fait, les spectateurs ne se déplacent plus jusqu’aux musées ou aux galeries, mais c’est l’oeuvre qui vient directement à eux.
Cette performance ne fut d’ailleurs pas perçue de la même manière sur les différents parcours. En effet, dans chaque quartier évoluaient des catégories socio-professionnelles distinctes, la population de Soho fut très curieuse et sensible à l’œuvre, tandis que les résidents de Wall Street l’interprétèrent comme une menace à l’image d’une véritable manifestation.
Ainsi, la performance, qui n’est pas un mode de présentation très courant chez Daniel Buren, crée une véritable tension avec le public. Elle contraste avec l’aspect statique de son motif rayé, mais parvient au travers de l’utilisation d’affiches à dialoguer avec les spectateurs et la ville.
Louise PEYON

Les Aventures du Roi Pausole

Daniel Buren a pour habitude d’investir des espaces dans lesquels le spectateur est placé au coeur de son art, mais alors, comment fait-il face à un auditoire immobile et contraint à un unique point de vue sur son travail?
La Péniche-Opéra - Scénographie de Les Aventures du Roi Pausole - 24 janvier 2004
© Daniel Buren/ADAGP, Paris.
C’est dans cette question que réside tout l’enjeu de sa collaboration scénographique de 2004 avec l’Opéra Comique de Paris. Dans l’opérette Les Aventures du Roi Pausole, il adopte une stratégie inversée : si le public ne peut pas être en mouvement, c’est donc le décor qui doit combler ce manque de mobilité afin de lui proposer différentes perspectives.
Buren imagine une scénographie modulable et dissimulable dans les murs qui permet la création de grands volumes pour des scènes communes, mais également d’espaces beaucoup plus restreints pour des scènes plus intimes. L’agencement permet une découpe horizontale de la scène mais aussi verticale par la création d’étages, de balcons ou de surélévations. Ce décor s’appuie sur des figures géométriques simples ainsi que sur des couleurs primaires et secondaires dominantes, souvent associées de manière complémentaires, elles réfèrent directement à un univers enfantin, de naïveté voir d’autodérision en accord avec le comique de situation du livret.
Bien sûr, la touche "Buren" est respectée grâce à la légère présence d’un motif rayure qui vient rigidifier la scénographie jusqu’alors très candide, que ce soit dans les rideaux, les escaliers ou encore les costumes, elle permet d’attirer l’œil sur des éléments clés de l’histoire. Le contrat est rempli pour cet artiste en quête de nouveaux défis.
Julien COUGNAUD

Buren met les voiles

La Ligne rouge : simples rangées ou allégorie de l'amour ?

Ce n'est pas du film La Ligne rouge de Terrence Malick dont nous allons parler, mais bien de l’œuvre in-situ du même nom réalisée par Daniel Buren en Chine. Cette œuvre éphémère située sur le lac du parc Taifeng Teda Tianjin était une commande du chinois Xing Dong. Ainsi, les usagers du lieu ont pu profiter de cette exposition pendant un peu plus d'un mois, à savoir du 21 septembre au 30 novembre 2005. Cette installation est composée d'une multitude de sculptures identiques réparties en quatre lignes traversant le lac.

La Ligne rouge, septembre 2005, travail situé, in Parc Taifeng Teda, Tianjin, Chine, 21 septembre-30 novembre 2005. © Daniel Buren/ADAGP, Paris. Détail.
Chaque sculpture est constituée d'un plateau circulaire rouge et blanc supporté par une tige émergeant du lac. On reconnaît de loin le travail de Daniel Buren grâce à ses fameuses rayures de 8,7 centimètres, visibles sur les plateaux.

La Ligne rouge, septembre 2005, travail situé, in Parc Taifeng Teda, Tianjin, Chine, 21 septembre-30 novembre 2005. © Daniel Buren/ADAGP, Paris. Détail.

Les couleurs utilisées par l'artiste sont le blanc et le rouge. On peut supposer que l'utilisation de cette dernière fait directement échos à la culture chinoise. En effet, le rouge est une couleur incontournable pour les chinois. D'après leurs croyances, elle symbolise la chance, le bonheur et la fidélité. De plus, la forme circulaire des sculptures nous rappelle celle des lotus émergents de l'eau. Cette plante adorée des chinois est très répandue dans le pays et se décline en plus de 500 variétés. Dans la culture chinoise, les fleurs de lotus jumelles sont souvent utilisées pour qualifier l'amour, la fidélité et le bonheur d'un couple harmonieux. Finalement, cette œuvre de Buren ne pourrait-elle pas être vue comme une allégorie de l'amour dans un couple fidèle et empli de bonheur?
Marion BERNARDI

Beaufort03

Dans le cadre de Beaufort03, Daniel Buren met les voiles. Il crée, en 2009, une installation qui serait censée donner l’illusion d’une forêt boisée aux spectateurs. Il remplace les troncs par des mâts et les feuillages par de vifs manches à air colorés. Au total, 100 mâts dominent, animent la plage de leur couleur. Cette oeuvre n’est au final jamais réellement établie puisqu’elle est en constante mobilité. Les manches à air se gonflent, s'agitent etvagabondent au dessus des passants au grés des vents. Ici le spectateur peut explorer et apprécier l’oeuvre sous tous ses angles et devient actif face à ces éléments qui ne se contemplent qu’en mouvement. Daniel Buren explore les diverses manières de représenter l’œuvre par le mouvement et ainsi briser les règles et les conventions de l’art «cloisonné».
Beaufort 03, Le vent souffle où il veut, 2009  © Daniel Buren/ADAGP

L’installation effectue en continu ce que l’on pourrait qualifier de performance, elle est évolutive. Telle une chorégraphie orchestrée par les éléments, ces girouettes offrent un balais de couleurs à qui veut bien laisser son regard vagabonder en leur compagnie.
Hermeline DUCHEMIN

Rétrospective

A la recherche des œuvres

Le travail de Daniel Buren est-il impossible à mettre en rétrospective ? En effet la grande majorité de ses œuvres sont soit détruites soit exposées aux quatre coins du monde. C'est sur ce constat qu'il lui vint l'idée d'Une Fresque. Par fresque il entend la tentative de résumer une vie, et c'est en partie ce que Daniel Buren a essayé de faire à Bruxelles. "Une fresque" est une exposition regroupant les œuvres des artistes qui ont bouleversé sa vie et sa vision d'artiste, ce qu'il obtient au final est donc véritablement une fresque avec des grands artistes du début du XXème siècle tel que Picasso ou encore Cézanne, mais aussi des artistes plus contemporains qui ont exposé avec lui. Mais Daniel Buren ne voulait pas d'une exposition classique qui laisserait entrer en jeu le goût ou encore l'histoire de l'art, c'est pour cela que toutes les œuvres sont exposées de manière aléatoire. Pour retrouver une œuvre s'engage alors un véritable jeu de piste avec pour seul aide la carte de l'exposition.

Une fresque - Daniel Buren ©Muriel de Crayencour

Comme le dit Buren  "Il n'y a pas de hiérarchie. Toutes les œuvres sont placées au même niveau". Les œuvres affichées changent au cour du temps ce qui rend cette exposition unique en son genre puisqu'elle est complètement subjective et personnelle. Une fresque permet donc de découvrir ou de redécouvrir ces artistes avec un œil nouveau, mais aussi de mieux comprendre l'artiste plasticien qu'est Daniel Buren.
Quentin CADERO