samedi 12 décembre 2015

LA SERIE DANS L'ART OU L'ART DE LA SERIE

Lorsqu'on parle de série en art, on désigne le plus souvent une multitude d'œuvres, toutes liées par un mème thème, en rapport avec un problème plastique à résoudre. Mais on peut aussi penser à un ensemble de figures plus ou moins semblables qui résulte de combinaisons ou d'un traitement répétitif systématique.
Les premiers artistes à employer ce procédé furent les peintres français du XIXème siècle, comme le concept de série chez Paul Cézanne. Mais plus qu'un concept, la série évolue de pair avec les nouvelles tendances picturales Roy Lichtenstein ou encore Andy Warhol viennent alors désacraliser l'œuvre et produise en masse. Tableaux en série, esquisses, gravures, sérigraphies, procédés de composition, d’écriture, réorchestrations, suites, doubles et variations, répétition de l’élève qui se fait la main « cent fois sur le métier », du lecteur qui relit, de l’amateur qui se repasse le disque, revient voir le film, la photo, la toile … l'oeuvre ! Qu’il s’agisse d’un mode d’exposition, d'une méthode de création, d’un mode de production, d’une expérience esthétique, la série couvre tous les champs de l’art.

Marine CORRE / Maxime ROUSSET



VARIATION SUR UN MÊME THÈME.  


Les 36 vues du Mont Fuji par Hokusai, une série d'hommages à la nature

Hokusai, L'orage sous le sommet, 3eme vue de la série, 1831
La série de  Katsushika Hokusai (1760-1849) "les 36 vues du Mont Fuji" représente sa plus importante collection d'estampes japonnaise réalisées entre 1831 et 1833. En réalité, celle-ci est composée de 46 oeuvres du fait de son succès  lors de son édition, l'artiste a produit 10 estampes supplémentaires. Hokusai y représente le point culminant du Japon, sacré pour son peuple et symbole du pays à travers différents points de vues et au fil des saisons. Hokusai fait ici l'éloge de la nature et des paysages en leur donnant une place de sujet à part entière et en invitant le spectateur à les contempler.
Il invite l'homme À penser sa place au sein de cette nature en perpétuelle changement alors que celui ci découvre petit à petit ces paysages japonnais tous différents et pourtant tous autour de ce même volcan sacré: le Mont Fuji. Les trois premières œuvres de cette série ont connues autant de succès que La Grande Vague de Kanagawa.



Louise ROUSSIERE

La série, pour remettre sans cesse le sujet sur le métier

Paul Cézanne, né en 1839, est un peintre, auteur d’une série de plus de 80 tableaux ayant pour sujet la montagne Sainte-Victoire surplombant sa ville natale : Aix-En-Provence.
Cette série d’œuvres découle d’une véritable obsession de l’artiste pour ce qui est considéré par les habitants d’Aix comme étant un monument minéral. En effet, dans ses dernières années, Cézanne s’est évertué à saisir les jeux de lumières chatoyant sur les flancs de Sainte-Victoire, à les capter pour mieux les transmettre à travers ses toiles. L’artiste alla jusqu’à étudier la géologie, pour comprendre la structure de la roche et son enracinement dans le paysage, et la géométrie, pour inscrire les reliefs dans des plans et appréhender au mieux les volumes de la falaise. C’est à travers cette série que l’on peut, également, voir l’évolution du style de Cézanne vers un art impressionniste, peut être précurseur du fauvisme et du cubisme.
De cet acharnement et ces passions résulte un travail délicat et sensible, se voulant la représentation des émotions suscitées par l’observation du paysage provençale. 

Paul Cézanne, Série "Montagne Sainte Victoire", 1885-1887
Nicolas BLUTEAU

Claude MONET : série, la cathédrale de Rouen

Claude Monet, Le Portail, 1893 

Claude Monet, peintre, est un des artistes fondateur de l’impressionnisme. Ce courant consiste cherche à traduire la lumière en couleur et à représenter l’ambiance, l'atmosphère d’un lieu à un moment donné plutôt que de raconter un histoire. C’est ce qu’a fait Claude Monet en 1892 dans la série, « Cathédrale de Rouen » sur laquelle il travaillera deux ans. Cette série est composée d’une trentaine de tableaux. En plus de représenter la même chose, toutes les toiles sont de la même taille. Ici, le principe de ces peintures était de peindre la cathédrale de Rouen à des moments différents de la journée et avec des conditions atmosphériques instables, le matin, le brouillard, la pluie. Grâce à ces changements, chaque peinture est unique, Monet réussie à capter cette ambiance et à la retranscrire. Ce qui l’intéressait n’était pas la cathédrale mais cette lumière différente à chaque moment qui venait sur la façade. L’artiste devait donc se dépêcher avant que la lumière ne change, de figer le temps l’espace d’un instant.
Ces peintures se sont faites sans esquisses ni dessins préparatoires puisque le temps était précieux.
Malgré certains points de vue légèrement différents il a peint la façade de la cathédrale vue de trois quarts sur chacune des toiles. Monet aura réalisé précédemment la série « Les Meules » en 1890 et poursuivra avec « Les Peupliers ». Un axe de travail qui lui aura permis d’étendre son travail et ses thématiques, qui fera de lui près un des artistes les plus reconnus de sa génération.


Claude Monet, Série "La cathédrale de Rouen", 1892-1894
   
Marine GUY

Picasso, variation cubistes en 3D : Les guitares.

Pablo Picasso Guitare, hiver 1912-1913
Picasso est considéré comme le fondateur du cubisme avec Georges Braque. Il est l'un des plus importants artistes du XXeme siècle, tant par ses apports techniques et formels que par ses prises de positions politiques.
Dans sa période cubiste, Picasso veut adapter la représentation du réel à la planéité de la toile. Dans ses peintures, dessins et collages il décompose figures et objets pour les «mettre à plat», réalisant un montage qui combine plusieurs points de vue, plusieurs types de perceptions :volumes simplifiés ouverts sur leurs arêtes, décomposition des volumes en facettes, découpages de la surface par plans successifs, transparence des plans, mise en évidence et schématisation des structures internes.
En 1912, Picasso cherche à transposer ces recherches formelles dans le domaine de la sculpture. Il rompt avec la tradition sculpturale en utilisant la technique de l'assemblage et la construction, en choisissant des matériaux pauvres et en assemblant au sein d'une même sculpture des éléments hétérogènes. Le choix d'un accrochage au mur dans certaines de ses sculptures de guitares est également inhabituel : l'artiste a sans doute voulu reprendre le mode d'accrochage des guitares de collection, tout en cherchant à créer des œuvres à cheval entre le bidimensionnel et le tridimensionnel.
Les Guitares sont les premières applications du cubisme en sculpture. Elles constituent l’introduction de la troisième dimension qui vient perturber la perception du réel. Il ne s’agit plus désormais dans l’œuvre de «représentation» mais de «présentation».

La série des "Guitares", Picasso

Xaioyu TANG


La série photographique de W. Evans : recenser

Walker Evans, Maison Victorienne, 1931
Walter Evans (1903-1975) est aujourd'hui une figure majeure du « style documentaire » en photographie. Sa renommée est surtout due à son travail photographique pour la FSA (Fram security administration). La section photographique de cette organisation a pour but de faire un bilan objectif des conditions de vie et de travail des Américains ruraux. C'est ainsi que Walter Evans va sillonner les routes des Etats-Unis avec l'objectif de dresser un portrait des maisons américaines et de leur habitants. Sa première campagne officielle date de 1930, et a pour sujet des maisons victoriennes menacées de destruction.
C’est donc dans le cadre de la photographie comme reportage social qu’Evans commence ses séries de photographies. Des séries très naturalistes, en noir et blanc, afin d’établir une sorte de distance temporelle, de position surplombante, dès la prise de vue. Chaque architecture est immortalisée avec un réel désir de se détacher du sujet, de lui laisser une existence propre, de faire ressortir les moindres détails. Pour ce faire, le photographe fait le choix d’une lumière rasante, qui permettra de révéler chaque particularité d’un mur ou d’un panneau publicitaire.
On peut donc dire que grâce à ses séries, Walter Evans nous offre sa définition de la photographie documentaire, une photographie rigoureuse, sans prétention, qui trouve sa beauté dans la simplicité voire la pauvreté.
 
Solène GLOUX






Labor Anonymous, Fortune, November 1946
© Walker Evans, Courtesy The Metropolitan Museum of Art, New York

SÉRIE ÉVOLUTIVE 

De l'arbre à l'abstraction

Piet Mondrian, L'arbre rouge, 1909

  
Mondrian a peint une série évolutive d'arbres qui débuta en 1909 et s'acheva en 1917. En prenant en compte son pays natal, il s'inspire d'abord des paysages hollandais et du style graphique de Van Gogh pour créer ses œuvres. Il s'intéresse aux multiples variétés d'arbres qui lui permettent de réaliser un grand nombre d'œuvres.
Sa première œuvre, L'Arbre Rouge en 1909 est figurative. Néanmoins il utilise des couleurs déformant le réel.
Au fur et à mesure, il transformera l'arbre en le simplifiant jusqu’à ce que ce ne soit qu'une représentation transcendantale de celui-ci. On constate alors dans ces œuvres des gestes plus rapides donnant naissance à un jeu rythmique par des courbes, lignes horizontales et verticales. En effet, dans le tableau L'Arbre argenté peint en 1911, Mondrian ne s'intéresse plus à l'imitation de l'image mais à la structure, aux lignes de force de l'arbre en suivant les directions du tronc et des branches. Il le simplifie aussi par son absence de couleur mettant en avant les lignes. Il passera des couleurs représentatives de la vision de l'homme au noir et blanc ou d'autres couleurs que celle de l'arbre ou du ciel. Il voudra ainsi s'affranchir de la figuration comme Kandinsky et Malevich pour aller au-delà du perceptible.

Piet Mondrian, Pommier argenté, 1911

Dans son tableau Pommier en fleur de 1912, les lignes et les couleurs sont de plus en plus autonomes et ne reflètent qu'une image lointaine de l'arbre. Cette série, dont les tableaux sont de plus en plus épurés, reflète un cheminement artistique mais aussi spirituel. Il cherche à transmettre à travers ses œuvres sa vision du monde, sa pensée théosophique. Il est à la recherche d'une seule vérité, d'un fondement commun. Il finira par la représenter par de simples lignes horizontales et verticales inspirées du cubisme.
Piet Mondrian, Pommier en fleur, 1912

Adélie PAYET


Matisse ou la libération de la forme.

Par le biais de deux séries, d’abord sa série sculpturale de Bas-reliefs Nus de dos (1909-1930) puis par ses papiers découpés Nus Bleus (1952), Henri Matisse se présente comme un artiste novateur qui délivre les formes de leur support.
La série Nus de dos est une série de quatre bas-reliefs sculptés représentant une femme nue vue de dos. A plusieurs années d’intervalle, Matisse reprend la même base pour faire évoluer la représentation figurative du corps, proche de l’anatomie du modèle (Nu de Dos I ) à une schématisation abstraite du corps. Celui-ci est alors décomposé qu’en trois parties : l’axe principal (la colonne vertébrale et la tête), la partie gauche et la partie droite du corps. (Nu de dos IV).
Henri Matisse, Nus de dos, 1909-1930

Plus tard, Matisse aborde de la même manière la déstructuration et l’épuration des formes avec des aplats de couleur qu’il dispose sur des feuilles pour les découper par la suite. Il se crée ainsi un répertoire de formes qu’il peut disposer dans l’espace à sa guise. De cette façon il remodèle le corps de la femme tout en lui laissant une émancipation formelle.
Henri Matisse, Nus Bleus, 1952
Dans les deux cas l’artiste vient directement tailler (parfois de façon violente comme c’est le cas pour Nu de dos III ), soit dans le plâtre soit dans le papier, la forme. Il la délivre de son support, la rend plus autonome pour proposer des silhouettes « matissiennes » plus abstraites, dégageant une certaine sérénité. 


Marie MOTTE

LA SÉRIE COMME MÉTHODE CONCEPTUELLE


Sol Lewitt, Incomplete Open Cube

Incomplete open cube, 1973
L’artiste conceptuel américain Sol LeWitt (1928-2007) est connu pour ses dessins muraux mais également pour ses "Structures " en trois dimensions qu'il a développé et décliné. Pour lui l'essentiel d'une œuvre se joue dans sa conceptualisation, et son execution est une tâche mineure. Parmi les nombreuses "sculptures", comme il les appelle, il conçoit en 1973 la série Variations of incomplete open cubes qui est la déclinaison d'une forme de base, le cube, auquel il vient enlever des arrêtes. Formant alors de multiples combinaisons géométriques aussi bien simples que complexes.
A travers son processus créatif, il établit un réseau de volumes en série pour lesquels il met en scène ce potentiel de combinaisons. Par ce travail minimaliste autour de la structure, il redéfinit notre rapport à la sculpture, et propose une nouvelle forme de perception spatiale et mentale de l’œuvre.



Jérome BOISSIERE

Bernd et Hilla Becher, l'objectivité dans la photographie   


Bernd et Hilla Becher, Sculpture anonymes, 1969

Bernd (1931-2007) et Hilla Becher (1934-2015) sont deux photographes allemands connus pour leurs séries de photos de batiments industriels. Le couple a commencer en 1959 à photographier des batiments industriels en utilisant toujours le même procédé bien précis pour avoir des photos quasiment similaires :
⁃ un temps couvert pour éviter une lumière trop forte et permettre de bien voir les volumes
⁃ à bonne distance du batiment pour faire un plan d'ensemble
⁃ à mi-hauteur pour éviter d'avoir une plongée ou une contreplongée sur le sujet
⁃ au format 6x9 cm pour permettre un niveau de détail élevé
Le couple a appliqué rigoureusement cette méthode de photographie toute sa vie, créant ainsi un grand nombre de séries où toutes les photos se ressemblent.
Ces séries de photographies ont un intérêt aussi bien esthétique que documentaire puisqu'elles témoignent des évolutions de l'industrie dans la seconde moitié du XXème siècle. Leur démarche artistique très rigoureuse leur permet d'obtenir des séries très exhaustives, objectives, d'une grande exigence. Cela leur a permis d'obtenir des prix aussi bien dans le monde de la photo (par exemple le prix international de la fondation Hasselblad en 2004) que dans le monde de l'art contemporain (le prix de sculpture de la Biennale de Venise en 1990).
Pierre Yves LASCOLS


Pi un nombre aux multiples facettes


π est un nombre qui fascine de François Morellet (artiste proche de l’art minimal et de la l’abstraction géométrique). Morellet a voulu créer un art expérimental qui s’appuie sur des connaissances scientifiques. Il fera une grande déclinaison de ce nombre infini, durant plusieurs années. Il s’agira de son fil rouge. Chacune de ses œuvres part d’une réflexion mathématique ainsi que de matériaux au préalable choisis. Il met en place un programme (une équations ou encore un système numérique) en rapport avec le chiffre Pi ou plutôt ses décimales, puis construit chacune de ses œuvres. Le choix du nombre Pi n’est pas anodin, il représente des possibilités de combinaisons à la fois simples et multiples.
C’est en 1998 que l’artiste Francois Molleret commence son étude sur le nombre Pi avec Déclinaisons de π -
Ce système est sans fin : il consiste à articuler des segments de droites selon des angles obtenus à partir du nombre π.



« J’ai toujours cherché à réduire au minimum mes décisions subjectives et mon intervention artisanale pour laisser agir librement mes systèmes simples, évidents et de préférence absurdes. »

Delphine MAZIOL 

Série de signes et tracés dupliqués

Bernard Piffaretti, 2014, collection privée
« Duplication » est le mot définissant le travail de Bernard Piffaretti. Chaque tableau fonctionne en effet par binôme puisque le peintre produit sur chacun d’eux, deux moitiés similaires.
Cette méthode soulève de nombreuses questions quant à la réalisation de ces oeuvres. Le spectateur s’interroge sur la question du volontaire et de l’accidentel au niveau des différences entre ces deux parties. Cela nous amène à réfléchir au geste du peintre, sa précision et aux aléas de la peinture avec les coulures ou traces du pinceau par exemple.
Cela induit aussi la question de mémoire lors du tracé puisque Bernard Piffaretti sait qu’il devra le reproduire. La réalisation en elle-même de cette duplication est intéressante de part sa chronologie .

Bernard Piffaretti, 2007, CRAC de Sète

Elise BUNOUF

 

LA QUESTION DU MULTIPLE

Recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire

Les années 60 ; cette décennie prodigieuse, si proche et si lointaine.
Guerre, mode, cinéma, littérature, musique, art, une société de consommation.
Une société qui influence l’art, et de nombreux artistes (Yves Klein, Daniel Spoerri, Nikki de Saint phalle entre autre). Parmi eux, l’artiste Niçois Arman (1928-2005) a marqué l’Histoire de l’Art du XXeme siècle participant au mouvement des Nouveau Réaliste fondé en 1960 par le peintre Yves Klein et le critique d'art Pierre Restany.
Dans le travail d’Arman, on retrouve l’influence de la société des année 60, cette société qui découvre la technologie, la publicité, le plastique, la multiplication des objets, le gaspillage, entre autre, et devient une société plongée dans la consommation,
Ses œuvres jouent sur la notion d'accumulation d’objets (comme des masques, des chaussures, des voitures miniatures, des violons, …).
Arman, Violons et archets
 dans une boite en plexiglas -1961
Arman, durant toute sa vie, a accumulé des objets pour leur donner une nouvelle vie, un nouveau sens. L’artiste nous ouvre les yeux et nous révèle la dimension matérialiste de nos vies. Son oeuvres avance et évolue par série (accumulation, poubelle, portrait, colères, …)
Arman, Ordures et pailles,
poubelle des Halles - 1961

 Anne-Sophie FLORES


L'art en boite - Multiplier - Sérigraphier

Andy Warhol, peintre sérigraphe américain s'est fait mondialement connaître pour ses diverses séries dont celles de Marilyn Monroe et celles des boîtes de soupe Campbell. Cette dernière, une composition se 32 toiles datant de 1962 et représentant des boîtes de soupe de la marque Campbell se montre comme un reflet de la société de consommation américaine de cette époque. Il illustre ainsi la fabrication en série de cet objet alimentaire présent dans la majorité des foyers américains et sérigraphie avec le même châssis les différentes variétés de la gamme dont seul le texte de la saveur change. Lors d'expositions, cette série est disposée en ligne tel le rayonnage d'une étagère de supermarché, suscitant ainsi le questionnement du spectateur sur la nature du projet. Le choix de l'artiste de représenter des objets manufacturés a créé de nombreux débats de la part du public ne sachant quoi penser de cette exposition d objets "si simples".

Andy Warhol, Campbell's Soup Cans, 1962

Gaétan GUILLEMIN


Le multiple à profusion
Allan McCollum, Over Ten Thousand Individual Works,
1987-1988
Depuis 30 années Allan McCollum s'intéresse aux objets, et plus particulièrement à leur signification publique et personnelle dans un contexte de production de masse, en série. Les objets que nous trouvons dans notre quotidien (ou plutôt la quasi totalité de ceux-ci) sont crées par milliers, cette production en série oblige donc quelques contraintes quant à la possibilité de produire des formes variées d'un seul et même objet. L'artiste McCollum repense la question de répétition et de production en série d'une pièce en mettant en scène une très grande quantité d'oeuvres qui, par leurs tailles, leurs couleurs ou également leurs formes sont uniques.
Ses créations imitant le style minimaliste ne sont comparables à aucun autre produit existant, les aplats monochromes sont utilisés afin de leur retirer toute identité.
Il utilise un système combinatoire qu'il a fondé, permettant de générer plus de trente et un milliards de formes différentes, à partir des combinaisons de six groupes d’éléments types. Celui-ci lui permettra donc de relever le défi qu'il s'est fixé: produire 
une série de pièces au même nombre que de personnes sur Terre en 2050, soit 9 milliards d'après une estimation des Nations Unies.

Vincent LAGADOU


Envahissement sériel / Un point dans l'art.

Yayoi Kusuma, Louis Vuitton, 2012

Yayoi Kusama est une artiste japonaise née en 1929. Elle a vécu durant de longues années aux Etats-Unis et vit aujourd'hui dans un hôpital psychiatrique au japon. La majeure partie de ses œuvres est constituée d'une accumulation de pois. Ce motif répété à l'infini provient d'hallucinations d'enfance qu'elle cherche à contrôler à travers son art. Elle développe depuis 60 ans des œuvres en lien avec son état psychologique et ses obsessions. La journaliste Valérie Oddos explique que " les pois seraient apparus alors qu'elle regardait le motif à fleur d'une nappe. L'empreinte serait restée sur sa rétine alors qu'elle regardait le plafond". Elle travaille son motif sur différents supports : toile, sculpture, installation , livre ... Dans l'une de ses œuvres Infinity Mirror Room, elle pousse son motif à l’infini grâce à des miroirs. Kusama utilisera cette technique à plusieurs reprises. L’accumulation est donc pour elle un grand espace de jeu sans limite . Ses œuvres n'en forment qu'une seule, unique et reconnaissable.
Yayoi Kusuma, Fireflies on the Water, 2002


 Pétronille MAICHE




Questionnement sur la temporalité


Kader ATTIA, Ghost, 2009


Kader ATTIA réalise sa première série sur les bancs de l'école, en dessinant des paquets de cigarettes. Le travail de Kader Attia se fait autours du vide et des notions qui s'y rapprochent telle la temporalité, l'absence ou la fragilité du monde. « L’œuvre a toujours été l’idée pour moi de remplir de l’espace avec le vide, que le vide n’est pas uniquement une notion physique et métaphysique. Le vide est aussi existentiel, surtout lorsqu’il fait référence en permanence à la réalité sociale et politique. »(Kader Attia)
Son installation in situ Ghost (2007) est un travail sur une accumulation de personnages creux réalisés en papier aluminium. K.Attia les a moulés sur des corps féminins agenouillés en position de prière. Cette série de sculptures façonnées par le même matériau est une accumulation de corps privés d'identité.
La répétition sérielle d'un corps en creux dans d'un tel matériau montre peut-être la fragilité de la vie humaine.
« Ghost » est un jeu entre la présence d'un corps humain et l'absence de son identité.


Kader ATTIA, Ghost, 2007


Celine VEPA



mercredi 18 novembre 2015

L'art dans la peau

La peau est une surface qui délimite un corps. Elle est souvent le support de signes, de traces, de sens, de motifs qui affirment une identité, une histoire, une singularité. C'est un matériaux sensible sur lequel on peut intervenir de façon éphémère ou définitive.

1960, date clé, c'est la libération sexuelle. Elle a permis au corps humain de devenir un champ d'investigation pour de nombreux artistes contemporains. Cela permet d'explorer un nouveau genre, la performance. Des artistes se mettent eux-même en scène et utilisent leur corps comme matériaux de leurs œuvres. Certaines de leurs propositions peuvent être parfois violentes, critiques, politiques, revendicatrices, expérimentales. Ils mettent en avant la dimension sociale, politique, mécanique, sexuelle du corps qui devient un objet manifeste…

À vous d'en juger..

Anne-Sophie FLORES, Marine GUY


La peau support de motifs, de culture, d'identité

PEUPLES DE L’OMO, LES ARTS PREMIERS DANS LA PEAU



Hans Silvester, série "peuple de l'Omo", 2006

A l’est de l’Ethiopie, dans la vallée de l'Omo, vivent des peuples au mode de vie ancestrale. En effet, ces communautés perpétuent la tradition de peintures corporelles depuis des siècles ; ils font de leurs corps de véritables œuvres d’art. Cette peinture vient de la terre, et accompagnée de pigments végétaux, leur offre 4 couleurs pour élaborer leurs "tableaux vivants" : Rouge, ocre jaune et blanc. Ils dessinent alors du bout des doigts, ou parfois à l’aide d’un bout de bois ou un roseau. Leurs gestes sont spontanés, vifs, rapides, et c’est de ce geste qu’on obtient un mouvement essentiel, originel, qui n’a rien à envier aux grands maitres de la peinture.


Hans Silvester, série "peuple de l'Omo", 2006
Cette tradition permet à chacun de garder son identité, de l’affirmer, de s’exprimer. Le corps est alors le meilleur support pour extérioriser son âme, ses émotions. De plus, souvent, le corps s’enrichit d’une coiffure singulière, qui peut être élaborée à base de végétaux, de plumes ou de tout autre ornement piqué dans les cheveux retenus par de l’huile ou de l’argile. C’est donc toute la nature qui s’invite sur les corps, qui devient parure, qui nourrit cet "art premier". Cependant, cet art, n’est pas simplement destiné à être apprécié par son artiste, en effet, ils peignent pour l’autre, pour partager, pour se montrer, pour déployer leur adresse.
Hans Silvester, série "peuple de l'Omo", 2006
Et c’est ainsi, qu’après chaque bain dans la rivière, ils réinvente de nouveaux tableaux, posent cette encre sur leur peau et laissent libre cours a leur imagination.

Solenne GLOUX




IRINA IONESCO, RENCONTRE INSOLITE AVEC LA MAFIA

Irina Ionesco,Le Japon interdit, 1996


Irina Ionesco est une artiste contemporaine, née en 1935 à Paris et d'origine roumaine. Son œuvre est très célèbre, surtout son travail photographique autour des femmes qu'elle fait poser dans des univers théâtralisés et souvent proche de l'érotisme. Cependant, une des œuvres célèbres de l'artiste est un reportage photographique réalisé en 1996 lors d'un voyage à Tokyo présentant des photos d'hommes. Partie au Pays du soleil levant pour y photographier des Geisha, des Sumo et des modèles japonais, elle aura finalement l'opportunité de rencontrer les membres de la mafia la plus en vogue de la capitale: les Yakuzas. Ceux-ci l'inviteront dans un hôtel luxueux équipé de bains traditionnels japonais où l'on se baigne nus et accepteront de bon cœur de se faire photographier. Ces hommes exposeront alors leurs tatouages à l’artiste et poseront librement une journée durant. Cette rencontre restera pour Irina Ionesco improbable et unique et donnera naissance à un livre présentant les photos prises durant cette journée qui sera édité en 2004 : "Le Japon interdit".

Louise ROUSSIÈRE


LE CORPS COMME MÉDIA D'ABOLITION DES NORMES


Jean-Luc Verna, est né en 1966 à Nice. Il est un dessinateur, sculpteur, photographe, performeur et musicien. Il vit et travaille à Paris maintenant.

Jean-Luc Verna est un artiste polymorphe, sa pratique incluant la photographie, la sculpture, ou encore la performance, et formant un ensemble cohérent « autour du corps, de son propre corps, piercé et maquillé. » Son travail mêle l'histoire de l'art à la musique rock et underground. Siouxsie Sioux, sa muse, a changé sa vie le jour où il la vit pour la première fois à la télévision dans l'émission Mégahertz d'Alain Maneval alors qu’il était adolescent. Depuis 1995 jusqu’a 2013, Il a organisé cinq expositions personnelles intitulées « Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé » à la galerie "Air de Paris". Il a aussi participé à nombre d’expositions collectives avec d'autres artistes contemporains. Son corps est recouvert de tatouages, participant à son œuvre.


Jean-Luc Verna, Dans mes bras, co-production Maison Causse, 2012
Jean-Luc Verna,OK/OKAY, Swiss Institute and Grey Art Gallery, New York, 2005


A mon avis, Jean-Luc Verna est un artiste polymorphe, qui mêle photographie, musique, dessins, tatouage… Son art s'inscrit dans sa vie, dans sa peau. Ses tatouages sont sa caractéristique particulière. Il utilise l’art dans sa peau pour vivre son univers.

Xiaoyu TANG


La peau blessée



BLESSURES, CICATRICES, TRACES DU PASSÉ

Sophie Ristelhueber, Every One#14, 1994

Le travail de Sophie Ristelhueber intitulé Every One s’inscrit parfaitement dans cette thématique de l’art dans la peau. Cette plasticienne et photographe française s’intéresse (dans cette série de 14 clichés en noir et blanc) aux cicatrices.
Les patients d’un hôpital parisien sont ses modèles, mais ce ne sont pas les personnes qui l’intéressent, uniquement leur cicatrice. On ne reconnait en effet pas les patients photographiés puisque Sophie Ristelhueber a pris le parti d’un gros plan avec un cadrage précis de la zone cicatrisée. A travers cette approche, l’intérêt de l’artiste pour les cicatrices apporte une véritable valeur de mémoire des traumatismes, illustre cette trace « indélébile ».
Ses travaux antérieurs davantage axés sur le territoire, sont également orientés autour de la réparation, de la reconstruction. On pourrait donc assimiler ces dos et visages à des paysages ou architectures, ils sont comme une allégorie de la guerre, de ses blessures et de ses cicatrisations.

Sophie Ristelhueber, Every One#8, 1994


Élise BUNOUF


BLOOD SCRIPT, L'OEUVRE ENGAGÉE DE MARY COBLE


Mary Coble, Courtesy Conner Contemporary Art, 2008

Mary Coble est une artiste originaire des États-Unis et qui s'est installée en Suède. Cette artiste féministe produit des œuvres très engagées et les utilise pour dénoncer les injustices de notre société actuelle, principalement les discriminations envers les femmes et les homosexuels. 


Mary Coble, Courtesy Conner Contemporary Art, 2008


Dans cette œuvre intitulée « Blood Script » (que l'on peut traduire par écriture sanglante), l'artiste s'est fait tatouer à l'aide d'une encre invisible 75 insultes sexistes ou homophobes sur la presque totalité de son corps. Après chacun de ces tatouages, elle a soigneusement recueilli l'empreinte de sang qui s'en échappait pour garder une trace de ces écritures. Cette œuvre provocatrice et pouvant choquer certaines personnes a une symbolique très forte. L'artiste étant elle-même homosexuelle, elle a subi de nombreuses fois ces insultes et les a vécus comme une blessure. Elle a donc symbolisé la violence de ces propos homophobes à l'aide de ces tatouages que l'on peut considérer comme des mutilations. Elle garde donc de cette œuvre des cicatrices quasiment invisibles et une série de feuilles marquées de son sang.

Pierre-Yves LASCOLS


PERFORMANCES EXTREME


Chris Burden incarne dans les années 70 la frange la plus extrême du body art, emblème d’une contre culture qui succède d'une décennie l’art minimal… Shoot , réalisé en 1971 dans la galerie d’art de Santa Ana en Californie, est l’une de ses plus étonnantes performances. Il demande à un complice situé à moins de deux mètres de lui tirer dessus au 22 long rifle pour érafler son bras, « Pendant un moment j’étais un sculpture » (ndlr Chris Burden).

Chris Burden, Shoot, 1971


Cette performance fait échos au combat du Vietnam. Il a voulu dépeindre la réalité de la douleur au monde, à une société devenue insensible à la violence montrer dans l’imagerie des médias.

Shoot est qualifiée de polémique, provocatrice, il s’agit d’une performance éclair qui crée une situation d’inconfort pour les spectateurs tiraillés entre l’injonction de prêter assistance à une personne en danger et l’interdiction de toucher des œuvres d’art.

L’idée du danger personnel en tant qu’expression artistique est centrale. En ce prêtant lui même au jeu, il explore la nature de la souffrance en endurant des situations extrêmes.


Chris Burden, Vidéo de la performance Shoot

Delphine MAZIOL



AU-DELÀ DE LA CHAIR


Gina Pane, Action Sentimentale, 1973
Gina Pane, Action Sentimentale, 1973


A la sortie de ses études aux Beaux-Arts de Paris, Gina Pane utilisait pour son art des matériaux traditionnels. Sa peinture et sa sculpture se rapprochaient assez du Suprématisme. C’est seulement quelques années plus tard que l’artiste se lança dans le body-art, les matériaux changèrent, pour devenir objets de blessure aussi bien agressifs qu’enfantins.Gina Pane joua sur ce contraste entre l’agressif et l’agréable, avec l’utilisation de fleurs par exemple (matériau naturel et bénin), comme dans sa performance Action Sentimentale de 1973, où elle mêlait aussi bien l’image douce de la rose à celle de ses épines pour se les planter dans le bras, elle dessinait alors une sorte de tige sur son bras et incisait la paume de sa main à l’aide d’une lame de rasoir afin d’évoquer les pétales.La blessure constitue une part fondamentale de ses actions. Exposer sa chair, son sang, sa matière organique écorchée, c’était exposer ses revendications, faire parler et faire vivre son art.Avec son corps, l’artiste utilise un moyen d’expression qui lui est propre, mais que tout spectateur comprend, sans besoin de connaissances particulières, car ce langage fait aussi appel à son propre corps.
Maxime ROUSSET





TRACÉ D’UN TRAIT LA RÉALITÉ


Santiago Sierra est un artiste espagnol, né à Madrid en 1966. Il vit au Mexique depuis 1998. Ce pays est la source de son inspiration. Il dénonce la mondialisation, les inégalités Nord/Sud dues au capitalisme corrompu et l’exploitation de l’homme par … l’homme.

Santiago Sierra, Ligne de 250 cm, 1999


Santiago Sierra a réalisé en 1999 une ligne de 250 cm tatouée sur le dos de six jeunes cubains de La Havane. Santiago a rémunéré ces jeunes hommes 30$ pour les "marquer". L'artiste souhaitait montrer que cette ligne pouvait être infinie. Ce tatouage aurait donc pu atteindre des milliers et des milliers de kilomètres car la société ne permet pas à ces habitants de vivre mais plutôt de survivre. Pour cela ils sont prêts à se mutiler le corps. Santiago montre ici que les jeunes cubains n’ont pas de limites pour gagner de l’argent. Il justifie sa démarche en disant « Le tatouage n’est pas le problème. Le problème est l’existence de conditions sociales qui me permettent de faire ce travail. » Un an plus tôt il avait réalisé un trait sur le dos d’une personne. Celle-ci n’avait pas de tatouage, n’en désirait pas mais elle le faisait par nécessité. L’artiste la rémunéra 50$. Santiago révèle une société prête à tout pour survivre jusqu’à la mutilation de son corps tout en pôsant des questionnements sur l'éthique de l'art et de l'artiste.

Pétronille MAICHE




La peau revendique, joue, provoque…

L’ART DANS LA PEAU

Marcel Duchamp, avant-gardiste de la performance ?

Marcel Duchamp, tonsure, 1919
C’est dans un acte non-prémédité que Marcel Duchamp ouvre la voie à ce qu’on appelle la performance. 
C’est en 1919 qu’il se laisse photographier par Man Rayn après s’être tondu le crâne pour dessiner dans ses cheveux la forme d'une comète : hommage à la blessure d’Apollinaire ? Geste dada, incité par une infestation de poux ? Rapport à l’œuvre de «l’Enfant-phare » ? Clin d’oeil à l’anticléricalisme? Qui le sait vraiment ?Cette photographie permet de comprendre qu'il est un individu qui a décidé sans le savoir mais en le faisant, de faire de sa vie une œuvre, une performance avant que d'être un artiste au sens traditionnel du terme.

Marine CORRÉ




PEINTURLURAGE DU VISAGE - LARIONOV

Larionov, Le peinturlurage du visage, 1913


« Nous avons lié l'art à la vie. Après un long isolement, nous avons appelé la vie à voix haute et la vie a envahi l'art ; il est temps que l'art envahisse la vie. Le peinturlurage du visage voilà le commencement de cet envahissement... »

Larionov et Zdanévitch manifeste : Pourquoi nous nous peinturlurons. 1913

Mikhail Larionov (Tiraspol 1881-Fontenay-aux-Roses 1964) était un peintre et décorateur d'origine russe. Inventeur du Rayonnisme, avec son épouse Nathalie Gontcharova ils créent en 1912 un nouveau genre pictural, celui de l'illustration d'œuvres poétiques. Un travail où l'écriture et la peinture sont mis en relation tel une libération du mot et de la forme.

L'art populaire fortement présent en Russie à cette époque permet de comprendre cette volonté de faire fusionner l'art et la vie. Les avants-gardes dont Larionov est le précurseur revendiquent le droit d'inclure l'art dans la vie. C'est pour cela que Larionov accompagné de son ami David Bourliouk se sont promenés dans les rues de Moscou le visage barbouillé de peinture. La Peinture peut rendre ambiguë l'identification et les émotions d'une personne. C'est une nouvelle forme de langage.

Céline VÉPA


LE CORPS COMME MEDIA D’ABOLITION DES NORMES

Gunter Brus - Balade, A Vienne, juillet 1965

L’actionnisme Viennois est un courant artistique du XXème siècle, essentiellement orienté vers l’art de la performance. Dans les années 60-70, Otto Muehl (1925-2013), Hermann Nitsch (1938) et Günter Brus (1938), tous trois fondateurs de ce mouvement, sévissent dans l’Autriche bourgeoise et puritaine d’après-guerre, où plane un sentiment de culpabilité causé par la coopération du pays avec l’Allemagne Nazie en 38.

Ces trois artistes utilisaient particulièrement le corps, à la fois comme sujet peintre, ustensile de peinture et objet peint, comme dans l’œuvre de Günter Brus intitulée Promenade à Vienne.

Gunter Brus Balade, A Vienne, juillet 1965


Dans cette performance, l’artiste se peint intégralement en blanc et se dessine une trainée noire, du haut du visage au bas de la jambe droite, avant d’aller déambuler dans les rues de Vienne et de s’y faire verbaliser par le premier policier venu croiser son chemin. Cette œuvre choque particulièrement à une époque où les œuvres ne se trouvent que dans les musées que les activistes comparent à « des cimetières de l’art ». La démarche de Brus consiste à replacer l’art dans le réel, en proposant un médium de peinture inédit – le corps – et en s’exposant publiquement de manière provocatrice, allant ainsi à l’encontre des règles de bienséance conservatrices et étouffantes qui régissent le quotidien de la société Viennoise de l’époque.

Nicolas BLUTEAU




ANNETTE MESSAGER « TRUQUEUSE », OU LA MISE EN SCENE DU CORPS


Annette Messager, La femme est l’homme et La femme et le barbu d’Annette Messager, 1975


Annette Messager, une artiste française contemporaine. Ses œuvres suscitent un mélange d’attraction et répulsion, via des thèmes tels que l’enfance, la fragmentation, la femme dans la société…

Son parcours a la particularité de se décomposer en plusieurs cycles, où elle se présente comme "artiste", puis "collectionneuse", "femme pratique", "truqueuse", et enfin "colporteuse".

En 1975, elle fait éditer un recueil intitulé "La femme et… ", dans lequel on trouve une série de photographies retouchées ou maquillées, où l’artiste met en scène son corps. Elle y fait apparaître des personnages, des éléments internes (un fœtus, son système digestif…) ou externes à son corps (araignées, bijoux…) Elle joue de cette manière avec les stéréotypes associés à la femme et son rapport à l’homme.
Annette Messager, Trophées, 1986
En 1986, elle réalise une nouvelle série: Trophées. Sur des morceaux de corps photographiés et souvent agrandis émerge un monde merveilleux rappelant le monde de l’enfance. On peut y voir un lien entre les lignes de la main, l’histoire de notre vie qui y serait inscrite, et les dessins, narratifs, presque tatouages, poétiques, évoquant des mondes personnels.
Annette Messager, Trophées, 1986


Dans ces photographies retravaillées au fusain et à l’aquarelle, les dimensions, (entre 50 et 100 cm) participent à rendre ces détails anatomiques monumentaux, des fragments d’un tout qui, isolés, nous appellent à les célébrer. D’ailleurs, cette ornementation corporelle n’est pas sans rappeler les tatouages au henné (mehndi) pratiqués par des femmes de façon plus ou moins symbolique.

" Faire de l’art, c’est truquer le réel. "

Marie MOTTE


UNE OREILLE POUR ETRE ECOUTE EN PERMANENCE, STERLAC

Stelarc, Event For Rock Suspension, Tamura Gallery, Tokyo, 11 May 1980


Sterlac est un artiste australien. Il se fait connaître dans les années 70 avec ses performances, où il se suspendait au-dessus du sol à l'aide d'hameçons planté dans sa peau. Puis dans des performances mêlant expérimentations et technologies, portant réflexion sur la question de l’humanoïde, du post-humain, du corps robotiquement assisté. Pour cet artiste, les technologies ne sont pas au service de l'homme, mais c'est à l'homme de se fondre en elles. Le corps humain, qu'il considère obsolète, disparaîtra selon lui au profit d'un vaste réseau de neurones interconnectés.

Sterlac, Extra Ear, 2015

C'est en août dernier qu'il a présenté "Extra ear " un projet sur lequel il travaillait depuis près de 15 ans, à savoir l'implantation d'une troisième oreille dans son bras. Celle-ci a été developpé grâce à une structure en biopolymère implantée par chirurgie. L'idée étant de permettre aux internautes de pouvoir entendre ce que perçoit son oreille, via internet. Il devait pour cela y implanter un micro connecté par bluetooth. Mais malheureusment une infection sérieuse l'a obligé à enlever le micro.


Sterlac, Amplified Body, Laser Eyes & Third Hand, 1986


Jérôme BOISSIÈRE


LA CONSOMMATION DANS LA PEAU


Dietrich Wegner, Cumulous Brand, Sabine Sitting UpInkjet print, 2012

L'artiste australien, Dietrich Wegner, a réalisé en février 2012 une série de photos et de sculptures intitulée "cumulus brand". On y retrouve des bébés recouverts de faux tatouages de grandes marques. Il avait précédemment réalisé d'autres oeuvres autour de l'univers de l'enfant.

Dans cette nouvelle série, il met en avant la place de l'enfant dans la société de consommation et son devenir. Ces œuvres semblent choquantes donnant l'image de vrais tatouages sur des bébés. En effet, se faire tatouer est un acte fort, c'est une marque à vie. Ici, il porte un regard caustique et critique sur la publicité qui envahit notre espace intime dès le plus jeune âge. Il recouvre le corps nu des bébés de grandes marques, notamment pour enfants, telles que "Walt Disney","Lego" afin de montrer l'impact de la surabondance de publicités sur les enfants. Comme le tatouage, la pub nous marque.

En réalité, ce ne sont que des retouches photoshop ou des sculptures en silicone.


Dietrich Wegner, Cumulous Brand, Sabine Sitting UpInkjet print, 2012

En outre, il dénonce cet excès d'informations qui influe sur notre développement individuel et le fait évoluer contre notre gré. L'utilisation des enfants dans les publicités est aussi dénoncée, en les plongeant directement dans une société de consommation dont ils sont victimes. Ici, les enfants sont représentés comme des panneaux publicitaires. La photo ci-dessus montre l'influence qui touche directement les nouveaux-nés en représentant un bébé dans une position foetale.

Adélie PAYET


WIM DELVOYE, DE L 'ART ET DU COCHON

Wim Delvoye, série"Cochon tatoué", 2010


Faire de la peau une œuvre d'art, voilà l'un des objectifs de l'artiste belge Wim Delvoye. Plasticien provocateur, il va élever des cochons dans une ferme afin de les transformer en œuvre d'art. Dès leurs 35 kilogrammes, ces cochons vont passer une fois par semaine chez le tatoueur. Anesthésiés pour ne pas être traumatisés, ils vont vivre et devenir petit à petit une toile vivante jusqu'à l'anniversaire de leur 200kg où ils vont être saignés par un saigneur belge afin de récupérer leur "peau-œuvre-d'art". Cette œuvre peut être présentée comme un trophée de chasse, comme une toile, comme une peau dans un musée ethnographique ou un cabinet de curiosité. L'artiste aime détourner les "savoir faire" populaires (ici, le tatouage) pour leur faire intégrer le champ de l'art contemporain, par des biais souvent ironiques. Ainsi l'artiste réalise son souhait de créer une œuvre qui s'enracine dans la société, une œuvre d'art qui a été vivante. Il poussera son idée jusqu'à faire tatouer un homme vivant qui s'expose de temps en temps dans des galeries.

Gaëtan GUILLAUMIN




VERS UNE NOUVELLE PEAU

Pour Orlan, l’art dans la peau est aussi une attitude, une couverture, une seconde peau.
Entre 1991 et 1993, Orlan subit 9 opérations de chirurgie esthétique, mises en scène et retransmises en public. Ces transformations physiques – dont la pose d'implants protubérants sur les tempes — relèvent d'une décision artistique : Orlan souhaite « se faire une nouvelle image pour faire de nouvelles images, retirer le masque de l'inné et redéfinir le principe même de l'identité ». Elle considère ses transformations physiques comme un nouveau souffle et de nouvelles possibilités de création avec son image. 

L’art lui colle à la peau.
© Orlan

© Orlan
Vincent LAGADOU