Le miroir
Défini comme une surface de verre ou de métal polie, le miroir réfléchit grâce aux rayons lumineux l’image d’un objet. Manifestation physique pouvant naître d’un phénomène naturel et artificiel, il offre également une très grande potentialité esthétique et artistique.
Qu’on l’exploite pour ses propriétés physiques de réfraction ou que l’on analyse l’impact profond qu’il opère sur la perception, le miroir par ses reflets est une source d’inspiration et un matériau extraordinaire pour les artistes.
Louise PEYON & Pauline OGER
Une mise en abîme
Désir voyeur insatiable
René Magritte - Liaison dangereuse - 1935
Liaison dangereuse - René Magritte - (1963) |
L’artiste Belge n’arrêtera donc jamais de nous surprendre. En 1935 il peint Liaison dangereuse. Au premier regard cette œuvre est déconcertante, on comprend mal le lien avec le titre choisi. Magritte avoue qu’il bouleverse notre analyse des œuvres en choisissant un titre évocateur mais qui ne les explique pas. Ainsi chacun cherche sa propre interprétation.
Déconcertante de part le titre choisi donc mais également par l'image proposée puisque l’on cherche à savoir comment un tel reflet est possible. Cette femme est mystérieuse, on aperçoit seulement le haut de sa tête. On espère que le reflet dans le miroir va nous dévoiler plus mais il n’en est rien, et le spectateur ressent alors un désir voyeur inassouvi.
Cette peinture évoque à la fois la pudeur, grâce à une nudité seulement à moitié dévoilée, mais également l’image que l’on a de la femme et que les femmes ont d’elles mêmes.
La précision des courbes parfaites de cette étrangère est absorbante, on ne saurait dire si elle a honte de son corps ou si elle accroît le désir de l’observateur qui n’attends qu’une chose: de voir cette face cachée. Un paradoxe de l’intuition humaine qui laisse donc à réfléchir : l’endroit montre l’envers.
Il est aussi possible qu’il y ait en fait deux femmes dans ce tableau. L’une tenant le miroir face à nous et l’autre cachant son corps avec ses bras (il est donc impossible que le reflet soit celui de la femme qui tient le miroir). Serait-ce possible que ce tableau représente la pudeur d’un spectateur face à une œuvre d’art ? Peut-être n’osera-t il jamais avouer un désir malsain face à une peinture qui met en abîme un corps parfait ?
Hermeline DUCHEMIN
Miroir sélectif
Jean-Auguste-Dominique Ingres - Madame de Senonnes - (1814)
Jean-Auguste-Dominique Ingres, Madame de Sennones, 1814,
huile sur toile 106 x 84 cm© Musée des beaux-arts, Nantes
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Cette œuvre est une huile sur toile du peintre Jean-Dominique Ingres réalisée en 1814, appartenant à la collection du musée des Beaux Arts de Nantes. Le portrait de Madame de Senonnes fut commandé par son mari le vicomte de Senonnes. Ingres réside alors à Rome et est très recherché pour ses portraits. Cette œuvre représente la comtesse. Elle doit avoir avoir une trentaine d’année. Assise, elle regarde le spectateur, un miroir est située derrière elle. On remarque une réelle application pour le rendu des matières, le velours et l’aspect satiné des étoffes semble plus vrai que nature. Madame de Senonnes est vêtue richement avec une robe de velours, des colliers, bagues et dentelle, ce qui souligne son rang dans la société. Au premier abord le tableau semble réaliste le rendu des matériaux. Pourtant cette scène est idéalisée. Ingres dessine la silhouette de cette femme avec un buste plus petit qu’il ne devrait l’être mais surtout un bras rallongé , il simplifie les formes comme son visage qui devient un ovale. Cette idéalisation permet de créer une belle ligne serpentine élégante. Cette importance pour la ligne est de toute évidence inspiré par le peintre de la renaissance Raphaël. Le jeu du miroir est aussi un aspect important du tableau, puisqu’il ne reflète pas la vérité mais seulement une partie de madame de Senonnes alors que le peintre devrait aussi apparaître. Ingres a aussi peint en trompe l’œil un billet glissé dans le cadre du miroir, dessus est écrit : « Ing Roma », ce qui prouve son intérêt pour le peintre nordique Van Eyck qui dans son œuvre Les époux Arnolfini a aussi glissé sa signature dans le miroir situé derrière les deux personnages.
Pauline LERICHE
Tels des rois et reines
Diego Velàzquez - Oleo sobre lienzo - (1656)
Diego Velázquez 1656, óleo sobre lienzo, 381 x 276 cm. Photograph © Museo Nacional del Prado, Madrid |
L’œuvre “Las Meninas” du peintre espagnol Diego Velázquez a été peinte en 1656. C’est un portrait de l’Infanta Margarita, fille du Roi Philippe IV et de sa deuxième épouse, Mariana d’Autriche. Le titre “Las Meninas” veut dire “les dames d’honneur” en espagnol. L’œuvre est connue pour sa composition complexe et énigmatique.
Le peintre espagnol Diego Velázquez (1599-1660) a été embauché à l'âge de 25 ans par le roi d’Espagne Philippe IV et est vite devenu le peintre préféré du roi. Le roi lui a donné la Pieza Principal (“pièce principal”) du palais pour son studio. C’est ici que Velazquez a peint “Las Meninas”. Le roi avait sa propre chaise dans le studio et venait souvent s’asseoir pour regarder l’artiste travailler.
La scène représente des membres de la cour regroupés autour de l’Infanta Margarita. La petite fille au milieu de la scène est Margarita. Elle est entourée de deux servantes de la reine : María Agustina Sarmiento et Isabel de Velasco. On y voit également l’artiste lui-même en train de travailler sur une grande toile et deux nains, Mari Bárbola et Nicolasito Pertusato. L’un est en train de provoquer un chien en lui donnant un coup de pied. À l'arrière de la salle, on voit la dame d’honneur Marcela de Ulloa à côté d’une suivante. À l'arrière plan une porte s’ouvre sur un escalier où le chambellan José Nieto semble attendre. Dans le miroir, au fond de la salle, on voit les reflets du Prince IV et Mariana d’Autriche, les parents de l’Infanta, observant la scène.
Le spectateur se trouve à la place du roi et de la reine. On pose avec patience pour notre portrait et le peintre nous observe. L’image est grande et paradoxale, montrant non seulement le roi, la reine et la cour devant eux. L’œuvre est donc révolutionnaire puisque Velazquez arrive à nous montrer plusieurs points de vue : celui de la cour, du peintre, et de la monarchie. Cela donne l’opportunité aux spectateurs d’interagir avec les différents points de vue, et de s'interroger sur les dispositifs mis en place par l'artiste.
Elise CUGNART
Le spectateur voit double
Édouard Manet - Un bar aux Folies Bergère - (1882)
Un bar aux Folies Bergère - Édouard Manet - 1882 - Huile sur toile (96 × 130 cm) - The Courtauld Institute of Art |
Dans "Un bar aux Folies Bergères " Édouard Manet met la vision du spectateur à rude épreuve. A première vue, on croit à une scène banale d’un bar avec en arrière plan un miroir reflétant l’envers du décor. Mais en regardant de plus près, on aperçoit très bien que plusieurs éléments diffèrent entre le premier plan et son reflet. Dans le miroir, les bouteilles sont beaucoup plus éloignées de la femme qu’en réalité, de plus, la posture de la serveuse à l’air différente. On se demande d'où sort l’homme en haut à droite du tableau présent dans le reflet ? Ainsi, la vision réelle et la vision reflétée, qui ne devaient à l’origine faire qu’un, se scindent en deux. Cette "erreur" de construction de la part de l’artiste décrédibilise totalement son travail pour tout spectateur lambda. Pourtant, si on n’y attache un peu plus d’attention, la composition en pyramide du tableau nous guide directement vers les yeux de Suzon, la serveuse utilisée comme modèle par Manet. Elle est la clé de compréhension du tableau. Sa posture ainsi que la profondeur de son regard en disent long sur elle: elle est ailleurs, elle rêvasse dirais-je même. Mais elle n’est pas perdue, en tout cas son regard ne l’est pas. Elle observe la foule mais également quelque chose qui s’en détache et qui, par ailleurs, se détache également du tableau: la femme vêtue de blanc. Cette personne est un symbole de réussite, d’élégance, elle capte l’attention de Suzon mais également de plusieurs personnes dans le public. Un parallèle peut alors être créé entre ces deux femmes. Quel est l’objet le plus luxueux que Suzon détient en tant que barmaid? Le champagne, je vous l’accorde. Bizarrement, cette bouteille reprend quasiment les mêmes codes chromatiques que les habits de la riche demoiselle. C’est alors, avec la plus grande logique, que de ce tableau émerge un parallèle entre la réalité et son reflet. Cette fois-ci, le miroir est utilisé de manière à créer un univers onirique voir utopique autour du personnage principal qu’est Suzon. Mais si on se réfère au côté droit du miroir, c’est également un objet révélateur qui, grâce à l’homme: le client, ramène Suzon à la réalité et à sa position de serveuse. Le miroir délivre un regard différent sur Suzon, mais dans ce tableau, les yeux sont bel et bien le reflet de l’âme.
Julien COUGNAUD
Un nouvel espace à travers la sorcière
Jan Van Eyck - Les époux Arnolfini - (1434)
Jan Van Eyck - Les époux Arnolfini - |
C'est en 1434, que Jan Van Eyck termine sa fameuse huile sur panneau de bois exposée aujourd'hui à la National Gallery de Londres. Elle n'est autre qu'un parfait exemple de la peinture flamande du XVème siècles et se nomme Les époux Arnolfini. Ce tableau a suscité bon nombre de théories par rapport au contenu de son immanquable miroir convexe. « Sorcières » est le nom qu'on donnait à ces miroirs très répandus dans les foyers flamands de l'époque. En effet, ces miroirs permettaient d’accroître l'éclairage de la pièce quand on les plaçait en face de la fenêtre.
C'est par le biais de ce petit objet que le peintre révèle un nouvel espace qui était jusque là inaccessible au spectateur voire invisible. Jan Van Eyck nous offre ainsi un nouveau point de vue et s'affranchit des limites de la représentation. On voit ainsi une autre facette de ce supposé mariage. Dans ce miroir, derrière le couple, on devine un autre binôme, deux silhouettes humaines. Serait-ce le peintre et un de ses apprentis? Sa femme et lui ? Un autre témoin ? Ou encore son frère ? Les théories fusent. Cependant, la signature du peintre au dessus du miroir peut nous confirmer qu'il s'agit bel et bien de ce dernier. Effectivement, il y est inscrit « Johannes de eyck fuit hic. 1434 » qui traduit signifie « Jan Van Eyck était là, 1434 ». Le verbe utilisé n'est pas « faire », traditionnellement utilisé, mais bien « être », comme si le peintre insistait plus sur le fait d'avoir été témoin de l'événement, à savoir le mariage des Arnolfini, que sur son acte d'artiste.
Finalement, ces quelques millimètres carrés, permettent d'apprécier une tout autre vision de ce chef-d’œuvre flamand sans toutefois révéler l'intégralité du contexte de cet événement.
Marion BERNARDI
Marion BERNARDI
Quand le miroir s'installe
Infinie féérie Yayoi Kusama -The Soul of Millions of Light Years Away - (2013)
Yayoi Kunama, The Soul of Millions of Light Years Away |
The Souls of Millions of Light Years Away créée par Yayoi Kusama en 2013, est une installation aussi déroutante que féérique. Le sol de la pièce est recouvert d’un miroir d’eau, les murs et le plafond de miroirs. L’ensemble donnant l’illusion d’un espace sans fin seulement brisé par des points de lumière dans la pénombre. Des centaines de petites lumières de toutes les couleurs pendent du plafond et se répandent à l’infini créant un espace cosmique.
Un par un, les visiteurs entrent dans cette pièce pour y découvrir un lieu surprenant et des combinaisons de couleurs variées créant ainsi des atmosphères différentes. Le visiteur y reste seul, 45 secondes, juste le temps d’expérimenter les jeux de lumière et l’infini. Cette installation fait partie d’une série appelée “Infinity Mirrored Room” qui peut être vue comme l’expression de l’intérêt qu’à Yayoi Kusama pour l'infini et la vision sans fin. L’installation de Los Angeles au Broad museum a même servi à la chanteuse anglaise Adele pour filmer une de ses performances de sa chanson “When we were young”. Le film a été présenté aux BRIT Awards 2016. Elle décrit son expérience: “J’ai senti qu’en restant dans cette pièce pendant une heure, j’ai vu des choses en moi et de moi que je n’avais encore jamais remarquées.”
Constance RONDEAU
Manipuler la réflexion
Felice Varini - Carré au sol aux quatre ellipses, bleu n°1 - (1992)
"Carré au sol aux quatre ellipses, bleu n°1" est une œuvre exposée au Château d'Oiron (Deux-Sèvres) réalisée en 1992 par Félice Varini.
Felice Varini (© Adagp, Paris) photographe : Annie Molinet |
Si le point de vue dans lequel l'oeuvre prend tout son sens est important pour Varini, son travail prend son intérêt dans l'infinité des points de vue possibles qui déclinent les lignes et les formes de ses installations.
Varini est passé par le Château d'Oiron. Ce château appartenant à l’Etat a été érigé aux XVI et XVII siècles et est classé monument historique depuis 1923 et est devenu un centre d'art depuis 1989. C'est en mémoire d'un ancien propriétaire du château proche de la cour du roi Claude Gouffier, aussi collectionneur d'art que s'est installée la collection d'art contemporain "Curios et mirabilla" (curiosités et merveille). Cette collection permet un dialogue entre le patrimoine historique et artistique et l'art contemporain et regroupe de nombreux artistes internationaux tels que Daniel Spoerri avec "Corps en morceaux", Sol Lewitt avec "Wall Drawing #752", Christian Boltanski avec "Les écoliers d'Oiron" ou encore Raoul Marek avec "La salle à manger". Avec Carré au sol aux quatre ellipses, bleu n°1 Varini est fidèle à ses habitudes. En effet, il installe dans "le couloir des illusions", un lieu de passage obligatoire dans la visite du château, des lignes bleues peintes à l'acrylique sur les murs, les plafonds et les fenêtres du château en suivant son architecture. Cette oeuvre serait incompréhensible sans la présence du miroir carré posé sur le sol, qui, depuis les escaliers au bout du couloir vient réunir ses lignes aléatoires pour finalement former un cercle bleu parfait. Le miroir donne du sens à l'œuvre. Mais si le miroir reflète souvent la réalité, il vient ici la modifier complètement et nous amène à nous poser cette question: vois-je la réalité ou est-ce seulement une illusion ?
À ciel ouvert Anish Kapoor - Sky Mirror - (année)
Sky Mirror est une sculpture publique de l'artiste Anish Kapoor. Commandée par le Nottingham Playhouse à l'artiste. Il est installée en face du théâtre de Wellington Circus à Nottingham, en Angleterre. Le miroir de ciel est un cercle concave de six mètres de large d'acier inoxydable poli, pesant dix tonnes et incliné vers le ciel. Sa surface reflète l'environnement en constante évolution. Sky Mirror trouve cependant quelques ressemblances avec le récit d’Alice au pays des merveilles. Ce miroir crée un trou vers un autre monde tout comme le tunnel qu’emprunte Alice vers le pays des merveilles. Ce miroir est une porte pour découvrir les autres mondes ou bien pour explorer notre monde différemment, ouvrant une nouvelle fenêtre et un nouveau point de vue. En effet, au quotidien on ne regarde pas avec attention ce qu’il se passe autour de nous, puisque cela devient une routine banale d’observer le ciel, les bâtiments, et les arbres. Mais, lorsqu’on inverse les objets de notre quotidien, il s’opère une rupture de la banalité. Par conséquent, on commence à réfléchir. Donnant alors au public le courage de tenter de nouvelles choses. Robert Ayers disait que ceci était une étape importante pour placer la ville en tant que centre d'art contemporain. Donnant l’idée que d'autres choses pouvaient être faites par des artistes et avec la communauté. Kapoor se concentre sur les propriétés actives et transformatrices des matériaux qu'il utilise. «Je m'intéresse vraiment au “non-objet” ou au “non-matériel”. J'ai fait des objets dans lesquels les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être à première vue: une pierre peut perdre son poids ou un objet miroité peut se camoufler dans son environnement pour apparaître comme un trou dans l'espace » Anish Kapoor. Des œuvres comme Turning the World Inside Out (1995) à la massive sculpture de 125 tonnes Cloud Gate (2004) dans le Millennium Park de Chicago, les sculptures réfléchissantes de Kapoor engagent directement le public, fusionnant l'objet, le spectateur et l'environnement en une seule entité physique, en constante évolution. Il inverse le monde; fait descendre le ciel sur la terre et inversement. On voit alors un monde utopique aux travers d’éléments réels. La réalité du monde réel n’est pas la même chose que la réalité. La chose qu'il reflète dépend de l'objet et de la personne.
Irmak OSKAN
Changement d'échelle
Dan Graham - Les miroirs des îles Lofoten - (année)
Dan Graham est un artiste américain. Son art est qualifié d’art conceptuel. La plupart de ses œuvres architectoniques sont constituées de verres, de miroirs. Il combine les techniques pour multiplier les perspectives et les points de vue dans ses installations, et met en scène divers effets: jeux de reflets et de transparence, de réfraction, ou encore de mise en abîme.
C’est en Norvège, sur les îles Lofoten, un petit archipel d’îles constitué de montagnes escarpées et de baies découpées, que Dan Graham a installé, à la fin des années 1990, de très grands pavillons de miroirs, dans lesquels se reflètent le paysage. Au premier regard, on aperçoit des montagnes mais en réalité il s’agit de l’environnement alentour que l’on voit à travers des panneaux de verre, un trompe l’oeil aussi magnifique que surprenant. La hauteur des parois domine largement le spectateur, l’oeuvre étant toujours à échelle humaine permettant de nous immerger totalement. Dans son travail, il cherche avant tout à comprendre la place que prend le spectateur dans son propre environnement. Il s’agit d’un travail de réflexion portant sur le reflet de ce qui nous entoure mis en abîme par l’objet miroir.
L’oeuvre perdue au bord de la mer Norvégienne reflète parfaitement la splendeur du lieu. Elle intègre le paysage dans le paysage, déboussolant totalement le spectateur.
Amélie PERON
Quand le miroir disparaît au profit de l'oeuvre
Refle(x)ion Kurt Schwitters - Merz - (1920-1922)
« On peut aussi créer avec des ordures, et c'est ce que je fis en collant et clouant. J'appelais cela Merz, mais c'était ma prière au sortir victorieux de la guerre, car une fois de plus la paix avait triomphé. De toute façon, tout était fichu, et il s'agissait de construire des choses nouvelles à partir des débris. » - Kurt Schwitters
Nous sommes le lendemain de la première Guerre Mondiale, en Allemagne, une Allemagne ravagée et détruite. Alors que les Dadaïstes et nouveaux Objectivistes se révoltent et crient à l’anarchie, Kurt Schwitter, lui, crée Merz. C’est à Hanovre, sa ville natale que l’artiste commence le travail de toute sa vie résumable en ce seul mot, issu de Kommerz Bank. Schwitters n’est pas un révolutionnaire, ni un anarchiste, en fait, il n’a pas vraiment d’opinion politique, du moins pas à travers son oeuvre. L’artiste est une sorte d’inventeur, un expérimentateur. Il se balade dans les rues et ramasse ça et là les débris d’une ville détruite pour les assembler et les coller ensemble. Il reconstruit symboliquement un pays détruit..
Kurt Schwitters, Untitled (Assemblage on Hand Mirror), 1920-1922, assemblage, huile sur miroir cloué sur une toile, Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris ©Adagp, Paris |
En 1920, il offre à Hannah Höch l’Assemblage sur miroir à main, dont la face réfléchissante est recouverte de débris. Ce miroir ne reflète pas son utilisateur mais une époque qui mérite selon l’artiste d’être mise en avant et de rester dans les mémoires de tous. Ce miroir est un bon symbole de Merz : un assemblage de débris qui, libéré de revendications politiques, revêt un caractère poétique doublé en l'occurrence de romantisme, le miroir étant destiné à une femme aimée. C’est une autre caractéristique de l’art Merz, il n’est pas destiné à une élite intellectuelle éclairée mais s’adresse directement au peuple. Un art accessible, poétique, et novateur…
Tassia KONSTANTIDINIS
Tassia KONSTANTIDINIS
Bipolarité Pablo Picasso - Jeune fille devant un miroir- (1932)
“S’il y avait une seule vérité, on ne pourrait pas faire cent toiles sur le même thème.”
Pablo Picasso -
Pablo Picasso -
Picasso, marié depuis 1918 à Olga Khokhlova, rencontre près des Galeries Lafayette, la jeune Marie-Thérèse Walter dont la mère est modiste dans le quartier. Cette première rencontre a lieu officiellement en 1931 mais date en réalité de 1926, comme l'indiquent de nombreuses œuvres de l'artiste de cette année-là, alors qu'elle est encore mineure. Marie-Thérèse deviendra une passion calme pour Picasso, qui en fera son modèle et son égérie durant une dizaine d'années, au cours de ses périodes du cubisme synthétique et du néo-classicisme.
Couleurs et érotisme dominent les toiles qui représentent Marie-Thérèse. « Jeune fille devant un miroir », qui date de 1932, en est peut-être l’apogée. Son profil lavande rose lisse sur fond blanc, semble serein. Mais il se dédouble en un autre portrait : un croissant de lune intense et jaune dessine la peau de Marie-Thérèse maquillée avec du rouge à lèvres et du fard à paupière vert. La peinture suggère à la fois le jour et la nuit de Marie-Thérèse, la transition d'une jeune fille innocente à une femme mondaine consciente de sa sexualité. Le tableau propose une variante de la vanité, la jeune femme réfléchit une figure mortelle dans son miroir. En effet, son visage est obscurci, ses yeux sont ronds et creux, son corps est tordu et difforme. Elle semble plus âgée et plus anxieuse. Le papier peint en losanges rappelle le costume d'Arlequin, le personnage comique de la commedia del arte avec lequel Picasso s’identifiait souvent. Il présente un témoin silencieux des transformations psychiques et physiques de la jeune fille. Le problème de "vision totale" à laquelle, depuis le cubisme, Picasso prétend, ne passe pas chez lui par la solution du miroir. Il l’essaye, il la renie. Le miroir est sans intérêt pour la peinture: il ne renvoie que la vision renaissante du tableau : une surface plane qui ne reflète que la face visible des choses. Picasso est un sculpteur. Un sculpteur d’espace. Le tableau doit mettre en évidence un espace tel que les objets y soient perceptibles de toutes parts. Le miroir ne renvoie rien, ou bien le plat reflet d’une réalité qui y perd sa substance. Mathis JAGOREL
Prudence Tombeau de François II de Bretagne
A un des angles du tombeau, on peut voir un personnage dont la tête est conçue de 2 faces. D’un côté se trouve une figure allégorique élevant un miroir de sa main gauche en se regardant dedans. On peut considérer que la jeune femme observe ses propres pensées pour mieux les contrôler et mieux apprendre à se connaître. Ce miroir symbolise la mesure et non la vanité. Le vieillard de l’autre côté de sa tête, symbolise un regard permanent vers l’arrière. C’est un capteur de conseils et de sagesse propre à l’âge avancé.
Camille METAYER
Reflet d'une réalité
Dangereuse attirance Le Caravage - La contemplation, ou Narcisse - (1599)
Le caravane, Narcisse, 1598-1599, Huile sur toile, 110 x 92 cm |
Un jeune homme, surgissant de l'obscurité, agenouillé au bord de l'eau, les mains au sol, captivé par le reflet de son visage miroité à la surface. A travers cette peinture de 1599, Caravage illustre la scène la plus symbolique du mythe de Narcisse, tout droit sorti des Métamorphoses d'Ovide et de la mythologie grecque. Narcisse était un jeune homme qui serait tombé amoureux de son reflet dans l'eau au point d'en mourir.
Ce mythe est à l'origine de l'adjectif narcissique, mis en avant jusqu'aux plus petits détails du tableau. La courbe formée par le corps de Narcisse et de celui de son reflet forme un cercle refermant l'attention exclusive portée au personnage. Ce cercle revient à un monde où tout tourne autour de lui, il se désire, s'admire : il est à la fois l'amant et l'objet aimé.
Une ligne sépare l'eau de la terre, deux univers parallèles. C'est une coupure entre l'imaginaire et la réalité. Narcisse vénère une illusion, il est irrésistiblement attiré par ce visage si désirable. Plus rien n'existe autour d'eux, le silence semble régner. Toute l'intensité de l'attention, de l'attente est là.
Ce tableau reflète la scène particulièrement intense et dramatique d'un amour illusoire, impossible, renforcée par le puissant clair-obscur caractéristique du peintre Caravage.
Clara CHANTELOUP
Interaction carcérale
Michelangelo Pistoletto - Gabbia - (1973)
Michelangelo Pistoletto, Gabbia, 1962-1973, sérigraphie sur acier inox poli, 230 x 500 cm © Cittadellarte-Fondazione Pistoletto, Biella |
Michelangelo Pistoletto est un artiste contemporain Italien co-fondateur du mouvement Arte Povera. Seulement, on retiendra que Michelangelo Pistoletto utilise souvent le miroir comme support et matériau dans bon nombre de productions. C’est le cas avec Gabbia, une sérigraphie sur miroir créée en 1973.
Gabbia (1973) s’inscrit dans un ensemble de productions mené par l’artiste sur le thème de la cage et de l’enfermement (Scimmia in gabbia, Gabbia per grilli, etc…). Sur cette sérigraphie, on peut distinguer au premier plan un ensemble de barreaux semblant représenter une grande geôle de prison. Ces barreaux métalliques s’étendent sur plusieurs mètres. Juste derrière, on peut voir un homme semblant balayer le sol dans une grande salle qui est le reflet dans de la pièce dans lequel se trouve le spectateur. C’est un travail vraiment intéressant et troublant car, visuellement, on apprécie une image créée à partir d’éléments reflétés et sérigraphiques. Bien qu’il utilise des éléments en deux dimensions posés sur des miroirs, la réflexion amène une perspective et rend cohérente le travail de sérigraphie. C’est une projection à travers une autre pièce des plus convaincantes car ici il ne s’agit pas d’une photo ou bien d’une peinture (quel que soit sa qualité de réalisation) mais d'un jeu complexe entre l'image, le reflet et la réalité. Le spectateur peut vraiment se sentir immergé quand il observe cette œuvre car il peut se voir à l'intérieur. Celui-ci va en quelque sorte compléter le travail de Michelangelo Pistoletto et ainsi ne plus être simplement observateur mais acteur pendant l’exposition.
Cette utilisation du miroir est intelligente et permet de raconter à la fois une histoire mais aussi de rendre son contenu interactif avec le reflet de l’environnement dans lequel il est placé.
Jules LEROUGE
Déformation physique
Maurits Cornelis Escher - Main tenant un miroir sphérique - (1935)
Main tenant un miroir sphérique, est un autoportrait en lithographie de Maurits Cornelis Escher, imprimé pour la première fois en janvier 1935. Né en Hollande tout comme Van Eyck avant lui, il a hérité de l’attrait flamand pour la représentation de l’espace, des arts décoratifs et des miroirs convexes.
Main tenant un miroir sphérique, 1935, M.C. Escher, lithographie 31 x 21 cm |
De nombreux travaux d'Escher témoignent de sa maîtrise des lois de la perspective dites “classiques”. Il explorera également d'autres types de représentation de l'objet dans l'espace bien plus complexes, qui font de lui l’un des artistes les plus appréciés des mathématiciens.
Jason CHAPRONLe mobilier au rang d’œuvre
Le fauteuil dit Little heavy est une œuvre créée par Ron ARAD en 1989. Le résultat : un fauteuil en acier poli miroir sobrement intitulé Little heavy. Little? Pas tant que ça, puisqu'il est composé entièrement d'acier. Son poids est donc non négligeable ce qui l’empêche d’être facilement transporté. Cette assise semble à la fois légère et imposante. En effet, tout comme le miroir, on assimile souvent le fauteuil à l’orgueil, tel le trône sur lequel s'assoit le roi. Little heavy est-il un objet symbolisant l'orgueil ? Miroir, mon beau miroir…
Quentin CADERO
savez que ce fauteuil coûte 39000€ !!! l'art coûte cher de nos jours.
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