lundi 20 février 2017

La lumière comme matériau de l'artiste

La Lumière, ondes lumineuses pénétrant dans l’espace


La lumière a toujours été un objet de représentation symbolique, associée notamment à la puissance divine, ou au pouvoir de révélation, contrairement à l’idée des Ténèbres qui plongent l’homme dans l’ignorance et l’inanimé.
S’il est une chose que montre l’histoire de la peinture, du Caravage aux Impressionnistes, en passant par Vermeer ou Turner, c'est que, plus qu’un symbole, la lumière est une obsession pour peintre – mais aussi pour l’architecte et le sculpteur.
La lumière se réfléchit sur l’objet observé et atteint l’œil de l'observateur.  Elle est  à l’origine des arts visuels. Devenue manipulable et modifiable avec l’invention de l’électricité, elle est l’objet de nombreuses interrogations concernant la perception et devient un matériaux pour l'artiste, le scénographe, l'architecteLes artistes bouleversent notre rapport au monde autant que notre rapport à l’œuvre. "La lumière est un objet industriel, et familier" écrit Donald Judd en 1964 lorsqu'il se penche sur le travail de Flavin, "c'est un moyen nouveaux pour l'art; désormais l'art pouvait être constituée de toute sorte d'objets, de matériaux, de techniques inédits".
Enfin, la lumière permet aussi de penser la trajectoire, le mouvement et la vitesse. "La lumière en se répandant emploie du temps" affirmait déjà le physicien Christiaan HUYGENS (1629 - 1695). Elle est en mesure de véhiculer de l’information et du sens.
Jule Lerouge - Camille Metayer



La lumière comme matériau
Lumière Néon
« On peut ne pas considérer la lumière comme un phénomène objectif, mais c'est pourtant ainsi que je l'envisage. Et, comme je l'ai déjà dit, jamais l'art n'a été aussi simple, ouvert et direct » Dan Flavin 19871.
Dan Flavin - The Diagonal of May 25, 1963 (to Constantin Brancusi) - 1963
C’est en 1963 que Dan Flavin réalise la première œuvre constituée uniquement d’un tube fluorescent, la Diagonal of personal ecstasy intitulée par la suite the Diagonal of May 25, 1963. Flavin avait l’habitude de dédier ses œuvres à des artistes, galeristes, collectionneurs, personnalités, amis. Cette œuvre est un hommage au sculpteur Constantin Brancusi et son oeuvre La Colonne sans fin à Târgu Jiu ,1938, un artiste qui a influé Dan Flavin et le minimalisme.
L’œuvre de Dan Flavin est composée d’un tube fluorescent jaune placé à 45° sur un mur.
A partir de ce vocabulaire élémentaire et restreint, l’artiste élabore un système de configurations diverses : au sol, au mur, au plafond, dans un angle, en barrière, en corridor, mais toujours fondé sur une répétition induite. Une répétition qui prend comme référence la segmentation de La Colonne sans fin de Brancusi et la relation étroite avec l’architecture. Flavin parlait d’«Art situationnel», ses installations étant étroitement dépendantes du contexte architectural dans lequel elles étaient présentées.
Très vite Dan Flavin comprend combien l’espace et la perception du spectateur peuvent être transformés par la puissance et la dynamique de son outil, à la fois lumière et couleur, pureté et simplicité.

JAGOREL Mathis


  Obsession de Bruce Nauman



Bruce Nauman est l’une des figures majeures de l’art contemporain et l’une des plus influentes. Pour lui la notion du corps et de l’identité joue un rôle fondamental dans ses réalisations. La notion du langage, des phénomènes de perceptions de l’espace, du processus artistique et de la participation du spectateur, autant de thème qui reviennent inlassablement marquer le style de ses oeuvres. Considéré comme le maître des installations, il explore tout types de matériaux, en passant par le néon, la sculpture, les films, les vidéos ou encore le dessin.



Bruce Nauman - Mean Clown Welcome, 1985 - Collection Brandhorst, Köln



Le néon est très présent dans ses œuvres particulièrement dans Mean Clown Welcome, un dispositif lumineux aux allures clownesques. Il s’agit d’une œuvre de lumière traitant avec ironie et humour des notions qui reste encore tabou dans notre société: le sexe, la violence, l’humour, l’horreur, la vie, la mort, le plaisir, la douleur. Les lumières s’éteignent et se rallument pour donner place à de nouveaux éléments rendus visibles et lisibles exprimant à la fois une vision ludique et ironique du monde. Toujours en mouvement son œuvre se dévoile par fragments, dévoilant étape par étape les trajets en va-et-vient de ces hommes de néons. A la fois très simple et moqueuse, la pièce éclaire des postures clownesques, ironique aussi fascinante qu'irritante. Les corps se succèdent, se manipule en brandissant à tour de rôle leur sexe qui s’éclaire aux yeux des spectateurs. Cette œuvre fut montrée pour la première fois à New York en 1985 et reçut de nombreuses critiques. Bruce Nauman a voulu avant tout traduire un sentiment de fragilité. Il construit et invente des situations, simples et directes, dans un art aux idées parfois farfelues.

Amélie Péron


America, America Martial Raysse

Mathial Raysse - America Amercia, 1964
America America est une œuvre en trois dimensions composée de néons colorées et de métal peint réalisée en 1964. Dans les années 60, Martial Raysse est un pionnier de l’utilisation des néons et du plexiglas, avant les américains. Selon lui, la manière de représenter le monde nouveau dans une société conservatrice était d’utiliser des matériaux innovants. En effet, en France, les néons étaient encore peu présents contrairement aux rues américaines qui en étaient envahies.
L’œuvre reprend et détourne (en néons) un fragment de la sculpture de Bartholdi, qui accueille à New York, en signe de bienvenue les voyageurs ayant traversé l’Atlantique, symbole de liberté et de découverte d’un nouveau pays en pleine croissance, emprunt de modernité. Martial Raysse travaille beaucoup autour de la thématique de la société de consommation  : il assemble des produits neufs, lessive, objets en plastique. Raysse est selon Claude Rivière un représentant majeur du Nouveau Réalisme. Le groupe des nouveaux réalistes est constitué par Yves Klein et Pierre Restany en 1960, ils prônent le retour à la réalité en opposition au lyrisme de la peinture de l’époque.
Martial Raysse est fasciné par la culture américaine, le rêve américain, la liberté, l’économie fleurissante et superflue. Les néons fonctionnent ici, comme un claquement de doigts, allumant puis éteignant des éclairs rouges sur la paume et au bout des doigts d'une "Liberté" plus légère, sexy, libérée que celle un brin martiale de Bertholdi…
Pauline Leriche

L’Avalanche de François Morellet

François Morellet  L’Avalanche, 1996

L’Avalanche de François Morellet est une œuvre lumineuse. Son principe est simple : après avoir tracé un quadrillage au plafond, il y suspend 36 tubes d’argons par leurs fils d’alimentations. Après avoir choisi une des deux diagonales du carré, il raccourcit progressivement les fils d’alimentation, de sorte à ce que le premier néon soit parfaitement couché sur le sol, et le dernier parfaitement vertical. Les néons se balancent alors à leurs guises. L'ensemble crée une avalanche organisée, se rapprochant du chaos, une anarchie contrôlée. Il s’agit d’une œuvre ou l’ordre et le désordre se confrontent. Au premier coup d’œil, le spectateur ne perçoit que le désordre mais au fil du temps, il finit par apercevoir l’unité de cette création. L’Avalanche a été exposée dans les Alpes bavaroises en 1996, la couleur bleu peut renvoyer au froid glacial des montagnes, en effet François Morellet réalise ses œuvres en fonction de l’environnement dans lequel il se trouve d’où le nom « l’Avalanche ».
Les tubes fluorescents, les néons, les tubes d'argots sont des matériaux de prédilection de François Morellet.

Quentin Cadero

Cacophonous I Robert Irwin

Robert Irwin - Cacophony - 2014-15

Depuis 1998, Robert Irwin fait les installations dans les jardins, dans les chambres, dans les parcs, les espaces urbains variées. Il a été influencé par un peintre qui s’appelle John McLaughlin. İl joue avec la lumiere et l’espace en créant des installations faites de lumières. Irwin a d'abord utilisé la lumière fluorescente dans les années 1970. Son installation Excursus est une méditation sur le peintre Josef Albers. Elle se déploie dans une suite de petites salles, dans lesquelles se trouvent des cylindres lumineux ; La lumière de chaque pièce, sa valeur en fonction de la distance par rapport aux fenêtres, est renforcée par quatre ampoules fluorescentes doubles blanches et colorées, chacune suspendue verticalement au centre de chaque mur. 

Irwin a crée une autre installation intitulée Cacophony où la lumière fonctionne comme des voix créant une cacophonie dans la vie en jouant avec l’espace. "Pour la pièce Cacophony, l’ensemble est impressionnant puisque ses verticales plus ou moins lumineuses se déploient sur une longueur de 12 m et une hauteur de 1 m 83, de quoi transformer l’ambiance de la galerie. La spécificité du travail de Irvin pour cette exposition a été de moduler la lumière émanant des différents tubes fluorescents. Il a préparé ceux-ci en disposant à l’intérieur et à l’extérieur de l’enveloppe de verre des gels colorés variés. La transmission de la lumière s’en est trouvée modifiée" La critique.org 
Pionnier du mouvement Lumière et Espace en Californie du Sud, Robert Irwin attire l'attention sur les conditions environnementales, les rendant palpables en augmentant la prise de conscience du spectateur.
Irmac Ozkan




La lumière filtrée et décomposée



              La télé de mes fesses par Loriot-Mélia (2004)

"Nous avons une production commune depuis 1992. Un soir, une nuit, le hasard a voulu que l´on repère - ensemble - sur le mur, une très extraordinaire tache de lumière. Subjugués par le mystère de cette tache, nous sommes restés un long moment à la décrypter. L´énigme fut résolue lorsque l´on vit le chat s´étirer: il s´était endormi en cachant une partie du miroir posé sur le lit encombré d´objets divers. Le chat sauta, l'image disparut, le miracle était fini!" François Loriot et Chantal Mélia (ESPACE Sculpture No. 46).



                                    CréLa télé de mes fesses (2004) © Loriot & Mélia
Cette révélation eut l'effet d'un flash pour François Loriot et Chantal Mélia et, depuis, leur fascination pour la lumière se retrouve dans nombre de leurs œuvres comme dans "En tout éclat de chose" (1993), "Solœil" en (1996), "Chorus" (1998), "A Main levée" (2002), "S'envoyer au diable" (2005) ou encore dans "La Télé de mes fesses" (2004) qui sont toutes des pièces détournant la lumière, de manière poétique, humoristique ou critique.
Dans La Télé de mes fesses, on trouve une télévision emboîtée dans une chaise renversée dont l'assise est ajourée de multiples petits trous formant une étoile inscrite dans un cercle. Vous mettre des étoiles pleins les yeux et nous faire oublier la réalité ? C'est peut-être ce que la télévision tente de faire. Mais cette oeuvre de Loriot et Mélia filtre toute cette merde médiatique et rend l'information abstraite.
La lumière, issue de la télévision transperce l'assise de la chaise, et danse au milieu d'une pièce sombre. L'image de la télévision devient inintelligible, seul le son permet d'interpréter l'information. De l'image de la télévision ne restent que des points lumineux changeant de couleurs au rythme d'une image que l'on ne peut voir, mais seulement interpréter.
Ce procédé de filtration de l'image télévisée se retrouve dans une autre de leur œuvre Conversation cathodique (2006) exposée dans une chapelle. On retrouve un "télévitrail", un mur de quatre téléviseurs cachés par un moucharabieh aux motifs géométriques. Non seulement l'image est filtrée et incompréhensible, mais le son l'est aussi. Avec cette pièce Loriot et Mélia vont encore plus loin dans le détournement médiatique.
Dans ces deux installations, la lumière est comme l'information, filtrée. Selon Loriot et Mélia, ce procédé permet de "
rendre votre télé regardable".
Brandon G.



Anthony Mc Call 
« five minutes of pure sculpture » 
Toucher pour sentir la lumière


Cinéaste d’origine britannique installé à New York, Anthony McCall s’est fait connaître dès les années 70 par ses films de « lumière solide » comme l’un des protagonistes du cinéma expérimental de 1970.
Anthony McCall - SKNY
Anthony McCall développe un travail au croisement de l'art minimal, de l'art conceptuel, de la performance et du cinéma, aujourd’hui considéré comme central dans le développement de l'art de ces trente dernières années.
Anthony Mc Call se concentre sur les composants premiers du cinéma : la lumière et la durée. Il est à la recherche d’une projection solide de la lumière, un film dans l’espace créé grâce à un dispositif évolutif et éphémère. Il explore les propriétés plastiques du faisceau lumineux et transforme la projection de lumière, matérialisée par la diffusion de fumigène, en environnement sculptural mouvementé.
L'oeuvre de McCall n’a d’intérêt que si l’on y participe : les formes sont répétitives et mouvantes, la lumière et la fumée ne triche pas et se montrent telles qu’elles sont et telles qu’elles évoluent au cours du temps. (On retrouve là encore un point important du cinéma expérimental.) Le spectateur s'immergent dans la projection qui dessine dans l'espace comme des sculptures, des architectures de lumière. Mais lorsque l’on touche ou que l’on traverse, on se rend compte que ce n’est rien… Notre imaginaire pense que c’est palpable, mais c’est une illusion du toucher, une projection solide de la lumière.
En regardant, on trouve une troisième dimension à ces sculptures illusoires, des lignes droites très simples et très intéressantes qui forment des courbes dans un espace qui parait alors immense et mouvant.
Anthony Mc Call est précurseur d’un nouveau type de « sculpture » inspiré du cinéma en interaction avec les spectateurs, qui modifient ses sculptures de lumières avec leur corps mais également une interaction avec l’environnement. Il utilise des lignes verticales et horizontales qui apparaissent dans la fumée et quin avec l’interaction des visiteurs, réalisent un ballet interrompu de formes indescriptibles…



Hermeline Duchemin


Michel VERJUX - DOUBLE PORTE - 1990 - Galerie Durant Dessert, Paris



 Michel Verjux - Double porte - ©André Morin ; exposition personnelle : galerie Liliane et Michel Durand-Dessert, Paris, 1990


Dans Double porte, Michel VERJUX nous présente une de ses installations visuo-spatiales autour de la lumière. Elle nous fait découvrir deux éclairages strictement identiques réparties dans deux pièces communicantes. Un bloc est disposé à une certaine distance du mur et est illuminé grâce à un projecteur minutieusement calibré. Bien sûr la lumière s’applique sur la face du cube exposée au projecteur mais elle laisse également apparaître un léger contour lumineux sur le le mur. Avec la position du projecteur et la perspective de l’espace, Michel VERJUX crée différentes échelles. Il laisse le choix au spectateur de suivre la porte la plus illuminée mise en avant par un chemin de lumière. Ou au contraire la porte de l’ombre qui suggère le mystère. La voie de la lumière (qui est celle que la majorité des gens choisissent) symbolise le confort, la sureté, l’acquisition mais également la facilité. Elle s’oppose nettement à la voie plus sombre et beaucoup moins bien définie mais qui offre, par sa taille, beaucoup plus d’opportunités. Bien sûr les deux pièces juxtaposées sont étroitement liées dans l’œuvre et communiquent un passage inconnu comme une sorte de vortex. L’usager est alors mis en abîme lorsqu’il interagit avec l’installation. En observant l’ombre de sa silhouette, il s’observe dans une temporalité future avec un avenir clair. Chose qu’il ne peut pas faire via l’ouverture de l’ombre qui laisse planer le doute quant aux perspectives de l’individu et à son devenir. Par son procédé minimal, double porte suggère deux décompositions. La première est explicite : c’est la décomposition de la lumière en deux espaces. La deuxième est plus implicite : c’est la décomposition des choix que l’Homme peut faire au cours de sa vie. Mener une vie faite d’acquis ou prendre une part de risque, telle est la question.


Julien COUGNAUD

Light space modulator

Light-Space Modulator - László Moholy-Nagy, 1922–1930 - Replik 1970. 
Bauhaus-Archiv Berlin / © VG Bild-Kunst 2016.
L’œuvre Light-Space-Modulator (1930), aussi appelée The Light Prop for an Electric Stage est une sculpture cinétique du peintre et photographe Hongrois László Moholy-Nagy. Moholy-Nagy a été enseignant à l’école Bauhaus à partir des années 20 et été beaucoup influencé par le constructivisme. Au long de sa carrière, il a milité pour l'intégration de la technologie et de l’industrie dans l’art, une idée que l’on retrouve dans le Light-Space-Modulator. Cette œuvre conjugue à la fois des jeux de lumières et le mouvement à travers différents éléments mobiles et statiques, transparents et découpés. La pièce est constituée d’une boite avec une ouverture circulaire à l’avant. Montées autour de l’ouverture, se trouvent des ampoules en jaune, vert, bleu, rouge, et blanc (environs 70 ampoules). A l’intérieur se trouve un deuxième panneau avec une ouverture avec des ampoules. Les ampoules s’éclairent selon une séquence prédéfinie. Elles illuminent un mécanisme composé de matériaux translucides, transparents, et tramé qui est perpétuellement en mouvement. Le mécanisme est soutenu par une plateforme circulaire avec trois parties. Chaque section peut être considérée comme une étude de mouvements différents. La première section est composée de trois barres qui bougent de façon plus ou moins saccadée. Différents matériels translucides, des sections horizontales et une grille en fer sont montés sur trois barres. La deuxième section étudie le mouvement de trois plans différent devant un disque en aluminium statique. Devant les trois divisions se trouve un petit disque en cuivre bien poli. Entre les deux disques une petite boule est mise en mouvement, suivant une série de courbes comme une montagne russe. La troisième section contient une barre en verre avec une spirale de verre à sa cime. Ce disque lévite au dessus d’une plateforme circulaire réfléchissante. Les ombres et jeux de lumières sont destinés être projetés sur un mur très rapproché construit autour. L’œuvre est faite pour être exposée que dans un espace noir pour un maximum de contraste. Le deuxième titre de cette œuvre nous décrit comment Moholy-Nagy avait imaginé son usage. Elle est destinée à être utilisée sur scène pour illuminer des pièces de théâtre. Le but pour lui étant surtout d’injecter des éléments cinétiques dans l'art et dans la vie…

Elise Cugnart


                             Mer-veille, Yann kersalé

     Mer-veille, 2013, travail situé à Marseille, France. c Yann Kersalé/Rudy Ricciotti, Marseille, Détail

« Le jour drape toutes les formes de milles subtilités qui sont autant de jeux et de pièges possibles pour la lumière. La nuit laisse libre cours à la redécouverte de ces formes constituées et ce terrain d’investigation est imaginairement précieux. » Yann Kersalé. Tel est l’imaginaire développée par Yann Kersalé à travers son oeuvre, Mer-veille réalisée en 2013. Veilleuse de lumière indiquant l’entrée du port, l’installation attire les regards par son étonnante clarté, proposant une diffusion de son propre reflet au gré des vagues.
Précurseur français de la lumière architecturale, Yann Kersalé s’illustre dans ce domaine en proposant des "scénographies" toujours plus lumineuses et expressives. Outil de mise en mouvement d’espaces et de constructions, la lumière est également l’un de ses moyens de faire revivre la nuit, en en proposant une autre facette.
A Marseille, l’installation de Yann Kersalé vient s’intégrer à l’architecture minutieuse et dentelée de Rudy Ricciotti, enveloppant le bâtiment d’un voile coloré. Il place pour ce faire des centaines de points lumineux derrière les murs en béton dentelés, créant un jeu avec l’architecture. Les ombres s'y mêlent et s’y perdent face à l’immensité de la mer, dynamisant par la même occasion le bâtiment. Les visiteurs sont guidés par cette lumière, à travers un parcours tout en détours.
Fort de ses ombres et reflets, le bâtiment vit au rythme de l’eau, la journée, avant de s’illuminer la nuit, comme l’écho des vagues à l’entrée de la ville endormie. Yann Kersalé perturbe nos sens par ce décalage, opposé à celui de la lumière naturelle. Ces deux facettes de l’installation sont en effet remarquables ; après avoir joué avec les structures et reflets de l’architecture le jour, l’installation s’illumine la nuit, immergeant le spectateur dans un univers magique où jeux de lumière et de reflets se complètent. Le rythme de la mer continue d’exercer sa lente pulsation sur le bâtiment, comme le battement d’un cœur endormi, symbole du sommeil apaisé de la ville. L’installation semble entrer en résonance avec les mouvements de la mer qui lui fait face, produisant, à sa manière, une respiration d’un voile bleuté…


Pauline Oger

                  
                 Théâtre d’ombres, Christian Boltanski

Théâtre d’ombres - Christian Boltanski, 1984 - © Bernadette Soemers Sarneel



Boltanski ne fait pas “de l’art qui fait changer les choses”, mais un art qui s’adapte et réagit à son époque, un art qui raconte et s’exprime. Boltanski raconte, il partage et pas n’importe quoi. A travers Théâtre d’ombres, et comme dans la plupart de ses autres œuvres, Boltanski nous livre … du Boltanski.
C’est son autobiographie à laquelle nous avons droit, une partie de son histoire et de sa vie. Est-elle réelle ou fictive ? Seul lui le sait car la scénographie spectaculaire de l’œuvre rend toute information mensongère et irréaliste.
Boltanski nous expose sa vie, et pourtant il sait que la pièce ne prendra vie que lorsqu’un spectateur viendra la contempler, et y trouver un sens, grâce à son propre passé.
Il n’est pas compliqué de trouver une histoire qui est propre à chacun dans les multiples ombres projetées dépendantes du hasard. Pas de trucage, pas de mécanisme caché, simplement un rouage visible par tous. Face à cette réalité crue et brutale, chacun est libre d’accepter ce que l’oeuvre voudra lui dire.
Boltanski est notre miroir, agissant comme un historien de la mémoire affective et nous exposant simplement les traces de notre vie. Il pose une question et laisse le soin au spectateur de trouver la réponse…
Mais alors ici, quelle question pose-t-il ? Que cherche-t-il à faire ressentir ?
Tout commence en fait alors que l’artiste atteint ses 23 ans. C’est à cet âge là qu’il réalise qu’il a “perdu son enfance”, qu’il n’en garde plus souvenir. Débute alors une recherche acharnée de ses souvenirs d’enfance qu’il ira jusqu’à inventer pour posséder une trace du passé.
Théâtre d’ombres est un souvenir, une preuve. Vestige du passé à travers son esthétique de mobile pour enfant, il évoque aussi les terreurs nocturnes, souvenirs de cauchemars et de peurs informulables : peurs du noir, de l’inconnu, et même du monstre sous le lit. Une mémoire collective de ressenti d’enfance qui touche forcément d’une manière ou d’une autre le spectateur immergé dans l’œuvre. Mais si Boltanski avait voulu évoquer l’enfance, il aurait tout aussi bien pu mettre en scène des jouets ou un thème un peu plus joyeux.
Si les silhouettes ressemblent à des squelettes et l’ambiance mortellement nostalgique c’est car l’oeuvre est une vanité. “Rappelle toi ton enfance, car plus jamais tu ne la retrouveras, et là commence ton chemin vers la mort” semble nous souffler chacune des ombres. C’est peut être bien ce qui pousse l’artiste à concevoir un souvenir palpable de ce qu’il est, et a été. Souvenir qui paradoxalement nous rappelle à tous que nous sommes mortels.

Tassia K.



Installations lumineuses interactives

Blue, red and yellow



                             Blue, red and yellow, 2001, Neuenationalgalerie, Berlin

C'est à la fin des années 70 que Ann Veronica Janssens crée « des endroits pour capturer la lumière, […] des espaces conçus comme des tremplins vers le vide » (in Ann Veronica Janssens, Musée d’art contemporain de Marseille, 2004). Ses œuvres sensorielles, nommées Super Spaces par l'artiste, sont réalisées à partir de matériaux très simples : bois, ciment et verre emprisonnent l'immatériel : lumière, son et brouillard artificiel. L'espace matrice des futurs environnements à brouillard coloré est l’œuvre installée en 2001 sur la terrasse du Neue Nationale Galerie Berlin, Blue, Red and Yellow.
C'est dans un épais brouillard dont la couleur est instable, qu'elle immerge entièrement le spectateur qui devient ainsi pleinement acteur de l’œuvre. Perdu dans la brume colorée, l'immergé redécouvre ses sens, il vit alors une expérience directe, sensorielle et unique à chaque immersion dans ces installations minimalistes. L'artiste joue habilement avec la lumière pour rendre l'immatériel sensible et visible, elle active une perte de contrôle des sens chez le spectateur et le confronte à la perception de l'insaisissable. Passionnée par le vide, Ann Veronica Janssens, voulait le « mettre en mouvement, lui conférant une sorte de temporalité », notamment à travers le changement de couleur qui donne une indication temporelle à l'immergé. Avec, pour seuls auxiliaires, ses sens, l'immergé déambule dans le brouillard coloré face à l'inconnu.
Alors, serez-vous assez courageux pour vous lancer à corps perdu dans ce vide coloré ?

Marion Bernardi





                                      Dreamachine, Brion Gyson


Burroughs and Gysin,  1958, Mike Smith Studio



Dreamachine, 1961, Unknow

C’est ainsi que le rêve nait « les visions commencent par un kaléïdoscope de couleurs (…) elles gagnent progressivement en complexité et en beauté, s’écrasant comme une vague sur la berge, jusqu’à ce que des motifs colorés entiers viennent s’engouffrer. Un moment après, les visions persistaient derrière mes yeux ; j’étais au beau milieu de la scène, des motifs infinis prenant forment autour de moi. J’ai éprouvé pendant un moment une sensation de mouvement spatial presque insupportable, mais cela en valait la peine car j’ai constaté, quand ça s’est arrêté, que je me trouvais très haut au-dessus de la Terre, dans un flamboiement de splendeur universelle. Ensuite, je me suis rendu compte que ma perception du monde environnant s’était nettement accrue. Tout sentiment de lassitude ou de fatigue s’était dissipé…»
En 1958 Brion Gyson relatait l’expérience hypnotique, dont s’inspire La Dreammachine, comme la vision d’ « une tempête transcendantale de visions colorées ». Celle dont il avait été témoin dans un autobus menant à Marseille. C’est en regardant paupière clause en direction du soleil couchant et à travers les arbres défilant, qu’il atteint un état de sérénité tel qu’il se sentit comme dans un autre monde
C’est dans l’espoir de revivre cette expérience que la Dreamachine naquit au début des années 1960 au Beat Hôtel de la rue Gît-le-Cœur à Paris. Brion Gyson en obtenut même un brevet en 1961, et le résultat de ses expériences sera publié l’année suivante dans le périodique des arts d'Olympia.
Brion Gysin trouva l'explication de cette expérience inhabituelle dans l’œuvre du Dr W. Grey Walter The Living Brain. Le Dr Walter était neurophysiologiste et chercheur sur la nature des ondes cérébrales et la fonction cérébrale correspondante. C’est à l’aide de Ian Sommerville que Brion Gyson décida de construire cette machine à rêves.
La Dreamachine se compose d'un cylindre percé de trous, posé sur une platine en mouvement. Au milieu du cylindre se trouve une ampoule. Le plateau tourne à 78 tours par minute. Les sujets sont ainsi invités à s’asseoir devant la machine et à fermer les yeux. La lumière brillant à travers les trous du cylindre vient scintiller sur les paupières. La lumière clignote à une fréquence d'environ 20 Hz qui est similaire à la fréquence des ondes cérébrales alpha qui sont associés au cerveau en état de relaxation.
Le sujet est plongé dans un univers coloré l’invitant au calme et au voyage.



Jason Chapron


The Weather project Olafur Eliasson

Olafur Eliasson - Weather Project  © Simiant Oct 23, 2006

À la fois aveuglante mais aussi accueillante, The Weather project est une installation lumineuse de l’artiste danois Olafur Eliasson, présentée à la Tate Modern à Londres en 2006. Occupant la totalité d’une pièce, l’installation accueille les visiteurs au sein d’une atmosphère singulière.
En effet, plongé dans la brume, le spectateur pénètre dans un espace baigné d’une lumière orangée émanant d’un immense cercle placé au sommet de la salle. En réalité, la surface lumineuse n’est qu’un demi-cercle reflété par un miroir recouvrant l'intégralité du plafond. Ainsi c’est par une illusion d’optique qu’Olafur Eliasson parvient à recréer un environnement naturel.
De fait, par un dispositif technique et technologique complexe, The Weather Project tente de reproduire une atmosphère existante à l’état naturel. Tel un lever
 ou un coucher de soleil que l’on percevrait de l’espace, la lumière incandescente, la brume ambiante créent une atmosphère particulière et totalement immersive.
C’est d’ailleurs cette ambiance contemplative qui va faire naître différents comportements chez les visiteurs du musée. Certains, comme contemplant le phénomène, décideront alors de s’allonger sur le sol seul admirant l’air baigné de sa lumière orange et observant leur reflet au plafond presque en méditation avec eux mêmes. D’autres joueront avec le gigantesque, créant ainsi en groupes grâce à leurs corps, des lettres, des mots, des motifs.
Ainsi Olafur Eliasson crée, par la lumière et le reflet, un univers où chacun s'immerge et vit  une expérience esthétique intense.



Louise Peyon



L’exploitation de la lumière naturelle





L’église de la lumière

L’église de la lumière est une église créée par l’architecte japonais Tadao Ando en 1989, elle est située à Ibaraki à 25 km d’Osaka au Japon.
Naoya Fujii, l’église de la lumière, Tadao Ando


                                           
Cette église est emblématique du travail de l’architecte. En effet, Tadao Ando aime tout particulièrement travailler le béton, ainsi que la simplicité des volumes et des formes, de même qu’il aime faire dialoguer son architecture avec les éléments comme le vent, l’eau, la lumière ou le ciel.
Cette église est donc faite de béton, très minimaliste et ce qui fait sa particularité, ce sont les ouvertures qui découpent la structure, laissant passer la lumière et formant une croix lumineuse.
Ando disait: "L’église est une boite carrée, sans fioritures, vue de l’extérieur. Mais dès que l’on y entre, on se retrouve face à une croix de lumière qui scintille à travers les fentes du mur. La boite carrée prend soudain vie grâce à la lumière. La fascination nait dans l’espace de la lumière naturelle. Je souhaitais fasciner les gens en leur faisant prendre conscience de la vie. Je crois que la source de toute création se trouve dans ma volonté de faire de l’architecture pour créer la fascination au-delà de l’imagination".
La croix de lumière a une dimension spirituelle forte, là où les croyants y verraient la lumière de l’apparition, même les non-croyants peuvent admirer ce génie d’architecture et de minimalisme.

Constance Rondeau


The Crater's Eye, entre lumière et terre


Roden Crater's Eye, James Turrel ©  Florian Holzherr

James Turrell, The Color Inside, (2013), University of Texas


Le Roden Crater est un volcan, acheté par l'artiste américain James Turrel. Spécialiste des installations qui renvoient à la contemplation de la lumière, naturelle ou artificielle, il recherchait un site particulier pour développer son travail, capter les couleurs, le temps et les mouvements du ciel. C'est ainsi que son œuvre Crater's Eye a pris forme en 2003 : une pièce creusée au centre du volcan accessible par des tunnels. Une simple ouverture en haut du dôme, et toute l'immensité de l’œuvre se dévoile. Cette lucarne au plafond, appelée oculus, associée à un espace clos permettent d'observer à l'œil nu l'évolution du ciel, du soleil et de se perdre dans le cosmos.
L'endroit est un espace calme dédié à la contemplation, la reflexion. Ceint de murs courbés, la pièce est plongée dans une lumière naturelle qui change de couleur et d'intensité au gré du temps qui passe. L'évolution du soleil et le climat extérieur altèrent l'experience visuelle. C'est un observatoire où le ciel se dévoile à ses visiteurs et les plonge dans un univers hors du temps.
James Turrel a réalisé le même type d'espace en 2013, intitulé The Color Inside, au coeur d'une université au Texas. Cette fois si, durant le coucher et le lever du soleil, des lumières artificielles de couleurs illuminent les murs et créent un contraste avec la lumière naturelle intense du ciel.
Crater's Eye est une œuvre qui bouleverse notre vision de la lumière, des couleurs, et du ciel. C'est une experience que l'on retrouve dans l'art de James Turrel, extraordinaire et puissant.


Clara Chanteloup

jeudi 9 février 2017

Oeuvres interactives

Toujours plus proche de l’œuvre


 
L'art s'est souvent mis à  distance du spectateur. "NE PAS TOUCHER - NE PAS S'APPROCHER". Depuis peu, certains artistes cherchent à générer une interaction plus que visuelle avec le spectateur. Les interactions permettent au spectateur d’augmenter, voire de modifier sa relation avec l'œuvre. L’interaction est peut être un moyen d’impliquer le spectateur, de lui donner une accroche, qu’elle soit émotionnelle, intellectuelle ou sensorielle. L’homme est un animal social, les interactions avec les autres et son environnement sont au cœur des préoccupations contemporaines. On cherche à augmenter l’interaction dans les domaines tels que le jeu vidéo avec la réalité virtuelle, le cinéma avec l’arrivé de la 3D, … L’interaction augmente l’immersion. Les artistes en sont bien conscients. Nous allons voir, à travers cette édition, comment ils ont développer des mécanismes, des stratégies, des propositions qui implique le spectateur dans une expérience participative unique, toujours personnelle et parfois intime.

Attention! Cela risque d'éveiller votre appétit...
Quentin Cadero et Marion Bernardi

Révélation par déplacement  


Vue de coté c'est toujours plus gros


Hans Holbein le Jeune était un des portraitistes les plus accomplis du 16eme siècle. Il était connu pour la précision de ses dessins. Le portrait “Les Ambassadeurs”, une peinture à l’huile sur  un panneau de bois de chêne, a été réalisé en 1533 à Londres. Holbein a déménagé en Angleterre en 1532 et a commencé à peindre l’entourage de Henri VIII. Juste après, en 1535, il a été officiellement déclaré le peintre de cour de ce même roi. L’œuvre figure deux hommes riches et puissants. A gauche, on retrouve Jean de Dinteville, 29 ans, et ambassadeur Français en Angleterre en 1533. A droite on retrouve son ami, Georges de Selve, 25 ans, évêque de Lavaur, qui a servi en tant qu'ambassadeur auprès de la République Venetian et du Saint-Siège. Pour comprendre le contexte historique de la peinture, il faut premièrement examiner la série de trois événements qui ont contribué à l’envoi des deux sujets du portrait. En 1533 Henri VIII d’Angleterre et sa première épouse ont divorcé. Il s'est ensuite marié avec Anne Boleyn et, par conséquent, a été excommunié de l’église catholique. La Réforme Protestante étant déjà bien engagée dans le reste d’Europe, l'Angleterre s’est également séparée de l’église catholique. De Dinteville et de Selve ont été envoyés en Angleterre à la cour des Tudor comme réponse à cette rupture avec l’église.
Holbein a peint “Les Ambassadeurs” pendant une période très tendue entre les rois de France, d'Angleterre, lempereur Romain, et le Pape. C’était aussi une époque où la chrétienté se divise avec la Réforme. Ce conflit se reflète dans plusieurs détails symboliques de l’œuvre. Le crucifix caché par la rideau vert en haut à gauche représente la division de l’église. La corde cassée du luth évoque la dissonance ecclésiastique pendant la Réforme. Le livre de musique ouvert à côté du luth a été identifié comme un livre de hymnes Lutherien, possiblement un cri pour l’harmonie chrétienne. Le livre de mathématiques est ouvert sur une page en lien avec la division.
Aux pieds des Ambassadeur apparait une forme étrange qui ne prend sens que d'un point de vue particulier, non plus quand le spectateur est placé face au tableau, mais quand il se déplace et passe presque sous la toile. Alors apparaît un crâne. La technique de l'anamorphose était connu par Holbein et d’autres artistes de l’époque. Les artistes pratiquant cette technique étaient capables de reproduire des dessins déformés qui pouvaient apparaître normalement que sous certaines conditions, tel qu’un angle aigu ou réfléchi dans un miroir convexe. Le crâne en bas de la peinture est un exemple de cette recherche. Le tableau des Ambassadeurs était accroché au mur dans les escaliers du château de l’homme représenté à gauche, Jean de Dinteville. L'image corrigée du crâne apparaissait facilement quand elle était vue d'en bas des escaliers. Le crâne est considéré comme un des meilleurs exemples d’anamorphose dans l’histoire de la peinture. Son apparition est saisissante…
Les Ambassadeurs - Hans Holbein - 1535
Elise Cugnart


Déchaine moi!


Lointaine, presque imperceptible, calme et plate, elle ondule langoureusement. Une attirance palpable nous pousse vers elle, nous attire renfermant un mystère.
C’est au Musée des Beaux-Arts de Nantes que Thierry Kuntzel réalise en 2003 une installation vidéo et sonore interactive. Dans une pièce longue et sombre, le visiteur s’avance droit vers un écran plaqué au mur, cerné de capteurs créant alors ce lien interactif entre œuvre et spectateur.
Encore lointain, l’écran diffuse alors l’image d’une mer calme et de ses quelques vagues douces et sensuelles. C’est en s’approchant de plus en plus de l’œuvre qu’elle se développe. En effet, les vagues se meuvent, s’agitent, puis se déchaînent plus le visiteur avance, pour enfin se figer nettes en une image noire et blanche. La mer se faisant pourtant menaçante, comme protégeant un secret, crée chez le spectateur avec cette agitation l’envie de persévérer dans son son parcours. Ainsi par leur déplacement, les individus participent au développement de l’œuvre.

The Waves-Thierry Kuntzel - 2003
En référence à l’écrivain anglaise Virginia Woolf et de son roman homonyme The Waves, l’installation de Thierry Kuntzel retrace peut-être les tourments psychologiques de cette femme de lettres qui s'est suicidée par noyade. Il choisit, de fait, d’évoquer, par le déferlement des vagues, son instabilité émotionnelle.

Louise Peyon-Leconte


 Tu m’excites


The Senster est une œuvre interactive consistant en une installation modulaire interactive. Pensée et développée par Edward Ihnatowicz à la fin des années 60, The Senster fut l’apogée d’une suite de travaux interactifs, innovants et surprenants pour l’époque (œuvre robotique interactive contrôlée par ordinateur).
Edward Ihnatowicz était un sculpteur cybernétique des années 1960-70. Ses travaux principaux se basent sur l’utilisation d’ordinateurs (premiers modèles développés à l’époque) dans des œuvres d’art interactives faisant intervenir le public. Il réussit, à travers ses productions, à mêler tout ce qui s’apparenterait à quelque chose de technique (froid, brut, sans sensibilités) au domaine artistique (ce qui était déjà quelque chose d’engagé à l’époque et qui a su se développer depuis). 


The Senster-Edward Ihnatowicz

The Senster est un précurseur explorant les notions de robotique, de programmation et d’interactions machines/ êtres vivants. Le concept est simple à comprendre et pouvait, lorsqu’il était décrit, séduire, attirer les curieux. La structure est composée de deux pieds reliés à un corps principal (dont la tête correspond à une sorte de pince ou de mandibules). Cette installation nous rappelle certes l’idée de robot à travers tous les éléments de construction (tiges associées qui rappellent l’intérieur des anciens avions), mais également une dimension animale avec la ressemblance à un insecte qui s’agite. D’autre part la grandeur de cette œuvre reste impressionnante et nous fait-nous sentir fragiles à côté.
Concernant son fonctionnement, des capteurs de sons et de mouvements sont placés dans la pièce. Ainsi, l’œuvre peut prendre vie à partir du moment où des visiteurs rentrent dans la salle et se déplacent. C’est alors que The Senster va pouvoir bouger, se désarticuler et réagir en fonction du déplacement et des sons émis par les visiteurs. On peut alors parler vraiment d’une œuvre interactive. Certains artistes plus contemporains n’hésitent pas à reprendre ce type d’interactions, c’est le cas de l’artiste Han Koning qui a créer l’objet Lung (un petit objet ressemblant à un cœur qui bas et qui est effrayé quand on se rapproche de lui). 

Jules Lerouge 




 J'entends quelque chose bouger


Ce grand mobile sonore est composé de 40 disques d’un diamètre de 150 centimètres en rotation lente. Melotrope génère un vaste espace cinétique au paysage changeant sans cesse. C’est une œuvre collective réalisée par deux artistes Solveig de Ory et Jean-Robert Sédano, une plasticienne et un musicien, informaticien. Des disques blancs sont suspendus et forment un labyrinthe. C’est une œuvre interactive et labyrinthique dans laquelle on est invité à déambuler. C’est le mouvement des spectateurs qui crée les variations d’ombres et décompose et recompose un paysage sonore. Cette composition sonore est un parcours musical créé à partir des séquences numériques réalisées à l’aide d’un synthétiseur et quelques sons concrets retravaillés sur ordinateur. Il s’agit donc de compositions polyphoniques pouvant comporter jusqu’à 64 sources distinctes, se déclenchant on fonction du déplacement des spectateurs. Le but de cette installation est de créer une sorte de magie et de la communiquer aux visiteurs en les enchantant par le paysage sonore et visuel.

Melotrope-Solveig de Ory et Jean-Robert Sédano

Camille Metayer Schneider



Quand on ne mouille pas (Rain Room : un design sensoriel)



L’enjeu majeur de cette œuvre : la présence du public et l'espace qu'il occupe. L'immensité d'une salle, l'eau et le mouvement sont trois éléments qui caractérisent cette œuvre interactive intitulée Rain Room. Elle a été édifiée en 2012 par le collectif Random International, une équipe d'artistes designers anglais spécialisés dans l'art interactif. Ils ont une approche ciblée sur l’expérience humaine qui lie l'eau, la lumière et la technologie.
C'est un environnement sombre, immersif, où une pluie tombe, incessante, et s'arrête en détectant le mouvement du corps grâce à des caméras 3D. Il y a un partage de confiance entre le participant et le phénomène. L'observateur entre réellement dans l’œuvre qui renvoie un univers puissant, sans pour autant pouvoir la toucher, comme une force invisible qui le protège. Il n'y a aucun contact entre eux, seul un lien spirituel.

Rain Room-Random International

L'averse répond à vos mouvements, c'est une chorégraphie, une sorte de valse entre les ondulations du corps et celles de l'eau. L'installation est un mélange entre sciences et technologies, qui amène le visiteur à vivre une expérience unique où il a le sentiment d'avoir un contrôle total sur un phénomène naturel: la pluie. Marcher à travers la pluie sans se mouiller est enfin réalisable.
Rain Room est une confrontation direct et sensorielle entre l'humain et son rapport avec l'intelligence artificielle.

Clara CHANTELOUP


Un coup d’œil suffit


Quand tu le vois arriver par derrière


Pierrick Sorin- Coup de pied aux fesses
Dans les années 60 à 70 les artistes ont travaillé sur le dispositif vidéo dans le domaine de l’art. Pierrick Sorin, artiste nantais, en est le digne héritier. C’est un vidéaste qui utilise la vidéo pour créer des œuvres d’art qu’il appelle ses « théâtre optique ». Il confronte parfois le visiteur à l’artiste lui-même comme dans l’œuvre la belle peinture est derrière nous, où le spectateur est pris à partie par la voix de l’artiste qui lui demande de se pousser car en effet derrière lui est accrochée une peinture. Malgré la simplicité du message de l’œuvre, ses dispositifs sont tout de même complexes. Sorin crée des mini films à petits budgets où ils jouent plusieurs rôles à la fois caméraman, acteurs, metteur en scène… Dans l’œuvre les matins, Pierrick Sorin réalise un documentaire où il s’auto-filme en train de se réveiller tous les matins en décrivant son ressenti. Ses inspirations proviennent du cinéma muet, burlesque, des films de Jacques Tati ou même des émissions d’aujourd’hui.
En 1992, Sorin réalise l’œuvre Coup de pied aux fesses où le spectateur se penche pour regarder un écran dans lequel il se voit et voit arriver derrière lui, quelqu’un va lui mettre un coup de pied aux fesses, un montage vidéo mélangeant réalité et fiction. Il provoque ainsi la réaction du visiteur qui se retourne pour voir s’il y a vraiment quelqu’un derrière lui. Le style de Pierrick Sorin est toujours plein d’humour et même si parfois ses sujets sont emprunts de légèreté la plupart posent un regard critique sur notre société, et surtout sur notre image. En effet à travers ses autoportraits, il remet en question le visiteur et sa relation à l'art. De même dans ses œuvres interactives, Sorin ne laisse pas le visiteur être spectateur et s'amuse à le faire acteur.


Pierrick Sorin- Coup de pied aux fesses - 1992


Pauline Leriche


Le voyeur




Present Continuous Past(s) de Dan Graham - 1974 - Installation vidéo - circuit fermé - 1 caméra noir et blanc, 
1 moniteur noir et blanc, 2 miroirs, 1 microprocesseur



Present Continuous Past(s) de Dan Graham est la première œuvre (1974) de ce genre et constitue le modèle de la plupart des œuvres mettant en scène des interpénétrations spatio-temporelles dans des salles recouvertes de miroirs et dans lesquelles le spectateur est sujet et également objet de perception.

Le dispositif de Present Continuous Past(s) est minimaliste et savant. Il repose sur une architecture mathématique : composée d’une caméra vidéo, d’un moniteur noir et blanc, de deux miroirs et d’un microprocesseur. Il met en jeu un système de boucle et de délais qui deviendra la marque de fabrique de l’artiste, la référence incontournable de tout un courant de l’art conceptuel et de la création vidéo.
Dan Graham précise : « Le miroir réfléchit le temps présent. La caméra vidéo enregistre ce qui est immédiatement en face d’elle et l’image réfléchie par le miroir qui lui fait face. L’image vue par la caméra apparaît huit secondes plus tard sur l’écran du moniteur. » Ainsi, l’œuvre met en évidence le dispositif de la représentation en y intégrant des « regardeurs », qui deviennent les personnages d’un spectacle pris entre le direct et le différé, auquel ils assistent en même temps que d’autres peuvent les observer.
Le titre de l’œuvre laisse entendre différentes interprétations au niveau de l’imbrication temporelle: il peut s’agir d’un présent continuellement passé (délais de la vidéo), d’un passé (enregistrement) ou d’un passé continuellement présent (boucle de la vidéo).
Cette mécanique de regards, d’observations, les uns envers les autres peut renvoyer avec force aux systèmes de surveillance et de contrôle de la société contemporaine.

Mathis Jagorel 

Se dévoiler


Un jeu interactif par Peter Campus
Peter Campus, né en 1937 à New York, est un photographe américain, l'un des artistes américains les plus importants des années 70 et un éminent représentant de l’art vidéo.

"Grâce à la transmission en direct de l’image électronique, il invite le visiteur à faire d’étranges expériences de lui-même en le confrontant à des doubles dissociés dans l’espace et le temps, à une image de soi toujours problématique.

D’une installation à l’autre, un resserrement progressif s’opère, l’activité du visiteur est restreinte et celui-ci n’est plus confronté qu’à une seule image de lui-même, quoique toujours inattendue, pour aboutir à un face-à-face avec le visage d’un autre qui le fixe du regard, une image projetée de grande dimension. Un blocage, une impasse, un épuisement des possibles ? Le spectateur est renvoyé désormais à son activité de regardeur. " Texte Musée du Jeu de Paume


peter-campus- DOOR


Irmak Özkan


Toucher déclencheur

Tire sur ma tige


Scenocosme est un couple d’artistes aux créations singulières mêlant toutes formes d’expressions : installations interactives, art plastique, art numérique et sonore, performances, etc. Ils développent des œuvres qui évoluent avec l'interaction humaine. Leurs créations sont poétiques, rêveuses, de sensibles.

scenocosme : Grégory Lasserre & Anaïs met den Ancxt, Daejeon (Korea)


Akousmaflore est une de ces créations; un jardin suspendu avec de vraies plantes qui réagissent au mouvement, une véritable expérience sensorielle. Quand on effleure la plante, elle répond au mouvement en générant des sons. Ensemble, elles créent un réel chant, un langage végétal. En réalité, les plantes réagissent à l’intensité énergétique électrostatique de celui qui les touche. De plus, chaque exposition est différente, en effet, les plantes réagissent différemment en fonction du lieu où elles se trouvent puisqu’elles sont sensibles aux flux énergétiques de leur environnement autant qu'à celui dégagé par l’Homme.
Cette création est un véritable travail d’hybridation entre le vivant et la technologie. 

Constance Rondeau 

Je veux ton corps tout entier




« DÉFENSE DE NE PAS PARTICIPER
DÉFENSE DE NE PAS TOUCHER
DÉFENSE DE NE PAS CASSER »
À Paris, octobre 1963, Groupe de Recherche d'Art Visuel "Assez de mystifications II", 3e biennale de Paris
Comme un appel à la participation ou au jeu, ces trois phrases interpellent les visiteurs dès leur entrée dans le labyrinthe du GRAV, présenté en 1963 lors de la troisième biennale de Paris.
Redéfinir la place de l’artiste, la fonction de l’œuvre mais surtout sa perception par le spectateur, tels sont les objectifs d’Horacio Garcia Rossi, Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino et Jean-Pierre Vasarely, membres du Groupe de Recherche d’Art Visuel (GRAV), créé en 1960 dans la capitale Française. Par cette première œuvre collective, ils viennent affirmer leurs intentions: l’art doit devenir interactif et surtout ludique.

Le labyrinthe du GRAV-Horacio Garcia Rossi, Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino et Jean-Pierre Vasarely - 1963

Le spectateur pénètre ainsi dans un espace clos, où jeux de lumières et d’éclairages, vibrations et scintillements vont perturber ses sens. Impressions de grandeur, de multiplicité de parcours, ou encore d’étroitesse vont se succéder dans ce lieu à l’atmosphère déroutante.
Le spectateur ne peut plus faire confiance à ses sens, qui sont sollicités et le trompent en permanence, et croit être dans un véritable labyrinthe. La vérité est toute autre : le spectateur est guidé à travers un seul chemin possible dans cet espace uniquement composé de huit cellules emboîtées les unes dans les autres..!
À l’aide de différents dispositifs lumineux, le GRAV parvient à perturber les sens du spectateur, à l'impliquer dans une expérience ludique et à rendre l’espace interactif.
L’expérience est approfondie dans le labyrinthe 2, qui fait cette fois appel à la motricité du spectateur, impliquant non seulement ses sens, mais tout son corps, à travers des jeux d’équilibre par exemple.
Le spectateur est invité à sortir du statut d’ « observateur » de l’œuvre pour en devenir acteur à part entière. Plus qu’une simple installation participative, le labyrinthe du GRAV déstabilise les sens du spectateur. Il est dérouté, déambulant dans un espace ou réalité et imaginaire se confondent, laissant place à un espace inédit…

Pauline OGER

 

Faire du pied pour dessiner



Digne descendant de Dali, Calder, Duchamp et autres dada, le sculpteur Suisse veut un nouvel art, une nouvelle vision des choses, c’est cette volonté qui l’amènera à créer la collection de Méta-matic, dans laquelle on trouve le Cyclograveur.
Le Cyclograveur, est un vélo articulé relié à un ensemble de rouages, qui animent un bras mécanique au dessus d’un support papier

3 croquis pour "Machine à peindre", 1959, Tinguely, stylo-bille, crayon de couleur au revers d'une lettre dactylographiée © Philippe Migeat - Centre Pompidou 
Une machine à peindre. Voila l’invention de génie de Tinguely pour bousculer le monde l’art jugé un peu trop sage et franchement pas drôle. Une fois dépassé le caractère amusant et et provocateur de la machine, il est toutefois important de mentionner les forts critiques et questionnements qu’elle pose.
Une machine à produire de l’art. Cela remet en cause la communauté entière des “artistes” ainsi que le “geste créateur”.
Qui est l’artiste ici? Peut on produire de l’art en série? La machine, destinée à remplacer l’Homme dans toutes les besognes et tâches ouvrières, serait-elle aussi la future artiste et créatrice de la société?
« Je ramène la machine à un état plutôt poétique et je fais des commentaires ironiques c’est certain. Je veux faire des farces et attrapes, je veux faire des blagues, je veux être sérieux, je veux provoquer. J’ai fait des machines à dessiner qui étaient uniquement là pour ennuyer les peintres abstraits expressionnistes c’est-à-dire les tachistes qui eux faisaient que ça, faisaient que ça, faisaient que ça. »
Le rêve de Jean, une histoire du cyclope de Jean Tinguely. Réalisation Louise Faure et Anne Julien. Quatre à Quatre films, 2005.
Tzara déclare que l'épilogue de la peinture est enfin arrivé : l'aboutissement triomphal de quarante ans de dadaïsme.Et en effet, on retrouve dans la démarche de Tinguely, une forte inspiration du ready made de Duchamp, dans la manière qu’il a de signer des œuvres produites par une machine.

Exemple de production du cyclograveur, ©CentrePompidou, catalogue de l’exposition Tinguely

Pourtant Tinguely ne s’arrête pas là. Il ajoute un donnée supplémentaire à son œuvre : le spectateur. En effet, le Cyclograveur fonctionne, comme un vélo, à la force des jambes. Et les jambes ce sont celles des spectateurs qui s’installent sur le vélo et produisent ainsi les dessins Méta-matics. Ces dessins varient selon la manipulation de la machine. Il n'y a pas deux dessins identiques. La pression du traceur sur le papier est importante tout comme la fluidité de l'agent colorant ou la qualité du papier. L'opérateur peut se servir indifféremment d'un crayon, d'un stylo bille, d'un feutre, d'un tampon, d'une encre sympathique, etc. L'élément décisif tient à la durée de fonctionnement de la machine et à la durée d'utilisation de chaque couleur.


Cyclograveur ©CentrePompidou, catalogue de l’exposition Tinguely 
Le but de la soirée est une compétition mettant aux prises deux authentiques coureurs cyclistes, déroulant à coup de pédale un kilomètre et demi de papier tout en le transformant en peinture. « Le starter, en manteau blanc ganté et coiffé d'un bonnet à pompon, donna le départ et le premier coureur se mit à pédaler comme un fou. À cet instant le public comprit qu'il n'était pas seulement venu pour assister à une manifestation artistique, mais aussi pour y participer, car au fur et à mesure que l'interminable papier se transformait en peinture il était projeté sur l'assistance, et lorsque le coureur accélérait, le papier jaillissait de la machine avec des ondulations merveilleuses et se déversait sur le public. Rien ne pouvait arrêter le processus. Le coureur était déterminé à peindre son kilomètre et demi aussi vite que possible et il y parvint. C'était l'enfer, les gens ne savaient plus ce qui leur arrivait, une merveilleuse catastrophe préméditée. Tandis que le public essayait de se dépêtrer d'un désordre supportable uniquement parce qu'il avait été organisé au nom de l'art, les deux machinistes rechargeaient la machine. »
Tinguely in Ponthus Hulten, catalogue de l'exposition (8/12/88- 27/03/89 ), Centre Georges Pompidou, Musée National d'Art Moderne
En fait, peut être la question à poser n’est pas qui est l’artiste mais quel est l’œuvre?
L’œuvre peut être la production du couple spectateur/machine signée par Tinguely. Ou la machine en elle même, dans toute sa splendeur de bricolage et son génie créateur. On peut aussi supposer que la création est en fait l’acte lui même de création que Tinguely induit en proposant son Cyclograveur au public...
Dans l’art figé et la bande d’artistes pédants, Tinguely arrive armé d’un humour critique. Il vient balayer le tout et pose un art en mouvement, défiant les définitions et les acquis de ceux qui se croyaient artistes. Il atteint son but en posant des question qui, aujourd’hui encore, ne trouvent pas de réponses...

Tassia Konstentinidis


Le Doigté-(La Musique au bout des doigts)



Random Access c’est : quelques découpes de vieilles bandes sonores de cassettes, deux enceintes, une tête de lecture… et le tour est joué! Imaginé par PAIK, précurseur dans l’art interactif, Random Access rend accessible au grand public la musique électronique. Cette œuvre plutôt bien pensée paraît très simpliste, pourtant elle offre de nombreuses perspectives d’interaction. D’une part, elle permet la création sonore sans l’apprentissage d’un quelconque instrument, ce qui libère le côté spontané et primitif du spectateur qui vagabonde, déplaçant la tête de lecture où bon lui semble sur le mur. D’autre part, la musique est diffusée par les enceintes qui font profiter les autres visiteurs d’une mélodie unique créée par le participant. Il y a une notion de partage mais également de singularité, tout le monde écoute ce que chacun est en train de produire. 

Random Access - Nam June PAIK - 1963/2013


De plus, l’œuvre a également un aspect visuel à prendre en compte, la multitude de bandes sonores reflètent un univers de mystère, à la fois dans la banalité extérieure mais également dans la diversité des sons émis. Le spectateur est livré à lui-même devant l’installation, il est alors affranchi de toutes contraintes, la seule limite est celle qu’il se fixe. En effet, il choisi le point de départ de sa composition musicale, le chemin qu’il va prendre, la vitesse, le sens, mais également le moment où sa musique va prendre fin et que son tour va passer. L’œuvre intrigue alors par sa capacité à laisser une part d’expression au spectateur tout en le perdant au milieu de ce labyrinthe. Il pense être maître de la situation mais la vérité est qu’il a seulement le contrôle sur son mouvement et non sur ce qu’il engendre.

Julien COUGNAUD

Pose tes fesses tu vas voir le jet arriver



 
Et si en vous asseyant sur un banc auprès d’un lac, une fontaine d’eau surgissait comme par enchantement pour transformer votre petit moment de détente en un instant magique ?
C’est ce qu’a réalisé l’artiste danois Jeppe Hein avec son œuvre « Did I miss something ? – Ai-je raté quelque chose ? ». D’abord exposée dans une première version à Francfort en Allemagne en 2001, puis à Couëron en 2007 à l’occasion de l’exposition « Estuaire » organisée  « Did I miss something ? » se retrouve aujourd’hui au milieu d’un bassin aquatique dans le jardin public du château de Pé à Saint Jean de Boisseau près de Nantes.


Jeppe Hein « Did I miss something ? » © S. Bellanger

Un simple banc de bois et de métal, un peu de fontainerie, un jet d’eau vertical colossal de 20m, et un public comme catalyseur de l’œuvre, telle est la surprenante installation de Jeppe Hein. Sans son spectateur l’œuvre n’existe pas. En effet, le jet n’apparaît à la surface du plan d’eau que si son spectateur s’assoit sur le banc. Il se créé alors une relation inédite et quasi-intime entre l’œuvre et son observateur, une expérience unique et renouvelable mais jamais semblable.
Ce petit banc devant ce bassin dans un cadre idyllique a tout pour plaire à Roméo et Juliette. Mais ce n’est pas tout, en vous asseyant sur ce banc, vous changez le paysage, vous devenez acteur de l’œuvre, et si vous partez, alors ce jet d’eau disparaît… Vous vous rendez alors compte de votre impact sur l’environnement. Enfin, c’est pour l’artiste un jeu (https://vimeo.com/36963075), puisque ce grand jet d’eau lui inspire des pensées phalliques.
« Did I miss something ? » c’est tout ça à la fois : une œuvre poétique, engagée mais aussi amusante.


Brandon G


Touche moi!



The Helpless Robot est un projet robotique interactif créé par Norman White, un ancien peintre qui s’est orienté par la suite vers l’électronique. The Helpless Robot, né en 1987, a pour particularité d’être une personnalité artificielle répondant au comportement de l’homme en se servant de sa voix électronique. 512 est le nombre de phrases qu'il contait à ce jour, mais son discours varie selon son expérience actuelle et passée des émotions. Il peut donc aller de l’ennui à la frustration, l’arrogance et la surestimation, toutes ces qualités qui font de lui un être attachant malgré qu’il fasse partie de l’espèce robotique. On pourrait qualifier cette œuvre d’installation robotique puisqu’elle interagit avec les spectateurs, demande, avec un ton persuasif, l’assistance physique des passants.
Norman White est le premier artiste à avoir défendu la robotique comme une forme d’art, en créant the Helpless Robot, il montre aux spectateurs qu’un robot peut apprendre de l’homme et évoluer par la suite. En effet en demandant l’assistance au public il change de comportement selon l’aide qu’il a reçu. White a fait en sorte qu’il soit contrôlé par deux ordinateurs; l’un en charge de détecter la présence humaine avec un réseau de détecteurs de mouvements infrarouges et l’autre chargé d’analyser cette information en relation avec des événements passés pour générer une réponse vocale appropriée.


Norman White, The Helpless Robot, 2008 (Photo by Michelle Kasprzak)

Norman White expose avec humour la relation particulière entre lhomme et le robot. Celui-ci a été créés pour aider l’homme, or ici c’est lui qui a besoin d’aide et qui sollicite celle de l’homme. La mécanique des émotions prend part à l’art, les artistes l’explorent de manière particulière en introduisant dans leur œuvre la robotique qu’il remettent en question. Ils sont souvent associés à d’autres médias, système, contextes ou forme de vie.
Alors, seriez-vous prêt à aider un robot?

Amélie Péron

Mise à nu



Déshabille moi!


Se mettre à nu, c’est livrer au regard des autres bien plus que son corps, c’est jouir de son intimité. C’est se délester de ces vêtements, qui nous protègent et nous emprisonnent à la fois, pour s’abandonner. Mais c’est aussi donner à avoir son être, en affirmant par la même sa souveraineté individuelle. Mais dans cette performance de Yoko Ono - Cut Piece - l’abandon flirte étroitement avec l’agression.
 


Cut Piece réalisé par Yoko Ono le 20 juillet 1964 à Yamaichi Concert Hall, Kyoto, Japon. Photographe inconnu; Courtoisie Lenono Photo Archives.
Cut Piece, fût initialement représentée au Japon en 1964, ainsi qu’à New York l’année suivante et dans divers villes du monde par la suite. Yoko Ono, assise dans la pose traditionnelle d’une femme japonaise, se livre sur la scène d’un théâtre, comme à la merci de ses spectateurs. Le public est invité à tour de rôle à couper, à l’aide d’une paire de ciseaux, des morceaux de ses vêtements et à s’en saisir telle une part d’elle.
Yoko Ono s’offre, immobile et impassible, tandis que l’on la dépossède pas à pas de son intimité. Si le public, intimidé dans un premier temps, ne se saisit que de petits morceaux, l’attitude de ces derniers évolue progressivement, pour finir par découper des pans de vêtement de plus en plus large. La relation entre l'artiste, passive et vulnérable, et le public de plus en plus intrusif, est en proie à un sentiment de déshumanisation de sorte que la destruction du vêtement relaye le corps à l’état d’objet d’art, et les spectateurs à ceux d’instruments.
La tension qui se dégage de la performance est palpable : une femme se voit mettre à nue publiquement par d’autre, dans un acte potentiellement agressif de la divulgation du corps. Le rapport à l’agression sexuelle est d'autant plus présente que la performance de 1965 prend fin lorsqu’un spectateur coupe le soutien-gorge de Yoko Ono l’obligeant à rompre son immobilité afin de cacher sa poitrine et récupérant ainsi le contrôle de son être.

Jason Chapron

Déguste moi


Consommer la Mariée , une métaphore du mariage pas Micha Deridder 

Juste au Corps-Micha Deridder

L’artiste Micha Deridder crée la surprise lors de l’ouverture de l’exposition « Juste au Corps » le 16 juin 2000 au Centre d’art Contemporain La Criée à Rennes. Vêtue d’une robe de mariage faite de barbe à papa, elle invite chaque visiteur à manger un morceau de sa robe. « Consommer la mariée » est donc une performance représentant une métaphore du mariage. Elle évoque l’ultime mise à nu publique de la femme prête à s’engager pour le restant de sa vie. Selon certaines religions, la perte de la virginité est symbolique au mariage. En effet le jour de son mariage une femme est plus belle que jamais et donc suscite le désir. Par à cette performance Micha Deridder incite les participants à la gourmandise
C’est un rapport imagé du réel puisque en effet sa robe cotonneuse est dévorée par des inconnus
comme des passant désirant une mariée sortant de l’église.
L’artiste donne alors un côté poétique à la sucrerie (mangée le plus souvent par des enfants) qui appâte les spectateurs en leur donnant l’impression d’avoir consommé la mariée avec le futur époux ce qui pourrait paraître légèrement pervers mais qui au final la rend désirablement attrayante. 

Hermeline Duchemin