Toujours plus proche de l’œuvre
L'art s'est souvent mis à distance du spectateur. "NE PAS TOUCHER - NE PAS S'APPROCHER". Depuis peu, certains artistes cherchent à générer une interaction plus que visuelle avec le spectateur. Les interactions permettent au spectateur d’augmenter, voire de modifier sa relation avec l'œuvre. L’interaction est peut être un moyen d’impliquer le spectateur, de lui donner une accroche, qu’elle soit émotionnelle, intellectuelle ou sensorielle. L’homme est un animal social, les interactions avec les autres et son environnement sont au cœur des préoccupations contemporaines. On cherche à augmenter l’interaction dans les domaines tels que le jeu vidéo avec la réalité virtuelle, le cinéma avec l’arrivé de la 3D, … L’interaction augmente l’immersion. Les artistes en sont bien conscients. Nous allons voir, à travers cette édition, comment ils ont développer des mécanismes, des stratégies, des propositions qui implique le spectateur dans une expérience participative unique, toujours personnelle et parfois intime.
Attention! Cela risque d'éveiller votre appétit...
Quentin Cadero et Marion Bernardi
Révélation par déplacement
Vue de coté c'est toujours plus gros
Hans
Holbein le Jeune était un des portraitistes les plus accomplis
du
16eme siècle. Il était connu pour la précision de ses dessins. Le portrait “Les Ambassadeurs”, une peinture à
l’huile sur un panneau de bois de chêne, a été réalisé
en 1533 à Londres. Holbein a déménagé en Angleterre en 1532 et a
commencé à peindre l’entourage de Henri VIII. Juste après, en
1535, il a été officiellement déclaré le peintre de cour de ce
même roi. L’œuvre
figure deux hommes
riches et puissants. A gauche, on retrouve Jean de Dinteville, 29 ans,
et ambassadeur Français en
Angleterre
en 1533. A droite on retrouve son ami, Georges de Selve, 25 ans,
évêque de Lavaur, qui a servi en tant qu'ambassadeur auprès de la République Venetian et du Saint-Siège. Pour comprendre le
contexte historique de la peinture,
il
faut premièrement examiner la série de trois événements
qui
ont
contribué
à
l’envoi des deux sujets du portrait. En 1533 Henri VIII
d’Angleterre et sa première épouse ont
divorcé.
Il s'est
ensuite
marié avec Anne Boleyn et, par conséquent, a été excommunié de
l’église catholique. La Réforme Protestante étant déjà bien
engagée
dans
le reste d’Europe, l'Angleterre s’est également séparée
de
l’église catholique. De Dinteville et de Selve ont été envoyés
en Angleterre à la cour des Tudor comme réponse à cette rupture avec
l’église.
Holbein
a peint “Les Ambassadeurs” pendant une période très tendue entre les rois de France, d'Angleterre, l’empereur
Romain, et le Pape. C’était aussi une époque où la chrétienté se divise
avec la Réforme. Ce conflit se reflète dans plusieurs détails
symboliques de l’œuvre.
Le
crucifix caché par la rideau vert en haut à gauche représente la
division de l’église. La corde cassée du luth évoque la
dissonance ecclésiastique pendant la Réforme. Le livre de musique
ouvert à côté du luth a été identifié comme un livre de hymnes
Lutherien, possiblement un cri pour l’harmonie chrétienne. Le livre
de mathématiques est ouvert sur une page en lien avec la division.
Aux pieds des Ambassadeur apparait une forme étrange qui ne prend sens que d'un point de vue particulier, non plus quand le spectateur est placé face au tableau, mais quand il se déplace et passe presque sous la toile. Alors apparaît un crâne. La
technique de l'anamorphose était connu par Holbein et d’autres
artistes de l’époque. Les artistes pratiquant cette technique
étaient capables de reproduire des dessins déformés qui pouvaient
apparaître normalement que sous
certaines conditions, tel qu’un angle aigu ou réfléchi dans un
miroir convexe.
Le
crâne en bas de la peinture est un exemple de cette recherche. Le tableau des
Ambassadeurs
était
accroché au mur dans les escaliers du château
de
l’homme représenté à gauche, Jean de Dinteville. L'image corrigée du crâne
apparaissait
facilement
quand elle était vue d'en bas des escaliers.
Le
crâne est considéré comme un des meilleurs exemples d’anamorphose
dans l’histoire de la peinture. Son apparition est saisissante…
Les Ambassadeurs - Hans Holbein - 1535 |
Elise Cugnart
Déchaine moi!
Lointaine, presque
imperceptible, calme et plate, elle ondule langoureusement. Une
attirance palpable nous pousse vers elle, nous attire renfermant un
mystère.
C’est au Musée
des Beaux-Arts de Nantes que Thierry Kuntzel réalise en 2003 une
installation vidéo et sonore interactive. Dans une pièce longue et
sombre, le visiteur s’avance droit vers un écran plaqué au mur,
cerné de capteurs créant alors ce lien interactif entre œuvre et
spectateur.
Encore lointain,
l’écran diffuse alors l’image d’une mer calme et de ses
quelques vagues douces et sensuelles. C’est en s’approchant de
plus en plus de l’œuvre qu’elle se développe. En effet, les
vagues se meuvent, s’agitent, puis se déchaînent plus le visiteur avance, pour enfin se figer nettes en une image noire et blanche.
La mer se faisant pourtant menaçante, comme protégeant un secret,
crée chez le spectateur avec cette agitation l’envie de persévérer
dans son son parcours. Ainsi par leur déplacement, les individus participent au
développement de l’œuvre.
The Waves-Thierry Kuntzel - 2003 |
En référence à l’écrivain anglaise Virginia Woolf et de son roman homonyme The
Waves,
l’installation de Thierry Kuntzel retrace peut-être les
tourments psychologiques de cette femme de lettres qui s'est suicidée par noyade. Il choisit, de fait, d’évoquer, par le
déferlement des vagues, son instabilité émotionnelle.
Louise Peyon-Leconte
Tu m’excites
The Senster
est une œuvre interactive consistant en une installation modulaire
interactive. Pensée et développée
par Edward Ihnatowicz à la fin des
années 60, The Senster fut l’apogée d’une suite de
travaux interactifs, innovants et surprenants pour l’époque (œuvre
robotique interactive contrôlée par ordinateur).
Edward Ihnatowicz
était un sculpteur cybernétique des années 1960-70. Ses
travaux principaux se basent sur l’utilisation d’ordinateurs
(premiers modèles développés à l’époque) dans des œuvres
d’art interactives faisant intervenir le public. Il réussit, à
travers ses productions, à mêler tout ce qui s’apparenterait à
quelque chose de technique (froid, brut, sans sensibilités) au
domaine artistique (ce qui était déjà quelque chose d’engagé à
l’époque et qui a su se développer depuis).
The Senster-Edward Ihnatowicz |
The Senster
est un précurseur explorant les notions de robotique, de
programmation et d’interactions machines/ êtres vivants. Le
concept est simple à comprendre et pouvait, lorsqu’il
était décrit, séduire, attirer les curieux. La structure est composée de deux pieds reliés à un
corps principal (dont la tête correspond à une sorte de pince ou
de mandibules). Cette installation nous rappelle certes l’idée de
robot à travers tous les éléments de construction (tiges associées
qui rappellent l’intérieur des anciens avions), mais également
une dimension animale avec la ressemblance à un insecte qui s’agite.
D’autre part la grandeur de cette œuvre reste impressionnante et
nous fait-nous sentir fragiles à côté.
Concernant son
fonctionnement, des capteurs de sons et de mouvements sont placés
dans la pièce. Ainsi, l’œuvre peut prendre vie à partir du
moment où des visiteurs rentrent dans la salle et se déplacent. C’est alors que The Senster va pouvoir
bouger, se désarticuler et réagir en fonction du déplacement et
des sons émis par les visiteurs. On peut alors parler vraiment d’une
œuvre interactive. Certains artistes plus contemporains n’hésitent
pas à reprendre ce type d’interactions, c’est le cas de
l’artiste Han Koning qui a créer l’objet Lung (un petit
objet ressemblant à un cœur qui bas et qui est effrayé quand on se
rapproche de lui).
Jules Lerouge
J'entends quelque chose bouger
Ce grand mobile sonore est composé de 40 disques d’un diamètre de
150 centimètres en rotation lente. Melotrope génère un
vaste espace cinétique au paysage changeant sans cesse. C’est une
œuvre collective réalisée par deux artistes Solveig de Ory et
Jean-Robert Sédano, une plasticienne et un musicien, informaticien.
Des disques blancs sont suspendus et forment un labyrinthe. C’est
une œuvre interactive et labyrinthique dans laquelle on est invité à déambuler. C’est le mouvement des spectateurs qui crée
les variations d’ombres et décompose et recompose un paysage
sonore. Cette composition sonore est un parcours musical créé à partir des
séquences numériques réalisées à l’aide d’un synthétiseur
et quelques sons concrets retravaillés sur ordinateur. Il s’agit
donc de compositions polyphoniques pouvant comporter jusqu’à 64
sources distinctes, se déclenchant on fonction du déplacement des spectateurs. Le but de cette installation est de créer une
sorte de magie et de la communiquer aux visiteurs en les enchantant
par le paysage sonore et visuel.
Melotrope-Solveig de Ory et Jean-Robert Sédano |
Camille Metayer Schneider
Quand on ne mouille pas (Rain Room : un design sensoriel)
L’enjeu majeur de
cette œuvre : la présence du public et l'espace qu'il occupe.
L'immensité d'une salle, l'eau et le mouvement sont trois éléments
qui caractérisent cette œuvre interactive intitulée Rain Room.
Elle a été édifiée en 2012 par le collectif Random International,
une équipe d'artistes designers anglais spécialisés dans l'art
interactif. Ils ont une approche ciblée sur l’expérience humaine
qui lie l'eau, la lumière et la technologie.
C'est un
environnement sombre, immersif, où une pluie tombe, incessante, et
s'arrête en détectant le mouvement du corps grâce à des caméras
3D. Il y a un partage de confiance entre le participant et le
phénomène. L'observateur entre réellement dans l’œuvre qui
renvoie un univers puissant, sans pour autant pouvoir la toucher,
comme une force invisible qui le protège. Il n'y a aucun contact
entre eux, seul un lien spirituel.
Rain Room-Random International |
L'averse répond à
vos mouvements, c'est une chorégraphie, une sorte de valse entre les
ondulations du corps et celles de l'eau. L'installation est un
mélange entre sciences et technologies, qui amène le visiteur à
vivre une expérience unique où il a le sentiment d'avoir un
contrôle total sur un phénomène naturel: la pluie. Marcher à
travers la pluie sans se mouiller est enfin réalisable.
Rain
Room est une confrontation direct et sensorielle entre
l'humain et son rapport avec l'intelligence artificielle.
Clara CHANTELOUP
Un coup d’œil suffit
Quand tu le vois arriver par derrière
Pierrick Sorin- Coup
de pied aux fesses
Dans
les années 60 à 70 les artistes ont travaillé sur le dispositif
vidéo dans le domaine de l’art. Pierrick Sorin, artiste nantais,
en est le digne héritier. C’est un vidéaste qui utilise la vidéo
pour créer des œuvres d’art qu’il appelle ses « théâtre
optique ». Il confronte parfois le visiteur à l’artiste lui-même comme dans
l’œuvre la
belle peinture est derrière nous,
où le spectateur est pris à partie par la voix de l’artiste qui lui demande de se pousser car en effet
derrière lui est accrochée une peinture. Malgré la simplicité du message de l’œuvre, ses dispositifs sont tout de même
complexes. Sorin crée des mini films à petits budgets où ils
jouent plusieurs rôles à la fois caméraman, acteurs, metteur en
scène… Dans l’œuvre les
matins, Pierrick Sorin réalise un documentaire où il s’auto-filme en train de se réveiller tous les matins en décrivant son
ressenti. Ses inspirations proviennent du cinéma muet, burlesque,
des films de Jacques Tati ou même des émissions d’aujourd’hui.
En
1992, Sorin réalise l’œuvre Coup
de pied aux fesses
où le spectateur se penche pour regarder un écran dans lequel il se voit
et voit arriver derrière lui, quelqu’un va lui mettre un coup de pied aux fesses, un
montage vidéo mélangeant réalité et fiction. Il provoque ainsi la
réaction du visiteur qui se retourne pour voir s’il y a vraiment
quelqu’un derrière lui. Le style de Pierrick Sorin est toujours
plein d’humour et même si parfois ses sujets sont emprunts de
légèreté la plupart posent un regard critique sur notre société,
et surtout sur notre image. En effet à travers ses autoportraits, il
remet en question le visiteur et sa relation à l'art. De même dans ses œuvres interactives, Sorin ne
laisse pas le visiteur être spectateur et s'amuse à le faire acteur.
Pierrick Sorin- Coup de pied aux fesses - 1992 |
Pauline Leriche
Le voyeur
Present Continuous
Past(s) de Dan Graham - 1974 - Installation vidéo - circuit fermé - 1 caméra noir et blanc, 1 moniteur noir et blanc, 2 miroirs, 1 microprocesseur |
Present Continuous
Past(s) de Dan Graham est la première œuvre (1974) de ce genre
et constitue le modèle de la plupart des œuvres mettant en scène
des interpénétrations spatio-temporelles dans des salles
recouvertes de miroirs et dans lesquelles le spectateur est sujet et
également objet de perception.
Le dispositif de Present
Continuous Past(s) est minimaliste et savant. Il repose sur une
architecture mathématique : composée d’une caméra vidéo, d’un
moniteur noir et blanc, de deux miroirs et d’un microprocesseur. Il
met en jeu un système de boucle et de délais qui deviendra la
marque de fabrique de l’artiste, la référence incontournable de
tout un courant de l’art conceptuel et de la création vidéo.
Dan
Graham précise : « Le miroir réfléchit le temps présent. La
caméra vidéo enregistre ce qui est immédiatement en face d’elle
et l’image réfléchie par le miroir qui lui fait face. L’image
vue par la caméra apparaît huit secondes plus tard sur l’écran
du moniteur. » Ainsi, l’œuvre met en évidence le dispositif
de la représentation en y intégrant des « regardeurs »,
qui deviennent les personnages d’un spectacle pris entre le direct
et le différé, auquel ils assistent en même temps que d’autres
peuvent les observer.
Le titre de l’œuvre laisse entendre
différentes interprétations au niveau de l’imbrication
temporelle: il peut s’agir d’un présent continuellement passé
(délais de la vidéo), d’un passé (enregistrement) ou d’un
passé continuellement présent (boucle de la vidéo).
Cette
mécanique de regards, d’observations, les uns envers les autres
peut renvoyer avec force aux systèmes de surveillance et de contrôle
de la société contemporaine.
Mathis Jagorel
Se dévoiler
Un jeu interactif par Peter Campus
"Grâce à la transmission en
direct de l’image électronique, il invite le visiteur à faire d’étranges
expériences de lui-même en le confrontant à des doubles dissociés dans
l’espace et le temps, à une image de soi toujours problématique.
D’une
installation à l’autre, un resserrement progressif s’opère, l’activité
du visiteur est restreinte et celui-ci n’est plus confronté qu’à une
seule image de lui-même, quoique toujours inattendue, pour aboutir à un
face-à-face avec le visage d’un autre qui le fixe du regard, une image
projetée de grande dimension. Un blocage, une impasse, un épuisement des
possibles ? Le spectateur est renvoyé désormais à son activité de
regardeur. " Texte Musée du Jeu de Paume
Toucher déclencheur
Tire sur ma tige
Scenocosme
est un couple d’artistes aux créations singulières mêlant toutes
formes d’expressions : installations interactives, art plastique,
art numérique et sonore, performances, etc. Ils développent des
œuvres qui évoluent avec l'interaction humaine. Leurs créations sont poétiques, rêveuses, de sensibles.
scenocosme : Grégory Lasserre & Anaïs met den Ancxt, Daejeon (Korea) |
Akousmaflore est une de ces créations; un jardin suspendu avec de vraies plantes qui réagissent au mouvement, une véritable expérience sensorielle. Quand on effleure la plante, elle répond au mouvement en générant des sons. Ensemble, elles créent un réel chant, un langage végétal. En réalité, les plantes réagissent à l’intensité énergétique électrostatique de celui qui les touche. De plus, chaque exposition est différente, en effet, les plantes réagissent différemment en fonction du lieu où elles se trouvent puisqu’elles sont sensibles aux flux énergétiques de leur environnement autant qu'à celui dégagé par l’Homme.
Cette création est
un véritable travail d’hybridation entre le vivant et la
technologie.
Constance Rondeau
Je veux ton corps tout entier
« DÉFENSE
DE NE PAS PARTICIPER
DÉFENSE
DE NE PAS TOUCHER
DÉFENSE
DE NE PAS CASSER »
À Paris,
octobre 1963, Groupe de Recherche d'Art Visuel "Assez de
mystifications II", 3e biennale de Paris
Comme un appel à
la participation ou au jeu, ces trois phrases interpellent les
visiteurs dès leur entrée dans le labyrinthe du GRAV, présenté en
1963 lors de la troisième biennale de Paris.
Redéfinir
la place de l’artiste, la fonction de l’œuvre mais
surtout sa perception par le spectateur, tels sont les objectifs
d’Horacio Garcia Rossi, Julio Le Parc, François Morellet,
Francisco Sobrino et Jean-Pierre Vasarely, membres du Groupe de
Recherche d’Art Visuel (GRAV), créé en 1960 dans la capitale
Française. Par cette première œuvre collective,
ils viennent affirmer leurs intentions: l’art doit devenir
interactif et surtout ludique.
Le labyrinthe du GRAV-Horacio Garcia Rossi, Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino et Jean-Pierre Vasarely - 1963 |
Le spectateur
pénètre ainsi dans un espace clos, où jeux de
lumières et d’éclairages, vibrations et scintillements vont
perturber ses sens. Impressions de grandeur, de multiplicité de
parcours, ou encore d’étroitesse vont se succéder dans ce lieu à
l’atmosphère déroutante.
Le
spectateur ne peut plus faire confiance à ses sens, qui sont
sollicités et le trompent en permanence, et croit être dans un
véritable labyrinthe. La vérité est toute autre : le spectateur est
guidé à travers un seul chemin possible dans cet espace uniquement
composé de huit cellules emboîtées les
unes dans les autres..!
À l’aide de
différents dispositifs lumineux, le GRAV parvient à perturber les sens
du spectateur, à l'impliquer dans une expérience ludique et à rendre l’espace interactif.
L’expérience est
approfondie dans le labyrinthe 2, qui fait cette fois appel à la
motricité du spectateur, impliquant non seulement ses sens, mais
tout son corps, à travers des jeux d’équilibre par exemple.
Le
spectateur est invité à sortir du statut d’ « observateur »
de l’œuvre pour en devenir acteur à
part entière. Plus qu’une
simple installation participative, le labyrinthe du GRAV déstabilise
les sens du spectateur. Il est dérouté, déambulant dans un espace
ou réalité et imaginaire se confondent, laissant place à un espace
inédit…
Pauline OGER
Faire du pied pour dessiner
Digne descendant de
Dali, Calder, Duchamp et autres dada, le sculpteur Suisse veut un
nouvel art, une nouvelle vision des choses, c’est cette volonté
qui l’amènera à créer la collection de Méta-matic, dans
laquelle on trouve le Cyclograveur.
Le Cyclograveur,
est un vélo articulé relié à un ensemble de rouages, qui animent
un bras mécanique au dessus d’un support papier
3 croquis pour "Machine à peindre", 1959, Tinguely, stylo-bille, crayon de couleur au revers d'une lettre dactylographiée © Philippe Migeat - Centre Pompidou |
Une machine à
peindre. Voila l’invention de génie de Tinguely pour bousculer le
monde l’art jugé un peu trop sage et franchement pas drôle. Une
fois dépassé le caractère amusant et et provocateur de la machine,
il est toutefois important de mentionner les forts critiques et
questionnements qu’elle pose.
Une machine à
produire de l’art. Cela remet en cause la communauté entière des
“artistes” ainsi que le “geste créateur”.
Qui est l’artiste
ici? Peut on produire de l’art en série? La machine, destinée à
remplacer l’Homme dans toutes les besognes et tâches ouvrières,
serait-elle aussi la future artiste et créatrice de la société?
« Je ramène la
machine à un état plutôt poétique et je fais des commentaires
ironiques c’est certain. Je veux faire des farces et attrapes, je
veux faire des blagues, je veux être sérieux, je veux provoquer.
J’ai fait des machines à dessiner qui étaient uniquement là pour
ennuyer les peintres abstraits expressionnistes c’est-à-dire les
tachistes qui eux faisaient que ça, faisaient que ça, faisaient que
ça. »
Le
rêve de Jean, une histoire du cyclope de Jean Tinguely.
Réalisation Louise Faure et Anne Julien. Quatre à Quatre films,
2005.
Tzara déclare que
l'épilogue de la peinture est enfin arrivé : l'aboutissement
triomphal de quarante ans de dadaïsme.Et en effet, on retrouve dans
la démarche de Tinguely, une forte inspiration du ready made de
Duchamp, dans la manière qu’il a de signer des œuvres produites
par une machine.
Pourtant Tinguely ne
s’arrête pas là. Il ajoute un donnée supplémentaire à son
œuvre : le spectateur. En effet, le Cyclograveur fonctionne,
comme un vélo, à la force des jambes. Et les jambes ce sont celles
des spectateurs qui s’installent sur le vélo et produisent ainsi
les dessins Méta-matics. Ces dessins varient selon la
manipulation de la machine. Il n'y a pas deux dessins identiques. La
pression du traceur sur le papier est importante tout comme la
fluidité de l'agent colorant ou la qualité du papier. L'opérateur
peut se servir indifféremment d'un crayon, d'un stylo bille, d'un
feutre, d'un tampon, d'une encre sympathique, etc. L'élément
décisif tient à la durée de fonctionnement de la machine et à la
durée d'utilisation de chaque couleur.
Cyclograveur ©CentrePompidou, catalogue de l’exposition Tinguely |
Le but de la soirée
est une compétition mettant aux prises deux authentiques coureurs
cyclistes, déroulant à coup de pédale un kilomètre et demi de
papier tout en le transformant en peinture. « Le starter, en
manteau blanc ganté et coiffé d'un bonnet à pompon, donna le
départ et le premier coureur se mit à pédaler comme un fou. À cet
instant le public comprit qu'il n'était pas seulement venu pour
assister à une manifestation artistique, mais aussi pour y
participer, car au fur et à mesure que l'interminable papier se
transformait en peinture il était projeté sur l'assistance, et
lorsque le coureur accélérait, le papier jaillissait de la machine
avec des ondulations merveilleuses et se déversait sur le public.
Rien ne pouvait arrêter le processus. Le coureur était déterminé
à peindre son kilomètre et demi aussi vite que possible et il y
parvint. C'était l'enfer, les gens ne savaient plus ce qui leur
arrivait, une merveilleuse catastrophe préméditée. Tandis que le
public essayait de se dépêtrer d'un désordre supportable
uniquement parce qu'il avait été organisé au nom de l'art, les
deux machinistes rechargeaient la machine. »
Tinguely
in Ponthus Hulten, catalogue de
l'exposition (8/12/88- 27/03/89 ), Centre Georges Pompidou, Musée
National d'Art Moderne
En fait, peut être
la question à poser n’est pas qui est l’artiste mais quel est
l’œuvre?
L’œuvre peut être
la production du couple spectateur/machine signée par Tinguely. Ou
la machine en elle même, dans toute sa splendeur de bricolage et son
génie créateur. On peut aussi supposer que la création est en fait
l’acte lui même de création que Tinguely induit en proposant son
Cyclograveur au public...
Dans l’art figé
et la bande d’artistes pédants, Tinguely arrive armé d’un
humour critique. Il vient balayer le tout et pose un art en
mouvement, défiant les définitions et les acquis de ceux qui se
croyaient artistes. Il atteint son but en posant des question qui,
aujourd’hui encore, ne trouvent pas de réponses...
Tassia
Konstentinidis
Le Doigté-(La Musique au bout des doigts)
Random Access
c’est : quelques découpes de vieilles bandes sonores de cassettes,
deux enceintes, une tête de lecture… et le tour est joué! Imaginé
par PAIK, précurseur dans l’art interactif, Random Access
rend accessible au grand public la musique électronique. Cette œuvre
plutôt bien pensée paraît très simpliste, pourtant elle offre de
nombreuses perspectives d’interaction. D’une part, elle permet la
création sonore sans l’apprentissage d’un quelconque instrument,
ce qui libère le côté spontané et primitif du spectateur qui
vagabonde, déplaçant la tête de lecture où bon lui semble sur le mur. D’autre part, la musique
est diffusée par les enceintes qui font profiter les autres
visiteurs d’une mélodie unique créée par le participant. Il y a
une notion de partage mais également de singularité, tout le monde
écoute ce que chacun est en train de produire.
Random Access - Nam June PAIK - 1963/2013 |
De plus, l’œuvre a
également un aspect visuel à prendre en compte, la multitude de
bandes sonores reflètent un univers de mystère, à la fois dans la
banalité extérieure mais également dans la diversité des sons
émis. Le spectateur est livré à lui-même devant l’installation,
il est alors affranchi de toutes contraintes, la seule limite est
celle qu’il se fixe. En effet, il choisi le point de départ de sa
composition musicale, le chemin qu’il va prendre, la vitesse, le
sens, mais également le moment où sa musique va prendre fin et que
son tour va passer. L’œuvre intrigue alors par sa capacité à
laisser une part d’expression au spectateur tout en le perdant au
milieu de ce labyrinthe. Il pense être maître de la situation mais
la vérité est qu’il a seulement le contrôle sur son mouvement et
non sur ce qu’il engendre.
Julien COUGNAUD
Norman White expose avec humour la relation particulière entre l’homme et le robot. Celui-ci a été créés pour aider l’homme, or ici c’est lui qui a besoin d’aide et qui sollicite celle de l’homme. La mécanique des émotions prend part à l’art, les artistes l’explorent de manière particulière en introduisant dans leur œuvre la robotique qu’il remettent en question. Ils sont souvent associés à d’autres médias, système, contextes ou forme de vie.
Pose tes fesses tu vas voir le jet arriver
Et si en vous
asseyant sur un banc auprès d’un lac, une fontaine d’eau
surgissait comme par enchantement pour transformer votre petit moment
de détente en un instant magique ?
C’est ce qu’a
réalisé l’artiste danois Jeppe Hein avec son œuvre « Did I
miss something ? – Ai-je raté quelque chose ? ».
D’abord exposée dans une première version à Francfort en
Allemagne en 2001, puis à Couëron en 2007 à l’occasion de
l’exposition « Estuaire » organisée « Did I miss something ? » se retrouve
aujourd’hui au milieu d’un bassin aquatique dans le jardin public
du château de Pé à Saint Jean de Boisseau près de Nantes.
Jeppe Hein « Did I miss something ? » © S. Bellanger |
Un simple banc de
bois et de métal, un peu de fontainerie, un jet d’eau vertical
colossal de 20m, et un public comme catalyseur de l’œuvre, telle
est la surprenante installation de Jeppe Hein. Sans son spectateur
l’œuvre n’existe pas. En effet, le jet n’apparaît à la
surface du plan d’eau que si son spectateur s’assoit sur le banc.
Il se créé alors une relation inédite et quasi-intime entre
l’œuvre et son observateur, une expérience unique et renouvelable
mais jamais semblable.
Ce
petit banc devant ce bassin dans un cadre idyllique a tout pour
plaire à Roméo et Juliette. Mais ce n’est pas tout, en vous
asseyant sur ce banc, vous changez le paysage, vous devenez acteur de
l’œuvre, et si vous partez, alors ce jet d’eau disparaît…
Vous vous rendez alors compte de votre impact sur l’environnement.
Enfin, c’est pour l’artiste un jeu (https://vimeo.com/36963075),
puisque ce grand jet d’eau lui inspire des pensées phalliques.
« Did I miss
something ? » c’est tout ça à la fois : une œuvre
poétique, engagée mais aussi amusante.
Brandon G
Touche moi!
The Helpless Robot
est un projet robotique interactif créé par Norman White, un ancien
peintre qui s’est orienté par la suite vers l’électronique. The Helpless Robot, né
en 1987, a pour particularité d’être une personnalité
artificielle répondant au comportement de l’homme en se servant de
sa voix électronique. 512 est le nombre de phrases qu'il contait à
ce
jour, mais son discours varie selon son
expérience actuelle et passée des émotions. Il peut donc aller de
l’ennui à la frustration, l’arrogance et la surestimation,
toutes ces qualités qui font de lui un être attachant malgré qu’il
fasse partie de l’espèce robotique. On pourrait qualifier cette œuvre
d’installation robotique puisqu’elle interagit avec les spectateurs,
demande, avec un ton persuasif,
l’assistance physique des passants.
Norman
White est le premier artiste à avoir défendu la robotique comme une
forme d’art, en créant the Helpless Robot, il montre aux
spectateurs qu’un robot peut apprendre de l’homme et évoluer par
la suite. En effet en demandant l’assistance au public il change de
comportement selon l’aide qu’il a reçu. White a fait en sorte
qu’il soit contrôlé par deux ordinateurs; l’un en charge de
détecter la présence humaine avec un réseau de
détecteurs de mouvements infrarouges et l’autre chargé d’analyser
cette information en relation avec des événements
passés pour générer une réponse vocale
appropriée.
Norman White, The Helpless Robot, 2008 (Photo by
Michelle Kasprzak)
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Norman White expose avec humour la relation particulière entre l’homme et le robot. Celui-ci a été créés pour aider l’homme, or ici c’est lui qui a besoin d’aide et qui sollicite celle de l’homme. La mécanique des émotions prend part à l’art, les artistes l’explorent de manière particulière en introduisant dans leur œuvre la robotique qu’il remettent en question. Ils sont souvent associés à d’autres médias, système, contextes ou forme de vie.
Alors, seriez-vous
prêt à aider un robot?
Amélie Péron
Mise à nu
Déshabille moi!
Se mettre à nu,
c’est livrer au regard des autres bien plus que son corps, c’est
jouir de son intimité. C’est se délester de ces vêtements, qui
nous protègent et nous emprisonnent à la fois, pour s’abandonner.
Mais c’est aussi donner à avoir son être, en affirmant par la
même sa souveraineté individuelle. Mais dans cette performance de
Yoko Ono - Cut Piece - l’abandon flirte étroitement avec
l’agression.
Cut Piece réalisé par Yoko Ono le 20 juillet 1964 à
Yamaichi Concert Hall, Kyoto, Japon. Photographe inconnu; Courtoisie Lenono
Photo Archives.
|
Cut
Piece, fût
initialement représentée au Japon en 1964, ainsi qu’à New York
l’année suivante et dans divers villes du monde par la suite. Yoko
Ono, assise dans la pose traditionnelle d’une femme japonaise, se
livre sur la scène d’un théâtre, comme à la merci de ses
spectateurs. Le public est invité à tour de rôle à couper, à
l’aide d’une paire de ciseaux, des morceaux de ses vêtements et
à s’en saisir telle une part d’elle.
Yoko Ono s’offre,
immobile et impassible, tandis que l’on la dépossède pas à pas
de son intimité. Si le public, intimidé dans un premier temps, ne
se saisit que de petits morceaux, l’attitude de ces derniers évolue
progressivement, pour finir par découper des pans de vêtement de
plus en plus large. La relation entre l'artiste, passive et
vulnérable, et le public de plus en plus intrusif, est en proie à
un sentiment de déshumanisation de sorte que la destruction du
vêtement relaye le corps à l’état d’objet d’art, et les
spectateurs à ceux d’instruments.
La tension qui se dégage de la performance est palpable : une
femme se voit mettre à nue publiquement par d’autre, dans un acte
potentiellement agressif de la divulgation du corps. Le rapport à
l’agression sexuelle est d'autant plus présente que la performance
de 1965 prend fin lorsqu’un spectateur coupe le soutien-gorge de
Yoko Ono l’obligeant à rompre son immobilité afin de cacher sa
poitrine et récupérant ainsi le contrôle de son être.
Jason Chapron
Déguste moi
Consommer la Mariée
, une métaphore du mariage pas Micha Deridder
Juste au Corps-Micha Deridder |
L’artiste
Micha Deridder crée la surprise lors de l’ouverture de
l’exposition « Juste au Corps » le 16 juin 2000 au
Centre d’art Contemporain La Criée à Rennes. Vêtue d’une
robe de mariage faite de barbe à papa, elle invite chaque visiteur à
manger un morceau de sa robe. « Consommer la mariée »
est donc une performance représentant une métaphore du
mariage. Elle évoque l’ultime mise à nu publique de la femme
prête à s’engager pour le restant de sa vie. Selon certaines
religions, la perte de la virginité est symbolique au mariage. En
effet le jour de son mariage une femme est plus belle que jamais et
donc suscite le désir. Par à
cette performance Micha Deridder incite les participants à la gourmandise
C’est un rapport imagé du réel puisque en effet sa robe cotonneuse est dévorée par des inconnus
comme des passant désirant une mariée sortant de l’église.
L’artiste donne alors un côté poétique à la sucrerie (mangée le plus souvent par des enfants) qui appâte les spectateurs en leur donnant l’impression d’avoir consommé la mariée avec le futur époux ce qui pourrait paraître légèrement pervers mais qui au final la rend désirablement attrayante.
C’est un rapport imagé du réel puisque en effet sa robe cotonneuse est dévorée par des inconnus
comme des passant désirant une mariée sortant de l’église.
L’artiste donne alors un côté poétique à la sucrerie (mangée le plus souvent par des enfants) qui appâte les spectateurs en leur donnant l’impression d’avoir consommé la mariée avec le futur époux ce qui pourrait paraître légèrement pervers mais qui au final la rend désirablement attrayante.
Hermeline Duchemin
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