mercredi 17 janvier 2018

L'ART AU RAS DU SOL


   Le sol, dans sa définition, est une partie de la croûte terrestre, naturelle ou aménagée, sur laquelle nous pouvons nous tenir et nous déplacer. Ainsi, l'homme y laisse régulièrement son empreinte : creuser, fouiller, marcher, poser, reposer, courir, bondir, rouler ; il supporte sans un mot toutes nos actions, notre agitation et nos turbulences.
   En outre, la nature et les qualités du sol sont changeantes et diffèrent selon son usage ou son emplacement : cimenté, dur, gelé, glissant, meuble, aménagé, terreux, froid, désert, herbeux, neigeux, il prend donc toutes les formes, toutes les apparences possibles.
Le sol connaît une infinité d'états différents, que nous foulons constamment, mais que nous ne prenons pas le temps de regarder car nous n'y prêtons guère attention.

   D'ordinaire, vous en conviendrez, une oeuvre d'art pose et s'expose, que ce soit au mur, à l'abri sur son socle ou en hauteur sur une stèle. En revanche, peu d'entre elles acceptent d'être laissées à même le sol : les élever est en effet un moyen de les sacraliser, de leur donner de l'importance.
  Pourtant, le sol a des choses à dire, il  a une présence, il ne cherche qu'à s'exprimer et faire ressentir un flot d'émotions diverses. Certains artistes l'ont bien compris et cherchent à explorer cet espace à travers des œuvres hétérogènes, abordant des thèmes variés, jouant avec les contraintes architecturales, paysagères ou urbaines qu'il faut respecter tout en les contournant…
Mélanie Delaude, Delphine Le Mao



LE SOL COMME ESPACE DE RECUEILLEMENT, ESPACE SACRÉ, ESPACE MAGIQUE
Les peintures des Navajos  

Peintures de sable à fonctions cérémonielle/ religieuse/thérapeutique/ spirituelle.
Peinture de sable des Navajos,
   En Amérique du Nord-est, la philosophie de vie des indiens de Navajos vise à atteindre l’harmonie sacré, l’équilibre et la beauté (intérieure). Leur culture accorde une grande importance à la nature dans leur croyance spirituelle.
   Le sable, élément de la Terre, est rendu sacré par les dessins des shamans, pour établir un lien entre eux et les Êtres sacrés. Les peintures de sable vont permettre de « conserver l’harmonie des choses, d’aider le monde à fonctionner et apprendre à se protéger des esprits maléfiques.»
   Leurs peintures de sables sont un savoir ancestral, que seuls les « médecins » Navajos et leurs apprentis ont le droit de reproduire. Elles demandent beaucoup de précision dans les gestes. Ces mosaïques de sables sont un art éphémère, puisque la règle veut qu’elles soient détruites après usage. Les matériaux utilisés sont du sable sec, des pigments colorés naturels, des pierres pulvérisées, du charbon de bois, des pétales de fleur. Aux formes géométriques, colorées de noir, jaune, turquoise, blanc, ces dessins sacrés sont réalisés lors de cérémonies religieuses de guérison et ont alors un but thérapeutique. Elles constituent un élément important du déroulement du rituel. Dans la langue des Navajos, elles se traduisent par « ikààh » ce qui signifie « l’endroit par lequel les Dieux viennent et vont ». Si maladie il y a, cela signifie que la personne est en déséquilibre intérieur, sa guérison va restaurer l’équilibre et l’harmonie appelé « l’hohzo ». Le patient doit se placer sur le dessin, le point émergent de contact avec les Esprits. Le shaman qui a humidifié ses mains, prend du sable sacré pour en déposer sur le malade. Les chants et les prières rythment ce moment, les Êtres surnaturels sont contactés afin de rétablir l’équilibre des forces de la nature. Ce cérémoniel peut se prolonger de deux à neuf nuits.
   Ce dessin rituel fait par les hommes-médecins reprend des mythes de leur culture. En effet, les peintures originelles mettent en scène des figures mythiques, des êtres surnaturels accompagnés d’éléments sacrés (comme montagne, lac, arc-en-ciel, étoiles, serpent, soleil, lune, maïs, nuages etc.) Chaque peinture de sable illustre un instant d’un mythe de leur croyance. Il ne s’agit alors pas de faire de l’art pour l’art. Elles n’ont pas une fonction esthétique, la preuve : elles sont effacées une fois utilisés. Cependant, aujourd’hui certaines de ces peintures de sable sont détournées de leur fonction et conservées comme œuvre d’art permanente. Elles sont alors intégrées dans le domaine de l’Art. Néanmoins, le but du shaman n’est pas de faire de l’art. Peut-on toujours considérer ces peintures de sables comme des œuvres d’art ? Cet homme crée quelque chose de ses mains, ce qui lui confère malgré lui ce statut d’artiste. Mais ces peintures de sable n’ont pas de but esthétique, elles ont une fonction. Les œuvres d’art ne sont généralement pas à vocation utilitaire. Alors je pense que la notion d’œuvre d’art pour ces peintures va dépendre du regard qu'on leur porte et à qui elles s’adressent. La perception pour une personne étrangère à la culture Navajo sera naturellement différente de celle d’un indien Navajo.
Clara-Line OGER


Les géoglyphes ou dessins du désert de Nazca - Pérou

Les géoglyphes visibles dans le désert de Nazca (désert péruvien) dans le sud du Pérou sont des dessins gigantesques. Ces grandes figures, souvent d'animaux stylisés, parfois de simples lignes longues de plusieurs kilomètres, sont réalisées avec des cailloux (que l'oxyde de fer colore en rouge) qui couvrent le sol. En les ôtant, les Nazcas ont fait apparaître un sol gypseux grisâtre, découpant ainsi les contours des figures qu'ils traçaient.
 
Photos aériennes lignes Nazca - le singe, l'araigné, la baleine

   Ces incroyables tracés, découverts vers 1920 par hasard par un pilote d’avion, sont le fait de la civilisation Nazca. Elle appartient à la culture pré-incaïque qui se développa entre 300 av. J.-C. et 800 de notre ère. Les géoglyphes ont été réalisés pour la plupart entre 400 et 650. Ces lignes et  géoglyphes sont inscrits, sous la désignation « Lignes et géoglyphes au Nazca et Palpa », sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1994.
   Les géoglyphes sont approximativement répartis le long d'une ligne de 50 km reliant les villes de Nazca et de Palpa, dans la région d’Ica, avec une concentration principale dans un rectangle de 10 km par 4 km au sud du hameau de San Miguel de la Pascana. C'est dans cette zone que se trouvent les plus spectaculaires et les plus connus des géoglyphes, même si certains ont été endommagés par les travaux de la panaméricaine, notamment le Lézard, littéralement coupé en deux par le tracé de la route. C'est un environnement de plateaux arides et rocheux, sans terres arables. 
   Les Nazcas réalisaient les figures à grande échelle, probablement à l'aide de procédés géométriques simples comme le carroyage. Les pieux retrouvés sur le Grand Rectangle (300 pieux pour ce rectangle de 800 m de long et 100 m de large) semblent confirmer que ces dessins ont été tracés par simple carroyage : le dessin est quadrillé, puis reporté sur le sol où l'on a pris soin de tirer des cordages qui reproduisent les mêmes carrés à une plus grande échelle. Ils réalisaient leurs dessins probablement en déblayant les pierres sombres, brûlées par le soleil, et en les empilant de chaque côté des lignes pour faire apparaître par contraste la terre plus claire riche en gypse en dessous, ce qui explique que le promeneur distingue des sillons bordés de pierres.
   On trouve près de 800 figures géométriques : lignes, spirales, ellipses, trapèzes et triangles ; 70 dessins, gravés à la surface de la pampa, sont biomorphes, prenant la forme de végétaux stylisés et d'animaux (dessins zoomorphes) : singe, oiseau-mouche (colibri), condor, jaguar, araignée, orque, héron, pélican. Au total, plus de 350 représentations ont été étudiées. Elles franchissent les ravins, escaladent les collines sans que leur forme ni la rectitude apparente des lignes en soient affectées. La plupart des figures sont constituées d'une seule ligne ne se recoupant jamais.
   Ces tracés représentent les divinités animales du panthéon religieux des Nazcas. On a retrouvé, associées aux lignes, diverses poteries reprenant les mêmes motifs stylisés que les géoglyphes.
 
Plan vue aérien des 13 dessins Nazca principaux

   Depuis leur découverte, il y a plus de cent ans, ces géoglyphes n’ont cessé de nourrir l’imagination de tous, ufologues, archéologues et scientifiques. Selon certaines  interprétations, il y aurait un lien entre ces géoglyphes et un contexte rituel, selon d'autres, un rapport avec l’astronomie.

Voici certaines de ces hypothèses relevées :
   Les figures ont été associées au chamanisme. La plupart d'entre elles se trouvent près de sites  préhistoriques d’art rupestre qui présentent des images similaires, mais à une plus petite échelle. Les chamans prenaient des substances hallucinogènes qui leur permettaient de voir leur animal-pouvoir, une pratique courante en Amérique du Sud et particulièrement en Amazonie.
Certaines des drogues utilisées pendant les cérémonies rituelles donnent la sensation de voler dans les airs ; ce serait la raison pour laquelle les géoglyphes auraient été créés pour être vus du ciel. Cette explication est toutefois contredite par le fait que ces formes se voient depuis le sommet des collines environnantes, d'où elles furent redécouvertes par l'archéologue péruvien Toribio Mejia Xesspe en 1927.
Certains chercheurs ont émis l’hypothèse que ces traces visibles depuis le ciel s’aligneraient avec le soleil couchant à certaines périodes de l’année, ce qui en ferait un calendrier astronomique qui  servirait à anticiper les saisons.
   L’explorateur Jim Woodman est à l’origine d’une autre théorie plutôt insolite. Selon lui, les formes tracées par le peuple Nazca serviraient à baliser des couloirs aériens. D’autres affirment que ces géoglyphes serviraient à repérer les points d’eau. Cette théorie est confortée du fait que plusieurs puits ont été trouvés le long des pistes géantes tracées par les Nazca.
   L’historien de l’art Henri Stierlin a développé en 1983 une hypothèse consistant à dresser un parallèle entre les dessins et des aires de tissage géantes utilisées pour la confection de fils infinis qui servaient à tisser des habits funéraires. Bien que certaines pistes paraissent plus plausibles que d’autres, le mystère des tracés Nazca demeure encore irrésolu.
 
Illustration des lignes Nazca vue du ciel

   L'absence de données objectives a laissé libre cours aux théories archéologiques les plus hasardeuses. En effet une théorie ufologique relève que les figures de Nazca seraient soit une piste d'atterrissage pour des vaisseaux spatiaux extraterrestres, soit un message réalisé par la population locale à leur attention.
   Ces dessins ont par la suite inspirés de nombreux artistes. Quelques-uns visibles dans d’immenses champs aux USA. Certains artistes officialisaient leurs créations tandis que d’autres restent anonymes pour laisser planer le doute sur l’origine de ces « oeuvres » sur le sol et préserver un intérêt mystérieux.
Vincent Lassègue



Le labyrinthe de Chartres

   Construit dans les années 1200, le labyrinthe de Chartres est une œuvre emblématique de la religion chrétienne. Le labyrinthe est au sol et suit un cheminement d'arcs de cercles et de tournants pour un parcours de 261.55 mètres au total. Avec ces 12.88 mètres de diamètres il est le plus grand labyrinthe construit dans une église. En son centre on peut discerner un motif floral dans lequel on pouvait trouver une plaque de cuivre gravée représentant le combat de Thésée contre le minotaure. Malgré le scepticisme lié à une telle représentation au sein d’un édifice religieux, la gravure symboliserait en fait le combat du christ contre la mort (le minotaure) à travers un chemin semé d’embûches.
   La particularité de ce labyrinthe se trouve dans son unique chemin, il n'est pas fait pour se perdre mais pour se retrouver. Il existe de très nombreuses interprétations de cette œuvre qui sont plus ou moins fantaisistes ou sérieuses.
Schéma du labyrinthe
   Le labyrinthe est tombé dans l'oubli au XIXéme siècle où l'on pensait ce chemin comme un pèlerinage abrégé au sein d'un édifice religieux. Mais de nos jours le labyrinthe a retrouvé un très grand intérêt du public avec des interprétations mystérieuses et diverses. Certaines de ces interprétations sont psychologiques, d’autres sont plus axées sur la gestuelle durant le parcours tandis que certaines sont plus sectaires et tendent à montrer que le labyrinthe est relié à des idées bien plus sombres.
Le labyrinthe de Chartres © REIKI-CHARTRES 
   Depuis 1995, tous les vendredis les chaises de la cathédrale sont retirées et le public est autorisé à parcourir le labyrinthe dans lequel chacun est contraint de suivre le rythme de la foule. En traversant le labyrinthe, on croise d’autres personnes et on se questionne sur leurs positions : sont-ils loin devant ou juste à côté ? Vont-ils dans le bon sens ? En tout cas chaque personne, quel que soit son rythme ou son emplacement finira comme tous au centre du labyrinthe ! Cette œuvre inscrite dans le dallage du sol est un moyen de se  perdre ou de se retrouver autant dans son corps que dans son esprit.
Cédric Marmonnier


Exposition à l'abbaye de Maubuisson, Jardin fleuri par Régis Perray

Régis Perray est un artiste plasticien qui est né à Nantes dans les années 70. Il a une démarche quelque peu particulière dans son travail artistique. Tout petit, il avait pour habitude d’aller à l’église, d’être plongé dans l’univers catholique même si cette présence était plus par obligation que par croyance. Avec le temps, il a tissé un lien fort avec ce monde, et c’est ainsi, qu'aujourd’hui, en tant que croyant, il aime intervenir dans des lieux religieux. C’est le cas à Maubuisson. Se situant dans le val d’Oise, cette abbaye fondée en 1236 par Blanche de Castille est une abbaye cistercienne de femmes.
Ainsi, Régis Perray qui travaille sur la question de l'espace, de l'histoire a trouvé que cet endroit était parfait pour réaliser une installation…
Les oeuvres de Régis Perray sont des oeuvres in situ. Après quelques recherches sur l'histoire de l'abbaye, il découvre que sous le sol sont enterré les soeur mortes. Des défunts y reposent. En créant le "Jardin fleuri", Régis Perray veut faire comprendre au spectateur qu’il faut regarder oùl’on marche. « Le sol est une surface à soigner, à patiner, à sublimer, comme pour ne pas oublier d’où l’on vient, s’ancrer solidement, prendre racine. Le sol est le lieu de la renaissance: on peut y faire pousser des fleurs »
© Régis Perray -L'Abbaye fleurie - Abbaye de Maubuisson - 2016
Une, deux, trois,… 8000 ! 8000 assiettes lavées une par une à la main, restaurées et repeintes. Nous avons affaire à un travail long et minutieux. Ainsi, il a chiné dans des vides greniers, des brocantes, chez Emmaüs, n’importe où il trouvait des assiettes, provenant de multiples familles. Et ce facteur là compte beaucoup pour notre artiste. En effet, il aime se dire qu’un objet, peu importe ce qu’il est, a une histoire, appartient à une famille et a traversé des générations. Ressentir ce voyage, l’histoire, le passé d’un objet est pour lui fabuleux.
Alors il a pris soin de plus de 8000 assiettes. C’est en quelque sorte un hommage de les avoir lavées une par une, puis restaurées, et repeintes, pour, par la suite les installer, telles des fleurs, sur le sol de l’abbaye. Certaines sont empilées les unes sur les autres, formant ainsi comme des fleurs de nénuphars. Le sol apporte alors une dimension importante à l’oeuvre. Le symbole de la fleur à travers ces assiettes est comme une nouvelle naissance pour les défunts qui reposent en dessous. Les fleurs en motif dessinées sur les assiettes sont toutes différentes, tout comme le fait que chaque individu est différent. Le sol devient un jardin symbolique, il n’est pas qu’un simple plancher. C’est un lieu de reconnaissance. Il permet de ne pas oublier ceux qui s’y reposent en dessous.
Régis Perray peut être pris pour un fou lorsqu’on regarde son travail. Il nettoie le sol, prend soin de celui-ci en le lustrant et en invitant le public à faire de même. En fin de compte il offre une certaine générosité en prenant soin des matières, des couleurs, des objets qui l’entourent. Son travail autour du thème floral a une touche poétique mais pour percevoir cette touche, encore faut-il chercher à comprendre le sens de son travail.
Capucine Brossier

L'ART AU SOL, JOUANT AVEC L'ESPACE URBAIN OU L'ESPACE ARCHITECTURAL

Mosaïque Antique d’Uzès.


C’est lors de la construction d’un internat à Uzès dans le Gard que des archéologues de l’INRAP (Institut de recherches archéologiques préventives) ont découvert des mosaïques exceptionnelles. Ces vestiges remontent à la ville romaine d’Ucetia. Ces mosaïques sont ornés d’animaux et de motifs géométriques. En parfait état de conservation , la mosaïque principale doit être déposée pour être étudiée et en partie restaurée. Ghislain Vincent, archéologue de l'INRAP explique que la mosaïque doit être enlevée afin « de concilier conservation et aménagement du territoire».

Dégagement des mosaïques par les archéologues de l’INRAP. © INRAP

C'est ce que prévoit la loi relative à l'archéologie préventive de 2001 : permettre d'étudier les sites découverts au cours de chantiers publics ou privés, sans entraver les projets d'aménagements.» et comme l’oeuvre a été découverte lors de la construction d’un internat l’enlèvement entre dans le cadre de cette loi.
La mosaïque est composée de 60 m² de tesselle (petites pierre cubiques) et son rare état de conservation fait dire à Ghislain Vincent que ce type de découverte ne se fait que tous les 10 ou 15 ans. Ce dernier a relevé une inscription en grec sûrement liée au commanditaire ou au propriétaire des lieux. Cette inscription indique le nom d’un général romain nommé Lucius Cornelius. Il aurait défendu la ville face à des soldats germains à la fin du IIe siècle avant JC.


Mosaïque aux dimensions impressionnantes. © INRAP
Les motifs géométriques sont constitués de motifs ornementaux formés d’enroulements se reliant de façon continue. De plus ils sont ornés de svastikas. Un des médaillons est entouré de quatre animaux polychromes, un hibou, un canard, un aigle et un faon. Installer une mosaïque au sol peut exprimer plusieurs choses : s'agit-il d'une riche villa, d'un lieu public ? Que racontent les motifs et animaux qui apparaissent, quels sens avaient-ils pour les usagers ? Un sens décoratif, esthétique, symbolique, social ? L’art de la mosaïque est intimement lié à l’Antiquité romaine mais elle reste en usage au cour du Moyen Âge, principalement chez les byzantins. Quel que soit le fragment utilisé pour sa réalisation (pierre, émail, verre, granite...) ils sont appelés «Tesselles». Longtemps disparu, cet art a retrouvé le chemin du XXe et XXIe siècles au travers des artistes de l’Op Art comme Carlos Cruz-Diez ou Vasarely.


Des oeuvres délimitant des espaces de vie. © INRAP

Cette œuvre acquiert sa majesté au travers de multiples éléments. Une telle découverte est rarissime et nous permet d’en apprendre d’avantage sur le fonctionnement des civilisations qui nous ont précédées. L’état de conservation de la réalisation est exceptionnelle et sa découverte lors d’un chantier privé lui donne un intérêt exacerbé car c’est par hasard que cette trouvaille a été faite.L’histoire de ces mosaïques étant compréhensible et nous ayant été transmise apporte à l’œuvre d’avantage qu’un seul aspect esthétique, elle porte une histoire, un but, une fonction.

Cornillon Kilian


CHA-CHA-CHA, 2001, Carrefour du pot d’Étain, Pont-Audemer


Élisabeth Ballet, née en 1957 à Cherbourg et diplômée de l’École Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris en 1981, se fait connaître à la fin des années 1980 par un ensemble de travaux et d’installations interrogeant la notion d’espace clos et les éléments fondamentaux de la sculpture. Refusant souvent le principe d’une sculpture en trois dimensions refermée sur elle-même, elle travaille sur des questions de déplacement dans l’espace, l’articulation du dehors et du dedans, et plus généralement l’articulation d’une œuvre vers l’autre.
En 2000, l’artiste est commanditée par la ville de Pont-Audemer en Haute-Normandie pour aménager un carrefour au sein de la ville : la place du Pot d’Étain. Traversée par une route nationale, le flux de véhicules traversait la ville sans la prendre en compte, rendant la circulation et les échanges entre la ville, les véhicules et les piétons très chaotiques.
Le but du réaménagement était de modifier ces échanges et d’amener une solution d’ensemble pour raccorder ces différents éléments entre eux et ainsi apporter plus de cohérence au lieu. Élisabeth Ballet a voulu traiter l’ensemble de la place plutôt qu’un seul point et réaliser une œuvre horizontale plutôt que verticale : « poser une sculpture au milieu aurait ajouté à la confusion et créé un obstacle de plus. » Elle a donc pensé à travailler sur le sol en créant une sorte de tissage ou de trame qui se déroulerait sur toute la chaussée comme un grand tapis et qui intégrerait les différents espaces prévus dans le plan de réaménagement du site : les routes allant dans des directions différentes, les zones piétonnières, un carrefour et le passage d’un chemin de fer.


Elle choisit un motif de dentelle, recomposé à l’échelle de la place avec des pavés traditionnels en granit de douze centimètres par douze. « Je voulais créer une liaison apaisante visuellement et mentalement. Le motif devait entrelacer les contours rectilignes précis des routes et la marche à pied aléatoire. » En noir et blanc, la dentelle fluide et ondulante rassemble avec précaution et précision les éléments épars de la ville, absorbant les routes et les trottoirs comme de simples objets. Pour Élisabeth Ballet, « C’est le contraste entre ce travail d’apparence délicat et le fait que des camions roulent dessus chaque jour, qui en fait toute la grâce.»
L’intervention d’Élisabeth Ballet répond au contexte architectural en tenant compte de sa spécificité et de ses contraintes. Les espaces urbains et la signalisation restent visibles et compréhensibles, ce qui ne perturbe pas le passage des usagers. Mais avec « Cha-cha-cha », elle crée un espace privé au sein d’un espace public, qui se présente comme un labyrinthe dans lequel nous sommes invités à déambuler.

La place à l'échelle humaine, © Interaction multimédia 2017

Cette approche de l’espace est récurrente dans le travail d’Élisabeth : en effet dans le même esprit, lors d’une de ses expositions en Écosse en 1996, elle avait recouvert le sol de sel pour que les visiteurs y laissent leurs empreintes de pas et créent au sol un dessin qui relie entre elles les œuvres exposées.
Morgane Givelet

Traverses, Aurélien Bory



Aurélien Bory est un artiste scénographe, chorégraphe et metteur en scène très impliqué dans la ville de Nantes. Il a notamment travaillé pour le « Le Grand T » durant cinq années ; une collaboration qui s'est achevée l'automne dernier avec sa pièce de théâtre Espæce rendant hommage à l'écrivain Georges Perec et à son livre Espèces d'espaces. Le rapport qu'entretient Aurélien Bory à la problématique de l'espace est tout autant évident dans son œuvre urbaine Traverses que dans son travail de metteur en scène, sur les planches. Dans Traverses, il propose une réinterprétation de l'espace public. Cette œuvre, qui a été présentée lors de l'édition 2016 du Voyage à Nantes, a été menée dans le cadre du réaménagement du boulevard Léon Bureau, un axe majeur de la ville de Nantes reliant le quartier de la création au parc des Chantiers. Le projet propose une réponse à la problématique de la cohabitation entre voitures, vélos et piétons sur ce boulevard extrêmement emprunté par les automobilistes.
L’œuvre se présente comme un ensemble de lignes blanches, peintes à même la voirie, qui se croisent et s'entrelacent, traversant d'un côté à l'autre le boulevard. Cette interprétation nouvelle et poétique du passage piéton se voit alors attribuer des airs de chemin de traverse.

Réaménagement du boulevard Léon-Bureau par Aurelien Bory à Nantes - © Jean-Dominique Billaud/Samoa

« Je suis parti sur l'abandon de la ligne droite,
donc j'ai fait osciller les 400 mètres du boulevard qui serpente,
et tout découle de ça. Les cyclistes et les piétons suivent ces nouvelles traces.
Je ne dis pas que c'est le paradis mais c'est plus convivial"


Lors de sa traversée de la chaussée, le piéton est en effet tenté de suivre ces longues lignes blanches et, en déambulant sur la chaussée et en renonçant au chemin le plus court, il contraint les automobilistes à revoir leur allure et à entretenir un rapport plus courtois avec les autres usagers. De plus, cette réflexion ne se limite pas à la simple réinterprétation du passage piéton mais s'étend sur toute la longueur du boulevard. Celui-ci, en étant uniquement composé de lignes courbes tend alors à réduire le flux de circulation et oblige une nouvelle fois les automobilistes à ralentir.

© Vincent Jacques/Samoa

Du point de vue de la réalisation, cet aménagement atypique de l'espace urbain a bien évidemment nécessité une adaptation technique et a été réalisé dans le respect de la réglementation.
Ce projet, parfaitement intégré dans l'esprit du quartier de la Création de l’Île de Nantes est une véritable réussite autant d'un point de vue fonctionnel qu'esthétique.

Marianne Guillot

Peter Gibson et la signalétique

Peter Gibson, dit Roadsworth, est originaire de Toronto, il vit à Montréal et réalise des œuvres intimement liées à l'environnement urbain. D'abord graffitiste, il s'est réorienté vers l'intervention artistique. À l'aide de pochoirs et de bombes de peinture, il graffe ici et là sur les trottoirs et les rues.
Son aventure commence en 2001. Cycliste convaincu, il est en guerre contre la ville de Montréal. Il lutte contre l’automobile et veut faire de Montréal le royaume de la bicyclette ! Sa principale arme est de détourner le mobilier urbain avec plein d’humour en exploitant la signalisation routière à l’aide du pochoir (les passages piétons sont transformés en ponts, les lignes au sol en prises de courant ou encore les places de parking en fleurs…)



Prise électrique mâle, Baie St Paul
Prise électrique femelle

Il s’attelle à un exercice novateur : celui d’investir l’espace public et plus précisément ses routes, trottoirs et pistes cyclables, afin de leur redonner un tant soit peu de couleurs et de vie ! Son engagement devient artistique et politique.
À l'automne 2004, les activités nocturnes de Roadsworth ont mené à son arrestation. Il était passible de lourdes amendes et d'un casier judiciaire, mais il a été condamné à une peine relativement peu sévère grâce à l'appui que lui a réservé la population après son arrestation.
Depuis lors, Roadsworth a reçu plusieurs commandes et il poursuit son œuvre, tant dans le domaine musical que dans celui des arts visuels.
Avec beaucoup d’humour, de créativité et des pochoirs de grandes tailles, Peter Gibson va sur le terrain, dans la rue. Aux début, ces périples étaient plutôt nocturne mais avec l’expérience et l’autorisation, ses interventions graphiques ont pu se faire plus facilement de jour. Il veut, grâce à son art, créer un élément de surprise dans l'espace public. Il puise généralement son inspiration chez les gens qui remettent en question le pouvoir et l'injustice. Ses excellentes créations street art tendent peu à peu à délaisser les murs de Montréal pour se pencher directement sur le sol et les routes. Il métamorphose l’espace seulement avec des pochoirs et de la peinture. La faune, la flore et les illusions d’optique investissent ainsi le paysage urbain. Cela vaut le coup d’œil.


Cette relation au sol n’est pas nouvelle dans le milieu du street art, c’est même l’un des endroits les plus utilisés pour s’exprimer dans ce domaine. Notre environnement urbain nous offre un terrain de jeu parfait. Le sol, le bitume offre une autre dimension et une vision des œuvres différentes selon notre point de vue. Il nous permet donc de jouer facilement avec la 3D et tout un tas d’illusions d’optiques.
J’aime beaucoup ce genre de détournement des lieux et des motifs. Cela vient rompre la monotonie que les rues des villes peuvent nous donner.
Elles sont des endroits bruts qui visent la praticité plutôt que l’esthétisme. Elles ne sont donc pas prévues pour mettre en valeur l’art et encore moins les routes sur lesquelles nous roulons, nous marchons ou encore nous faisons du vélo.
Malgré cela, Roadsworth avec son talent et sa personnalité, arrive tout de même à faire de ces routes, des toiles géantes visibles de tous.

Arthur Piéto


Julian Beever – Anamorphose


Né en 1959, Julian Beever est un artiste britannique. Anciennement artiste musical et portraitiste de rue. Il s'est fait connaître dans les années 1990 pour ses trompes-l'oeil réalisés au ras du sol partout dans le monde (France / Angleterre / Ecosse / Etat-Unis / etc.). Il utilise la rue, et spécifiquement les sols et les trottoirs comme support pour son art.
Depuis 10 ans, il arpente les rues du monde entier afin de marquer les esprits et afin de rendre le réel irréel.
Maniant esthétisme, perspective et profondeur à la perfection, ses oeuvres ne laisse pas les passants indifférents. Contemplées sous un angle précis, ses dessins donnent l'illusion d'être en trois dimensions et prennent de la profondeur ou du relief. On pourrait croire que l'objet, le lieu ou les créatures sorties tout droit de son imaginaire sont bien réelles.
Cette technique de représentation trompant notre oeil et notre cerveau s'appelle l'anamorphose.
L'anamorphose c'est la "déformation réversible d'une image à l'aide d'un système optique" c'est à dire que l'image doit être considérée d'un point de vue en particulier. Dès lors que le spectateur se déplace autour de l'oeuvre, l'illusion commence à disparaître jusqu'à devenir un dessin méconnaissable.


© Julian Beever
© Julian Beever
Julian réalise ses créations à la craie et au pastel. L'empreinte de ces médiums disparaît avec le temps ou avec l'eau. L'artiste ne souhaite donc pas "ancrer les rues mais plutôt ancrer les esprits".
"Pour moi, le produit final est la photographie et la craie sur le sol seulement un véhicule. Bien que cela ne dure que quelques jours et peut être vu par quelques centaines de personnes, une photo sur internet va durer éternellement et peut être vue par des millions" Julian Beever.
Cet artiste humble efface ses créations au jet d'eau à la fin de ses "performances". La seule trace que l'on retrouve de son travail, ce sont les photos des spectateurs qui étaient présents au bon moment, rendant ses œuvres éphémères en œuvres éternelles, pour le plaisir de nous les partager, régalant nos pupilles.
Ne laissant pas d'empreinte visuelle, il arrive quand même à marquer les esprits en dessinant au ras du sol, la culture de la société du quotidien.


 
 © Julian Beever

 
 © Julian Beever

Melvin Bossis

Promenade de Copacabana, Burle Marx

   Roberto Marx Burle est un paysagiste brésilien né en 1909 à São Paulo. Il commence par s'intéresser au dessin et à la peinture, puis étend son apprentissage à la céramique, la scénographie, la musique, la joaillerie, la gravure et au paysagisme. Il côtoie l’urbaniste Lucio Costa et l’architecte Oscar Niemeyer, rencontré aux Beaux Arts. Puis, il libère sa créativité à travers des réalisations comme les terrasses-jardins du Ministère de l’Éducation (1938) mêlant végétation foisonnante et organisation claire et lisible de l’espace. Il a pour objectif la mise en valeur, la préservation et la découverte d’espèces locales. Cette vision moderne de l’espace contribue à sa renommée.
   Cela lui permet, dans la même période, de s’ouvrir au travail des formes et bien plus tard, à la peinture architecturale. C’est en effet à l’âge de 62 ans que Marx Burle réalise en 1971 la Promenade de Copacabana, à Rio de Janeiro, au Brésil.


Promenade de Copacabana Courtesy © Burle Marx & Cia. Ltda., Rio de Janeiro.



   Longue de quatre kilomètres cette mosaïque de sol se compose de pavés noirs, blancs et rouges. Ces morceaux de pierres plates sont agencés de manière à former un motif ou une image. Ici Marx Burle a choisi de représenter des graphismes, des motifs et des formes pleines s’imbriquant sans jamais se chevaucher, renforçant ainsi la lisibilité. Elles sont placées au bas des immeubles, sur les trottoirs mais aussi au milieu de la chaussée. Ces diverses formes peuvent être interprétées comme une base ludique pour ceux voulant s’amuser à sauter d’une couleur à une autre. L’artiste a également représenté une série de vagues à l’aide de formes géométriques, ondulant régulièrement sur ce bord de mer et apportant du mouvement et de la vie sur un sol créant une zone tampon entre la plage et la ville.


Promenade de Copacabana By Mteixeira62 

    Cet espace revisité est l’objet d’une interaction avec le public. Il est apprécié des habitants et des trois millions de visiteurs qui y passent chaque année. Copacabana étant un quartier festif en bord de mer, mondialement connu pour sa plage. Les usagers de ces lieux sont donc nombreux participent par leur déplacement à l'identité de cette promenade. Cette œuvre, qui s'inscrit sur le sol a donc un impact considérable sur son environnement et en change sa perception.

     Ainsi Marx Burle se sert du paysage comme un peintre de sa toile. Cependant le spectateur peut à la fois être immergé dans ses œuvres, au niveau du sol, et avoir une vision globale s’il prend de la hauteur, vue du haut des immeubles. Ces deux positions permettent de poser deux regards, deux lectures, d'expérimenter deux façons différente d'en ressentir l'impact.
     Cette approche innovante « élevant le paysage à l’Art » fait notamment référence à la culture portugaise où les zones piétonnes sont traditionnellement recouvertes de pavés noirs et blancs (basalte et calcaire).

 Sol de l'Université de Coimbra, au Portgal Copyright photo by Manuel Matos

Amélie Wehrung


L'ART AU RAS DU SOL, VECTEUR D'EMOTIONS


Installation de sel « pour ne pas oublier, continuer à dessiner », Motoi Yamamoto 

   « Dessinez une route avec du sel. 
C'est comme un voyage à suivre mes propres souvenirs. » 
Motoi Yamamoto.

   Motoi Yamamoto, un artiste né en 1966, au Japon. Il réalise des œuvres impressionnantes avec du sel au ras du sol. Pour cela, il se munie d’une poche à douille, grâce à laquelle s’échappe une toute petite quantité de sel.
Ainsi il réalise des dessins extrêmement minutieux, à base de cristaux de sel, en recréant des contrastes entre la densité des petits tas de sel blancs et le sol (généralement plus foncé).
   Ces "installation" sont généralement réalisés dans des musées, ainsi le visiteur peut voir l’artiste en action pendant qu’il achève l’œuvre. On peut également retrouver ses créations dans des lieux plus insolites qui les mettront encore plus en valeurs. Par exemple, en 2016 il a créé deux paysages de sel dans un château médiéval du XIIIe siècle à Aigues-Mortes, situé dans le sud de la France.


Détails labyrinthe

   Dès 1992, l’artiste commencera à exposer ses œuvres, et après une quinzaine d’expositions au Japon, il commencera une carrière internationale dans les années 2000 (en Allemagne, en France, en Italie, aux USA…),ainsi il gagnera en reconnaissance et en notoriété à travers le monde entier.
   Le château d’Aigues-Mortes est l’endroit idéal pour mettre en scène les motifs en sel de l’artiste. Il fait penser à l’endroit où l’on entreposait le sel, le replaçant ainsi dans son contexte d’origine, mais sous une autre forme/disposition. Aigues-Mortes est l’une des principales villes de Méditerranée à posséder autant de marais salants. D’ailleurs le château d’Aigues-Mortes est placé juste en face des marais salants. Ce n’est que plus tard dans l’histoire (quand le commerce du sel se développe dans la ville) que le sel sera stocké dans les tours des remparts du château.


Marais salant

    Depuis la mort de sa sœur, cet artiste japonais travaille à la réalisation de ces curieux labyrinthes, afin de garder sa mémoire vivante.
« Dans la culture japonaise, lorsque vous assistez à un enterrement, vous devez parfois vous jeter du sel comme un acte de purification.” Motoi a perdu sa sœur à un jeune âge et depuis cette tragédie, le sel est devenu son matériau de prédilection.


Détail motif de sel

   De plus le labyrinthe (motif que l’artiste représente) symbolise le combat pour la vie et l’immortalité. Ainsi c’est une certaine manière de rendre un hommage à sa sœur et pour lui de faire son deuil.
   Au fond de la salle, l'artiste installe un «tas de sel», comme une montagne. Plus on s'éloigne de ce tas, plus le graphisme s'organise, prenant le graphisme d'un labyrinthe. L’artiste crée un contraste et met en valeur le travail effectué et la notion d’étapes dans le temps. Entre minutie et désordre, l’écart est tel qu’il révèle également le temps passé à construire l’œuvre, ett en parallèle le temps passé à la production du sel dans les marais. Puis la géométrie des motifs peut rappeler les salines (champs de sel) où est «produit» et récolté le sel.
Environnement Labyrinthe d'Aigues-Mortes, 2016


   On peut donc comparer la composition finale aux étapes de la récolte du sel. Le vide représentant l’eau de mer (le sel n’étant pas visible l’artiste ne le représente pas) le labyrinthe, les salines et le tas de sable le produit de la production.
Le rapport avec l’eau est évident, le sel étant récolté dans l’eau de mer, la « fissure » que l’on aperçoit peut faire penser à une avancée de la mer, effaçant ainsi les traces de sel, démontrant ainsi que ces créations sont éphémères.

Margot Chevallereau

« 144 Tin Square » (144 carrés d’étain, 1975) de Carl André


    Carl André, né en 1935 à Quincy, est un peintre et sculpteur minimaliste américain. Son œuvre, « 144 Tin Square » (144 carrés d’étain), réalisée en 1975, est une de ses œuvres les plus emblématiques. Elle se compose de 144 carrés plats en étain mesurant 30,5 cm chacun, ils sont alignés en bande de 12 de manière à former un grand carré (366 x 366cm) posé à même le sol. Ce genre de sculptures est une grande révolution en histoire de l’art, en effet elles éliminent un des attributs essentiels de la sculpture : la verticalité. De plus, l’artiste remet en question le respect traditionnel qu’imposent ordinairement les statues érigées pour célébrer les grands hommes.


 Carl André, "144 Tin Square", 1975, Etain, 366x366cm
Crédit photographique : © Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP
© Adagp, Paris


    Dans le travail de Carl André, inutile de chercher un savoir-faire ou une technique particulière. La simplicité d’utilisation de matériaux bruts montre bien l’approche minimaliste de l’artiste. En effet, l’œuvre « 144 Tin Square » est posée à même le sol, la notion de socle est abolie, le spectateur est même convié à marcher dessus. L’utilisation d’étain brut permet au spectateur de sentir la notion de masse, de densité, de pesanteur, il ressent la sculpture. S’étant inspiré de Brancusi, il déclare lui-même : « Je ne fais que poser la Colonne sans fin de Brancusi à même le sol au lieu de la dresser vers le ciel ». Ici la notion d’infini s’exprime donc à l’horizontale, les plaques carrées s’enchaînent sans aucune forme de hiérarchie, elles peuvent être interverties de la même manière que les modules formants « la colonne sans fin » de Brancusi. 

   La sculpture cesse d'être une forme autonome et solitaire, elle s’impose dans le lieu qui la contient, elle devient le lieu. L’artiste implique ainsi le spectateur de manière active, puisque ce dernier évolue dans l’espace, cet espace qu’est l’oeuvre. Carl André appartient donc à l’Art minimal puisque sa réflexion porte avant tout sur la perception des objets et sur leur rapport à l’espace. Pour conclure, dans cette œuvre « 144 Tin Square », Carl André installe quatre concepts majeurs, la platitude, la construction modulaire, l’utilisation de matériaux bruts et enfin, la sculpture en temps que lieu. Il n’y a aucun romantisme associé au geste de l’artisan puisque le matériau n’est pas travaillé, toute l’esthétique de l’œuvre se résume donc aux propriétés visuelles et physiques du matériau.


Léon De Coninck


Super asymétrie, Vincent Mauger

    En 2012, Vincent Mauger présentait « Super Asymmetry », installée dans le Centre d'art contemporain « la Maréchalerie » à Versailles. Sur surface au sol d’environ 120 m², des briques rouges alvéolées sont empilées sur une hauteur d’1m20. Cette installation envahit l’espace du sol pour en créer un nouveau. Ce dernier est surélevé et une partie des escaliers est même engloutie sous la brique, créant une sensation de lévitation. Cela modifie d’une part les proportions de la pièce et d’autre part la perception des visiteurs. En effet, au centre de l’œuvre, la matière a été creusée et travaillée dans le but de créer des variations, une sorte de paysage. L’artiste joue avec les échelles, les vides et les pleins.


 
 Sans titre, Vincent Mauger, 2012. ©Aurélien MOLE

     Cette pièce unique invite alors les visiteurs à vivre une expérience sensorielle avec le volume. Selon lui : « le spectateur peut s’en emparer mentalement et s’imaginer poursuivre la construction aussi bien qu’en modifier la configuration ». Il invite le spectateur au déplacement aussi bien physique que mental.

 
Sans titre, Vincent Mauger, 2012. ©Aurélien MOLE 

     Cette œuvre est à l’image du travail de Vincent Mauger, essentiellement connu pour ses sculptures. Diplômé de l’Ecole des Beaux-Arts, cet artiste à plusieurs casquettes : architecte, ingénieur et menuisier. Il travaille à partir de matériaux ordinaires, essentiellement « pauvres » : bois, tissus, métal, carrelage, parpaings, PVC, polystyrène… Ces matériaux restent identifiables mais la façon de les utiliser crée un décalage par rapport à leur aspect connu de tous. Ses installations plastiques constituent des représentations de paysages, des sortes de paysages mentaux évoluant dans l’espace. "Je confronte souvent un espace réel, le lieu d’exposition, avec une représentation d’une perception mentale d’un autre espace. J’aime jouer sur ce paradoxe qui est de chercher à matérialiser ce que serait un espace mental" révèle l’artiste. Il aime à osciller entre dessin et mise en volume en associant calculs numériques et techniques de construction artisanales.

 
 Vincent Mauger, 2009, tirage numérique sur papier, 30 × 40. ©Galerie Bertrand Grimont 

    D’un point de vue personnel, je trouve le travail de Vincent Mauger fascinant. La matérialisation de ses rêveries, ses fragments de paysages nous emportent dans son univers sensible et onirique. Entre monde physique et monde virtuel, ses propositions interrogent à la fois des notions de mouvements et de fragilité et c’est ce qui rend son travail singulier. Sa faculté d’imaginer une œuvre aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur d’un bâtiment, aussi bien au sol qu’au plafond, ainsi que l’ambiguïté de ses sculptures créent des lieux propices à la réflexion.



Laéticia Gérard 

Entre nature et artifice

    Miguel Chevalier est un artiste français né en 1959, c’est un pionnier de l’art numérique et de l’art visuel. En effet il utilise l’informatique comme un moyen d’expression et s’en sert pour revisiter les arts plastiques et visuels. Son travail se porte essentiellement sur le principe d’immatérialité dans l’art, il questionne les thèmes de l’hybridation ou encore de l’interactivité et s’inspire de l’histoire de l’art et de la nature pour créer ses œuvres digitales.
 Digital Water lilies, South Piazza, Jing An Kerry Centre, Shangha

     Il a créé, en 2017, une série de trois œuvres pour Jing an Kerry centre à Shanghai intitulées « Trans-nature », « Dreamed gardens » et « Digital Water Lilies ». Cette dernière est une installation qui transforme la place du centre en un gigantesque tapis de fleurs numériques interactives de 600 m². Ce parterre se compose de fleurs de plusieurs variétés, Miguel Chevalier a d’ailleurs utilisé des sortes de fleurs très symboliques du printemps chinois comme les agapanthes africaines, les orchidées, les camélias et les fleurs des pêchers.

Digital Water lilies, South Piazza, Jing An Kerry Centre, Shanghai

     Cette création interactive est constituée de vidéoprojecteurs et de capteurs infra rouge afin de détecter le déplacement des visiteurs. En effet, lorsque les spectateurs se déplacent, le tapis de fleurs s’écartent sous leurs pieds, les incitant à devenir acteur de cette installation gigantesque. De plus, les fleurs reproduisent un cycle, grâce à un code informatique : elles naissent, grandissent puis meurent. Elles sont  de couleurs et de tailles aléatoire ce qui fait que l’œuvre ne produit jamais le même schéma, elle se transforme à l’infini.

Digital Water lilies, South Piazza, Jing An Kerry Centre, Shanghai

     On ne peut s’empêcher de voir une référence à l’œuvre des nymphéas de Monet. On retrouve dans l’installation de Chevalier la poésie et la sensibilité de Monet. Comme lui, il interroge le lien entre la végétation et la lumière .

Cette œuvre réinvente la nature au milieu de la jungle de béton qu’est Shanghai, c’est une nouvelle forme « d’impressionnisme digital ». L’utilisation du sol comme moyen de projection permet une plus grande immersion du spectateur dans l’œuvre mais crée aussi l’illusion que ses fleurs de pixels poussent sur le sol bétonné de la métropole.
     Miguel Chevalier cherche à créer un lien entre l’art et le végétal mais aussi entre l’homme et la nature, il propose grâce au « Digital Xater Lilies » une parenthèse de nature et de poésie comme suspendue dans le temps.
Louna Laplace-Claverie



Undercurrent (red), 2008, Mona Hatoum


     Mona Hatoum, artiste britannique née à Beyrouth en 1952, vivant à Londres depuis 1975 est une incontournable artiste de la scène contemporaine internationale avec ses œuvres faisant écho à sa propre histoire. Elle traduit ses souffrances liées à ses exils forcés. En effet, Mona Hatoum, réfugiée au Liban suite à la guerre en Palestine, fut séparée de ses parents lorsque la guerre civile a éclaté au Liban au milieu des années soixante-dix et se réfugia à Londres où elle étudia au Beaux arts.
     Nous allons nous intéresser à une de ses œuvres faisant partie de l’exposition de 2008 à la Tate Moderne qui est Undercurrent (red). Cette exposition est une rétrospective de ce qu’elle a créé depuis son arrivée à Londres en 1975. Des crépitements et des bourdonnements traversent les galeries de l’exposition de Mona Hatoum à la Tate Moderne et peuvent être entendus partout. Ces bruits peuvent être perçus comme une menace permanente, plus ou moins audible, mais toujours présente.
     L’art de Mona Hatoum est connu comme étant provocateur et conflictuel, traitant des réalités violentes et complexes souvent négligées ou écartées. Elle réalise ses oeuvre avec une grande économie de moyens.
    Undercurrent (red) est un travail de sol réalisé à l’aide de fils électriques recouverts de tissus rouges, ayant à leurs extrémités des ampoules allumées qui changent d’intensité. Ces fils électriques sont emmêlés ensemble afin de tisser une sorte de grand tapis. Le changement de luminosité qui évoque le rythme de la respiration est appelé par Mona Hatoum « breath’s pace ».
     Ce treillis de fils électriques  recouvre la plus grande partie du sol de la dernière galerie de l’exposition, ce qui lui donne un aspect envahissant et imposant, qui reprend peut-être l'idée du tapis oriental. Le changement d’intensité des lumières faisant penser à une respiration rythmée pourrait faire référence à la finalité de son exposition après un parcours éprouvant et fatiguant qui nous pousse à nous reposer auprès d’une œuvre apaisante mais tout de même avec un aspect inquiétant.


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     Ce travail au sol en fils électriques semble prendre vie et peut également être un reflet de sa vie actuelle : des lumières pulsantes fatiguées qui ralentissent mais qui respirent toujours, des fils entremêlés au centre qui cherchent à s’étendre et se démêler vers ses extrémités, un calme qui revient dans sa vie après avoir vécu des événements qui l’ont fortement marquée.
     Cette oeuvre abstraite peut évoquer le rassemblement autant que la diffusion, l’essoufflement autant que l’apaisement. Elle peut être interprétée de différentes manières en fonction du point de vue de l'observateur et des expériences de chacun.

Sarah LODS

La marche créatrice

   Des œuvres éphémères, entièrement naturelles, réalisées dans de vastes espaces sauvages : voilà ce qui pourrait résumer le travail de Richard Long, un artiste anglais contemporain.
Richard long s’inscrit dans la mouvance du Land Art qui consiste à réaliser des œuvres avec des matériaux naturels, dans la nature, en accordant une attention forte au lieu. C’est un artiste passionné de marche, de nature, de voyages et de découvertes, ce qu’exprime parfaitement sa démarche artistique.


 
 © Richard Long

     Richard long suit un processus de création particulier, qui peut s’apparenter à un rituel qu’il respecte pour chacun de ses travaux. Il commence par une promenade, va à la rencontre de nouveaux espaces naturels, et muni d’une carte, il arpente et choisit l’emplacement de ses travaux. Seul, il se laisse guider par son intuition et ses pas. Son support et ses matériaux sont la nature et lui-seul est son outil.
Ses travaux sont souvent simples, car il respecte le paysage environnant, et n’y amène aucun matériau superflu. Il se contente de ce que lui offre la nature à cet endroit précis.
Après avoir photographié son travail, seul moyen pour immortaliser son œuvre et la faire découvrir à un large public, il lui arrive de replacer les matériaux utilisée à leurs places d'origine.
     Ses œuvres in situ se trouvent régulièrement au ras du sol.
D’un point de vue réalisation technique, étant donné que c’est lui-même qui déplace la matière pour faire ce qu’il souhaite, son travail nécessite un effort physique conséquent et limité à la mesure d’un homme ; augmenter les dimensions verticalement pourrait être pénible à réaliser, voire impossible physiquement. Ainsi, déjà, il exprime une certaine humilité et respect face à la beauté originelle de la nature.

D’un point de vue artistique, on remarque dans son travail, que le paysage dans lequel se trouve l’œuvre a autant d’importance que celle-ci. Un dialogue se crée entre elle et l’espace qui l’entoure. L’infini qu’occupe le paysage peut alors justifier la hauteur de l’œuvre.
On peut le voir avec son œuvre Touareg Circle fait en 1988 dans le désert du Sahara.
Des cercles de pierres, pleins et vides qu’il a "tracés", sont en harmonie avec ce désert qui lui sert de support.




Richard Long -TOUAREG CIRCLE THE SAHARA 1988



De ses travaux in situ, se dégagent une simplicité, une spontanéité qui peuvent faire penser directement à l’art primitif. On ne sait pas parfois si c’est l’artiste qui a déplacé la matière ou si elle y était à l’origine et comment il a procédé. Ses œuvres brutes, sans superflu, sont un éloge à la nature. A travers elles, il nous donne sa perception du paysage, sans le limiter, …


Marie Donnou