mercredi 6 décembre 2017

"PAUL GAUGUIN, L'alchimiste"

"PAUL GAUGUIN, L'alchimiste"
Gauguin l'alchimiste - Affiche de l'exposition au Grand Palais
Paul Gauguin (1848-1903) est l’un des peintres français majeurs du XIXe siècle et l’un des plus importants précurseurs de l’art moderne. A travers la peinture, le dessin, la gravure, la sculpture, la céramique, les arts graphiques et décoratifs, Gauguin n’a cessé d’expérimenter la matière sous les formes les plus diverses et de repousser ses limites.
Aprés de récentes rétropectives, à la Tate Modern de Londres, en 2010, et à la Fondation Beyeler à Bâle en 2015 , Le Grand Palais a choisi de rendre homage à ce précurseur de l’art moderne, proposant une grande rétrospective sous le nom de « Gauguin l’alchimiste» du 11 octobre 2017 au 22 janvier 2018. Gauguin était un homme très physique, il malaxait et expérimentait toutes les matières (peinture, bois, céramique),travaillait différentes techniques (gravure, peinture, dessin, sculpture, estampe…) "Gauguin l’alchimiste" cherche l’or avec "un peu de boue, et pas mal de génie".
Pour la toute première fois, L'exposition du Grand Palais met en avant l'énergie créatrice et transformatrice de l'artiste permettant ainsi de le suivre dans son rêve d’un monde original et idéal.
Cette exposition propose d’explorer la capacité de Gauguin à récuperer, transformer et sublimer les matériaux : on saisit aussi sa volonté de décloisonner de casser les frontière entre l'art, l'artisanat, la vie… Si ses œuvres picturales sont connues, ses autres approches sont quant à elles moins regardées.
Enfin, l’exposition permet de découvrir la « Maison du Jouir », sa dernière demeure, qu’il construisit aux Marquises. L’atelier est reconstitué grâce à un hologramme spectaculaire et précieusement documenté.
L’exposition "Gauguin, l’alchimiste" met en lumière son «bibelotage» en donnant des clés sur ses processus créatifs. Le spectateur suit un beau parcours qui lui permet de découvrir l’univers d'un artiste exceptionnel grâce aux 55 peintures, 30 céramiques, 30 sculpture, 15 object en bois gravés, 60 estampes et 35 dessins. C’est presque à en perdre la tête!

Lucile Artignan & Jeanne Perrine

L'homme

Un personnage haut en couleur

Eugène Henri, plus connu sous le nom de Paul Gauguin, est l’un des peintres français majeurs du XIXe siècle et l’un des plus importants précurseurs de l’art moderne.
Paul Gauguin, Autoportrait peint en 1893 

Gauguin naît en 1848 à Paris et passe son enfance au Pérou. Il fait ses études à Paris puis s’engage dans la marine marchande française pendant six ans. A son retour en 1870, Gauguin s’installe à Paris où Il mène une vie bourgeoise et confortable en tant qu’agent de change avec son épouse et leurs cinq enfants. Mais cette vie tranquille ne lui convient pas.
En 1874, son tuteur, Gustave Arosa, lui fait découvrir des artistes impressionnistes. Il rencontre des peintres tels que Camille Pissarro et commence à peindre ses toiles qu’il exposera plusieurs fois avec les impressionnistes. C’est la révélation. Sa nouvelle passion le pousse à quitter son emploi à la bourse en 1882 et à partir à Copenhague dans la famille de son épouse. N’ayant pas les moyens de subvenir à leurs besoins, il revient finalement en France pour peindre seul, sans attache.
Entre 1886 et 1891, Gauguin vit principalement en Bretagne où il est au centre d’un groupe de peintres expérimentaux appelé l’Ecole de Pont-Aven. Sous s’influence d’Emile Bernard, le style de Gauguin évolue. Il développe le synthétisme, dans le courant du symbolisme et y peint une de ses œuvres majeures "La Vision après le sermon" en 1888. Sa peinture se caractérise par l’expressivité des couleurs, leur éclat, la recherche d'une autre perspective et l’utilisation de formes pleines et volumineuses.
Gauguin est fortement inspiré par l’art indigène, les vitraux médiévaux et les estampes japonaises. Son séjour avec Van Gogh à Arles est un désastre pour les deux peintres dont les styles et les positionnements picturaux s’opposent. Gauguin tente de se suicide…
C’est en 1891 qu’il part pour la Polynésie pour fuir la civilisation européenne et s’installe à Tahiti. Il y rencontre Téhura. La jeune femme devient une source d’inspiration pour l’artiste. Il peint 70 tableaux en deux mois. Influencé par l'environnement tropical et la culture polynésienne, son œuvre gagne en force, il peint ses plus beaux tableaux, aussi bien des œuvres majeures (comme "D'où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?") que des compositions plus simples. Malheureusement la mort de sa fille préférée brise l’illusion de ce paradis. Il tente à nouveau de se suicider.
Il part en 1901 à Atuana, dans les îles Marquises, dans l’espoir de retrouver son énergie et son inspiration mais y meurt le 9 mai 1903, affaibli et fatigué.
Ses expérimentations sur la couleur et l'ensemble de son œuvre influencèrent nombre d'artistes, ouvrant de nouvelles perspectives à l'art du début du XXème siècle.

Sixtine PUTHOD

La famille

Aline Gauguin par Paul Gauguin, 1881

Cette sculpture a été réalisée en 1881 par Paul Gauguin.
Au-delà de ces talents de peintre, Gauguin s’essaya à plusieurs formes d’arts au cours de sa vie comme la gravure, la céramique, la sculpture ou encore l’écriture d’article et d’ouvrages illustrés.
Aline Gauguin, Paul Gauguin 
Ici, il représente, en buste, sa fille Aline de 4 ans sculptée en cire noire.
Pour que l’ensemble puisse tenir et être résistant l’artiste travaille sur une forme primaire en plâtre et armature métallique sur laquelle il vient poser la cire et la modeler. Gauguin a ici choisi de travailler à la main. On le remarque grâce aux traces de doigts volontaires laissées sur le buste. Cela permet de travailler rapidement, mais aussi d’évoquer très facilement des textures comme celle des cheveux. Il y a, dans cette façon de travailler la matière avec ses doigts, quelque chose de l'ordre de la création première, comme un dieu modelant dans l'argile le corps du premier homme. Là, Gauguin façonne dans la cire, la chaire de son fils. Pour mettre en valeur cette pièce, elle a été placée sur un socle en bois posé sur 4 pieds obliques. Elle est aujourd’hui conservée au Musée d’Orsay à Paris.
Le fait de choisir sa fille comme modèle n’est pas un hasard. La famille est quelque chose d'important pour l’artiste. À plusieurs reprises, il peint, dessine ou sculpte ses enfants comme s’ils étaient pour lui l’une de ces plus grandes sourcent d’inspiration.

Paul Gauguin - Dessins et sculpture du fils de l’artiste, Emile
Ce sujet de la famille adoré par l’artiste n’est pas sans nous rappeler certaines peintures d’un artiste de la même époque, Paul Cézanne. En effet à plusieurs reprises Cézanne utilise son père, son fils ou encore sa sœur pour créer des œuvres destinées à sa propre collection ou pour être vendu.
( de la gauche vers la droite ) Le fils, le père, la sœur et la mère de Paul Cézanne 
Avec ces 2 artistes, on peut voir que la famille et l’entourage du peintre jouent un rôle sur les œuvres d’un artiste. Étant des proches posant dans un cadre familier pour tout le monde, ils permettent à l’artiste de créer des ambiances plus intimistes dans ses toiles.
Mais ces peintures ou sculpture sont aussi un moyen de garder une trace de proches et de prouver tout l’amour que l’artiste leur porte.

Clément Moinardeau
Le gout pour l'art japonais
EVENTAIL AUX BAIGNEUSES 

L’Eventail aux Baigneuses de Paul Gauguin est une œuvre très peu connue. Il s’agit d’un éventail en papier, travaillé à la gouache, aux crayons de couleurs et au lavis. Il a été réalisé en 1887, sa date de réalisation est particulièrement intéressante car elle correspond à une période où de nombreux artistes impressionnistes (puis d’Art Nouveau) s’inspiraient de l’art Japonais. Cette influence est qualifiée de « japonisme », les premières œuvres Japonaises a avoir éveillé l’intérêt des artistes d’Europe de l’Ouest sont les porcelaines.
Le développement du « japonisme » commence véritablement à la suite de la réouverture du Japon (après la période d’isolation politique qui a eu lieu entre 1641 et 1853). Des collectionneurs d'objets d'art japonais montrent les œuvres qu'ils possèdent. Lorsque les premiers exemplaires d'estampes en Europe sont exposés à Paris en tant qu'œuvres d'art, l'art japonais compte déjà de fervents amateurs. Apparaissent alors en France beaucoup d’objets et d’œuvres inspirés du Japon, comme les estampes, les paravents et les éventails ! Gauguin s’est inspiré des éventails japonais pour créer divers éventails comme le "Paysage de la Martinique" et "L’éventail aux baigneuses" tous deux réalisés en 1887.

« Paysage de la Martinique »


« Eventail aux baigneuses » 19X40
Deux jeunes femmes sont représentées sur l’Eventail aux baigneuses. Au centre de l’éventail on voit une femme brune, de dos, nue, dont l’éventail vient pudiquement couper sa chute de reins. Cette femme s’appuie sur un rocher et semble se diriger vers un point d’eau, un lac ou la mer, on ne sait pas vraiment. On observe également un deuxième personnage dans le coin gauche de l’éventail, il s’agit une autre femme, blonde, nue également dont l’aperçoit juste le haut du dos, ses cheveux et son bras droit. La composition et le format de l’éventail créent un agencement très particulier de l’espace et des personnages. On devine tout juste le paysage et les deux baigneuses sont poétiquement représentées, avec une certaine pudeur. Peut-être est-ce pour que l’éventail puisse rester un objet que l’on utilise en public ? Ou bien au contraire pour attirer l’œil et dévoiler une partie de l’intimité de ses baigneuses ?
Le fait que l’on ne voit les baigneuses que de dos est également intéressant car nous les voyons mais elles ne nous voient pas, ce qui nous place dans la position d’un épieur. Or si l’on relie cette idée à la fonction de l’objet c’est plutôt comique, en effet l’éventail peut servir à se rafraîchir mais aussi à se cacher, on a donc l’idée de l’épieur qui ne veut pas être épié.

Lorenn Furic 


Le départ de Gauguin pour Pont-Aven

Paradis terrestre 

Gauguin - Emile Bernard - Meuble "Paradis terrestre" - 1888

Le Grand Palais consacre une grande rétrospective à Paul Gauguin. On y découvre de les différents univers de l'artiste et ses multiples approches : peintures, céramiques, sculptures, objets en bois, bois gravés, estampes et dessins. On peut aussi y retrouver ce Buffet dit du "Paradis terrestre" réalisé en 1888 conjointement avec Emile Bernard.
C’est cette même année, que les artistes sont à un moment charnière de leurs évolutions artistiques respectives. Ils se dirigent tous deux vers la synthèse conceptuelle et la synthèse formelle d'où naît une nouvelle façon de concevoir la peinture à Pont-Aven : le synthétisme se traduit par une suppression de tout ce qui n'est pas mémorisé après la visualisation, les formes sont simples et la gamme de couleur est restreinte. Ce buffet répond parfaitement à cette philosophie de pensée.
Cette pièce de mobilier réalisée en bois massif est constituée de la manière la plus simple existant à ce jour : pieds, traverses, panneaux. La partie la plus intéressante du meuble se trouve comme bien souvent sur la façade. Cette partie le meuble est composée de deux portes anciennement vitrées permettant de visualiser la vaisselle présente. On retrouve une traille de sculpture présent sur toute la face du meuble. Ces bas-reliefs représentent des scènes de vie. On peut distinguer des femmes à différentes échelles couvertes par un voile, mais aussi des scènes d’agriculture et d’élevage. Les personnage et animaux sont peints dans les teints marron/bleu. Les artistes ont choisi de se restreindre à une colorimétrie simplifiée.
On retrouve un mélange équilibré entre nature et scène de vie. L'idée d'intervenir plastiquement sur un meuble par la sculpture et la peinture est également intéressante et montre la volonté des deux artistes d'intégrer l'art dans l'espace quotidien et populaire. On peutpeut-être aussi y voir cette volonté de Gauguin d'impulser l'art dans la vie, ou de capter l'art de la vie pour retrouver une synthèse idéale…
Avec ce travail, on découvre une belle collaboration entre deux grands artistes du 19ème siècle.

Bastien Lafont

La naissance du Synthétisme

La Vision après le Sermon ou la Lutte de Jacob avec l'Ange 1888

La Vision après le Sermon ou la Lutte Jacob avec l'Ange, Paul Gauguin, 1888 huile sur toile, 73 x 91 cm, National Gallery of Scotland, Édimbourg © 
A une époque où le renouveau artistique s'exile vers Pont-Aven, lorsque la peinture en plein air - dite sur le motif - se développe grâce à l'apparition du tube de peinture en étain, apparaît l'essor de nouveaux mouvements artistiques tels que le symbolisme qui rompent les codes académiques dictés par le naturalisme ou le réalisme.
Vision après le Sermon, appelé aussi La Lutte de Jacob avec l'Ange, est incontestablement l'une des œuvres les plus connues de Paul Gauguin. Terminée en 1888, cette huile sur toile mesure 73 x 91 centimètres et est aujourd'hui exposée à la National Gallery of Scotland à Édimbourg. Le peintre, sous l'influence stylistique d'Emile Bernard, réalisa cette peinture lors de son deuxième séjour à Pont-Aven. Paul Gauguin peignit ce tableau pour en faire don à l'église de Saint-Amet de Nizon qui l'a refusé...
L'œuvre représente des paysannes bretonnes lorsqu'elles quittent l'église. Ayant entendu le sermon, elles ont une vision de la lutte entre Jacob et l'Ange. Cette vision est ici peinte comme un hallucination collective et fait référence à un récit biblique écrit dans la Genèse. Cet écrit raconte que pendant le retour de Jacob vers sa terre natale, il lutta avec un ange toute une nuit durant. Il se rendit compte de la nature de celui-ci seulement à l'aube. L'ange le bénit pour sa bravoure et lui donna le nom d'Israël (Fort contre Dieu en hébreux). Cela symbolise la lutte générale de l'homme pour atteindre la foi.
La composition fermée de la toile semble déséquilibrée ; on observe une absence de centre. Gauguin a aménagé deux parties distinctes : d'un côté de l'arbre la réalité avec les paysannes bretonnes et de l'autre un univers onirique avec la lutte biblique.
Les couleurs saturées sont fortes, surtout ce sol vermillon pur qui occupe une surface importante. Elles sont peintes par à-plats brossés délimités par des contours noirs prononcés.
L'espace abandonne les règles dictées par la Renaissance. Le modelé et les ombres portées sont quasi-inexistantes, les échelles ne sont pas respectées. Le peintre fait ainsi cohabiter sur un même plan des éléments de différentes échelles.
Ces jeux de couleur et de perspective ne sont pas sans faire penser aux gravures et estampes japonaises, qui intéressaient les artistes européens à cette époque. La scène de lutte, semblable à la lutte de sumos sur une peinture d'Okusai, peut aussi faire référence à la lutte bretonne.
Ce tableau est l'une des œuvres qui ont donné naissance au terme "synthétisme" pour désigner une branche de la peinture symbolique. Ce terme permettra aux peintres post-impressionnistes de distinguer leurs œuvres des impressionnistes. Caractérisé par de larges aplats colorés et des formes délimitées par des contours, ce style adopte des compositions très décoratives.
Pour le peintre, le paysage et la lutte n’existe que dans l’imaginaire collectif des femmes du premier plan. Gauguin mélange ainsi la réalité objective d’une scène de la vie du village de Pont Aven avec un récit biblique. Cette construction faisant cohabiter réalité et mysticité fait de la toile un archétype des tableaux symbolistes. C'est aussi une œuvre où l'on retrouve ses inspirations exotiques (Japonaises par exemple) et marque le début du synthétisme. En écartant les conventions académiques, on peut dire que Paul Gauguin fait aussi un pas vers l'art moderne.

Malo Sahores


Le déménagement de Gauguin chez Van Gogh à Arles

Paul Gauguin, Vendanges à Arles, 1888. 

Je ne suis pas sensible à la peinture de Gauguin, mais force est de constater que cette toile issue de la période de la maison Jaune, où Van Gogh et lui vécurent ensemble en Arles, suscite mon intérêt.
Paul Gauguin, Vendanges à Arles, 1888
28 octobre ; C’est au détour d’une promenade faite à Montmajour, au Trébon, à quelques kilomètres d’Arles et non loin du moulin de Fontvieille, que Paul Gauguin accompagné de Vincent Van Gogh voit, soleil couchant, les vignes rouges, rouges comme du vin rouge. Van Gogh écrit dans une lettre destiné à son frère Théo : "Il est en train de peindre des femmes dans une vigne, absolument de tête". Le 6 novembre, la toile est finie. Les vignes pourpres à l’arrière plan forment un triangle. A gauche, une bretonne du Pouldu en noir. Derrière, deux bretonnes baissées en robe bleue et corsage noir. Au premier plan, une pauvresse aux cheveux oranges, à la jupe de terre verte et à la mine découragée est la synthèse extrême de la misère humaine.
Fait de gros trait, aux tons presque unis et aux formes géométriques accolées Gauguin donne aux vendanges arlésiennes une allure fantastique en juxtaposant à ces dernières des femmes bretonnes coiffées de penn sardin. Paul Gauguin se soucie de l’exactitude comme d’une guigne. Au diable la réalité, il transmet ses émotions, son vécu, son ressenti. Il arrange ce qu’il voit, et surtout il peint de mémoire. On soupçonne alors que les prémisses de l’expressionnisme surviennent chez Gauguin à l’égard de ce décor lumineux composé d’aplat pourpre et jaune. Van Gogh et Gauguin entreprennent un travail de mémoire, se rappelant les couleurs particulières vigne, car la vigne abandonne très tôt son feuillage flamboyant de l’automne et s’installe dans un repos hivernal dès novembre, ainsi le tableau de Gauguin n’a pas le luxe du détail, il s’agit d’une synthèse de la mémoire, exercice auquel Gauguin est habitué. Un air plus artistique assaini ce tableau plein de mystère à l’instar de cette pauvresse au regard énigmatique, à la posture infantile, arborant des traits primitifs, sorte de momie péruvienne.

Vincent Van Gogh - La Vigne rouge - 1888

Là où Van Gogh exagère la réalité dans les Vignes rouges, une espèce de faux jumeau au Vendages à Arles, Gauguin l’a simplifie. Les deux artistes durant ces quelques semaines dans la maison jaune ne cesseront de s’étudier, de se disputer, de se jalouser, jusqu’à s’affronter produisant des étincelles de génie et finissant par une oreille tranchée.

Marin CHOMIENNE

Le retour de Gauguin à Paris

Pot anthropomorphe de Gauguin

« Les petits produits de mes hautes folies »
Gauguin exprime ses rêves à travers des personnages réels ou imaginaires. Ses figures façonnés sculptées et peintes renvoient à l’univers si singulier de l’artiste. Fasciné par le travail du céramiste Ernest Chaplet qu’il rencontra dans les années 80, il commença à porter un grand intérêt au façonnage du grès et à la manière de production. Au côté de Chaplet il apprit les méthodes de réalisations et les techniques afin de se les approprier et dans faire ce qu’il veut. Ainsi, il put complètement s’abandonner dans ce processus créatif qui remplit excessivement son atelier parisien tout en espérant pouvoir gagner de l'argent avec les pots qu'il compose en 1887.
« J’ai été le premier à lancer la céramique sculpture… » Affirme Gauguin dans une lettre à Vollard du 25 août 1902.
Le céramiste Ernest Chaplet a beaucoup compté dans le travail de Gauguin il et d’ailleurs l’un des protagonistes de la redécouverte des vernis « orientaux » fortement réutilisé par Gauguin. La démarche de Gauguin est assez proche de celle d'Ernest Chaplet, puisqu’il s’engage à cette époque dans une voie nouvelle.
Le grès est de la terre cuite à très hautes températures, elle durcit et prend cette couleur marron parfois grise. La terre est plus facile à manipuler que le bois, elle est facile à façonner, à courber et s’anime ainsi au creux des mains de Gauguin.
Ces créations s’inspirent non seulement du travail d’Ernest Chaplet qui lui-même s’inspire de la céramique japonaise, mais aussi des civilisations raffinées des Incas, qu’il met en confrontation avec la culture bretonne. Civilisation française et péruvienne, deux cultures opposées mais dont la force de caractère s'hybride par le façonnage musclé de Gauguin. On ressent les creux, les endroits où il a travaillé la matière où il a appuyé avec plus de force. Il fait naitre des formes primitives qui nous font ressentir de fortes émotions à travers les visages que l’on discerne. Il donne forme aux regards glaçant, on a comme l’impression d’y voir une sorte de souffrance, de sauvagerie animale. L’artiste c’est notamment représenté dans un de ces pots anthropomorphes. Ce pot, nous donne un portrait grimaçant de l’artiste. Il peut déranger car ce visage difforme semble souffrir comme ci le feu qui d’un côté lui a permit de se durcir, l’avait de l’autre côté réellement calciné lors de son passage.

Paul Gauguin - Pot anthropomorphe - 1887
Régulièrement Gauguin introduisait ses céramiques dans ses tableaux comme notamment dans son autoportrait, le Portrait au Christ jaune. Il se représente devant le christ jaune de Trémalo et un pot-autoportrait. Ce pot représente à ses yeux l’expression la plus véritable de sa personnalité en tant qu’artiste, un artiste tourmentée à la vieille de son départ à Tahiti.

Blanche Justeau



Le Portrait au Christ Jaune – Gauguin, 1889

Le Portrait au Christ Jaune – Gauguin, 1889
"Ce que je désire c'est un coin de moi-même encore inconnu" Gauguin.

L’autoportrait au Christ Jaune est une huile sur toile peinte par Gauguin en 1889. Cette toile est conservée au Musée d’Orsay à Paris.
La première impression à la vue de cette œuvre débute par des questionnements : quel est le lieu où se trouve l’artiste ? Est-il fictif ? Ou plutôt réel ?
On remarque que le tableau est composé en trois parties. A gauche se trouve la partie la plus lumineuse qui comporte exclusivement du jaune et qui représente le Christ, au centre l'autoportrait de l'artiste de trois quarts, et enfin à droite, une poterie peu éclairée où semble apparaître un visage.
L’arrière-plan, divisé en deux parties, est une mise en abime qui se manifeste par l’incrustation d’une oeuvre à l’intérieur d’une autre. Effectivement, Gauguin se représente devant son tableau Le Christ Jaune de Trémalo, peint quelques mois plus tôt, et un pot façonné pendant l'hiver 1889 qu'il reproduit d'après une photographie. A plusieurs reprises, Gauguin a introduit ses céramiques dans ses tableaux où elles figurent comme des objets utilitaires du quotidien : vase à fleurs ou coupe à fruits. C’est donc à la manière de Poussin, qui se représenta lui aussi devant ses œuvres au 17ème siècle, que Gauguin réalise son autoportrait.
Au centre, le portrait est traité avec des couleurs froides (il y a une forte dominante de bleu et de violet), et un contraste clair/obscur ou ombre/lumière important. Son front est d’ailleurs mis en valeur par une projection de lumière.
A sa gauche, se trouve le christ que l'on peut voir comme un deuxième autoportrait du peintre. Traité en aplats à la manière du cloisonnisme, c’est une image de sa souffrance sublimée. Il se représente sacrifié, crucifié, finalement incompris et critiqué par le milieu de la peinture, abandonné par sa famille. Il ne trouve pas sa place dans le monde moderne de Paris. Cependant, les bras et le corps du crucifié encadrent d’un geste protecteur la tête de l’artiste, qui s’est vivement intéressé à la vie et au sacrifice du Christ.
A l’opposé, à droite, ce pot en forme de tête grotesque, cloisonné dans un fond noir, isolé du reste de la toile, incarne à ses yeux l'expression la plus aboutie de sa personnalité artistique, tourmentée et maudite.
On observe un jeu de regard essentiel à la bonne compréhension de l’œuvre. Le visage de l'artiste est comme fracturé par la différence étrange entre les deux yeux : à chacun correspond une partie du tableau. L’œil de gauche porte un regard froid et douloureux, on y sent le reproche et un peu de mépris, l’autre est aigu, violent avec une note de folie.
Finalement, monstre et martyr, l'artiste se présente comme un homme blessé et néanmoins déterminé, illustrant ainsi sa volonté de continuer son combat artistique. Mais il n’est pas heurté seulement par son insuccès et sa solitude, il conteste le bien-fondé de cette société toute vêtue de noir, et plus profond encore la civilisation Européenne qui colonise et détruit tout univers qui n’est pas le sien. Le Portrait de l'artiste au Christ jaune fait ainsi écho au projet d'art total revendiqué par l'artiste et à l'affirmation de sa nouvelle personnalité à la veille de son départ à Tahiti.

Eugénie Le Mauff


Les séjours de Gauguin en Polynésie

Aha Oe Feii (Eh quoi ! Tu es jalouse ?) 1892


En 1981, ruiné et lassé de la société dans laquelle il vit, Gauguin part en Polynésie, où il passera le reste de sa vie (ne rentrant qu’une fois en France). Il peindra une grande partie de ses œuvres dans ces contrées lointaines, inspiré par l’environnement exotique, la culture des iles et son quotidien.

Paul Gauguin - Aha Oe Feii (Eh quoi ! Tu es jalouse ?) 1892 
Aha Oe Feii, peinte à Tahiti en 1892 et aujourd’hui exposée au musée Pouchkine de Moscou, est une huile sur toile de 68x92cm. C’est une des oeuvres les plus connues du peintre, qu’il réalise dans ses premières années polynésiennes. Cette peinture, où se croisent sensualité et spiritualité, représente deux femmes étendues dans un état méditatif. Le personnage au premier plan, à la peau plus foncée, semble observer avec envie le personnage au second plan, à la peau orange caressée par le soleil. La spatialité du tableau est incroyablement poétique, où un sol rose disparait dans une eau aux reflets inattendus. L'œuvre met ainsi en scène deux polynésiennes dans un décor tropical, et transmet au spectateur un état d’esprit de sérénité et de contemplation.
Analyse de l’œuvre :
La vue en plongée ne laisse aucune profondeur de champ, offrant une composition fermée cadrée sur les deux personnages. Ce cadrage serré s’accompagne d’une composition simple où deux diagonales se croisent : ces lignes fortes, composées par le rivage et l’axe du regard de la femme au premier plan se dissipent dans les couleurs puissantes et inattendues que Gauguin choisit pour ce tableau : du rose, du marron et des couleurs ocres d’ou émergent des pointes de rouge, de vert et de bleu. La lumière puissante et naturelle du soleil met en exergue ces couleurs vives et représentatives du style postimpressionniste de l’artiste, qui sont traitées par de de larges aplat aux courbes dansantes.
Une oeuvre à critiquer ?
Le personnage en arrière plan est peint d'après modèle : une polynésienne pose à deux reprises pour ce tableau. Teha’amana, âgée de 13 ans, est aussi la femme de Gauguin. Décalage culturel, époque archaïque ou génie incompris, la pédophilie de Gauguin mise en couleur dans ses toiles ne semble choquer personne. C’est pourtant un élément important de le vie de l’artiste, sur lequel beaucoup de ses oeuvres se basent.
Aha Oe Feii est ainsi une œuvre blâmable par l’histoire qu’elle narre, mais illustre une partie de la vie de Paul Gauguin. Cette peinture séculaire et intemporelle est une des plus représentatives de la période postimpressionniste.

Louis Richard Marschal

TERRE DELICIEUSE 1893-1894

Paul Gauguin, Nave Nave Fenua (Terre délicieuse), gravure sur bois, 1893-1894, bibliothèque de l’INHA. 


Nous connaissons souvent Gauguin pour son importance au sein du mouvement symboliste et ses toiles aux couleurs très vives. L’artiste a pourtant réalisé d’autres types d’œuvres telles que les gravures sur bois qui ont été plus rarement exposées.
Quelques années avant sa mort - de 1889 à 1903 - , il s’initie aux techniques de l’estampe et produit trois séries majeures (toutes les trois très différentes) : la suite Volpini qui raconte son séjour en Bretagne, la suite Vollard qui constitue la synthèse de tout son travail plastique et enfin la série Noa Noa, dont l’œuvre « Terre délicieuse » fait partie.
Il réalise cette série au retour de son premier voyage à Tahiti.
Cette série de 10 gravures sur bois, telles que Terre Délicieuse était destinée à illustrer le manuscrit du même nom écrit par l’artiste, lui-même. En réalisant ce projet, Gauguin souhaitait "rattraper" le mauvais accueil qu’avaient reçu ses premières toiles à Tahiti. Ce manuscrit n’a malheureusement jamais été publié sous cette forme.
Réalisation et signification
Gauguin réalise cette série à Paris, avant de repartir en Polynésie. Si les premières estampes furent encrées par ses soins, les suivantes furent effectués par Louis Roy. On rapporte que le résultat ne lui convint pas. Les tirages de Roy étaient en effet "trop professionnels", trop lisses et manquaient alors cruellement d’émotions, et surtout, de noirceur. En effet l’artiste, aimait jouer avec ces effets de forts contrastes, grace à cette technique de gravure. Ce que nous remarquons dans cette série, est aussi l’importance qu’accorde Gauguin à la population indigène dans ses représentations de paysage. La figure de femme est d’ailleurs extrêmement présente sur nombreuses de ses gravures. Femme qu’il associe à l’Eve Biblique avant le pêché originel. Celle-ci personnifie la pureté et l’exotisme qu’il espérait trouver à Tahiti. Cette figure féminine est inspirée de " Evades" (Déesses) cambodgiennes sculptées sur les murs de temple. A travers cette "Eve exotique" et la noirceur de ses gravures, l’artiste souhaite en quelque sorte montrer sa déception face à l’européanisation des territoires ou il séjourne.
Sur la gravure Terre Délicieuse, nous pouvons aussi observer un grand nombre de motifs (feuilles, natures, glyphes, etc...) que l’on retrouve dans plusieurs de ces oeuvres de manières plus ou moins déclinées. Dans un article, on nous explique que l’artiste puisait ceux-ci dans ses collections de photos qui lui servaient alors de musées imaginaires. Motifs que nous retrouvons dans l’oeuvre Nave Nave Fenua (Terre Délicieuse en Français) et qui constituent le fond de la gravure. Pour la plupart ce sont des motifs végétaux, qui constituent le paysage mais quelques symboles plus géométriques sont présent sur la gauche et cadre la scène d’une certaine manière. On y retrouve la présence d’importants contrastes entre le noir et des couleurs plus chaudes comme le orange ou le jaune. On retrouve une figure féminine nue, présente dans la plupart des gravures de cette série. Le paysage et « l’Eve » exotique constitueraient alors l’image que pouvait se faire Gauguin de Tahiti. Et la noirceur de ce paysage viendrait donc le rendre moins plaisant.

Julie Barbin 


Noa Noa « parfumé » ou « odorant » en Tahitien 
Paul Gauguin - Noa Noa
Paul Gauguin rédige un journal dans lequel on retrouve le récit de ses expériences en Polynésie, parsemé d’illustrations. Tel un carnet de bord, le livre retrace les passions de l’artiste, de son amour pour la nature en passant par la découverte du peuple Maori et d’une femme: Tehura.



Paul Gauguin - Noa Noa

Paul Gauguin - Noa Noa
L’artiste, au Fenua (territoire polynésien ), cherche à côtoyer le Tahiti traditionnel et s’éloigne donc ce la capitale Papeete pour s’enfoncer plus profondément dans les montagnes. Il consacre l’essentiel de son temps à la peinture et à l’écriture et crée des liens avec la population « sauvage » comme on l’a nomme alors à Paris. Il apprend petit à petit les rouages de la société Polynésienne, la langue et un mode de vie en symbiose avec la Nature.
Estimant sa première compagne, une métisse anglo-tahitienne nommée Titi, encore trop civilisée, l'artiste la quitte pour une jeune fille, native de l'île, âgée de seulement treize ans et demi, Tehura, figure centrale du manuscrit . C’est cette jeune polynésienne, qui l’aidera à son intégration et le renseignera sur les rites religieux ou les rites cannibales, sacrifices humains, mariages traditionnel… Gauguin se caractérise tel un être civilisé à la découverte de sa nature sauvage.
« Pourquoi êtes-vous allé à Tahiti ?
— J'avais été séduit une fois par cette terre vierge et par sa race primitive et simple ; j'y suis retourné et je vais y retourner encore. Pour faire neuf, il faut remonter aux sources, à l'humanité en enfance. L'Eve de mon choix est presque un animal ; voilà pourquoi elle est chaste, quoique nue. Toutes ces Vénus exposées au Salon sont indécentes, odieusement lubriques… »

Paul Gauguin - Noa Noa
Gauguin souhaite éditer son ouvrage pour la société Parisienne « civilisé » mais n’étant pas du métier il organise la réécriture et la remise en forme de son récit en collaboration avec son ami Charles Morice poète et journaliste. Il lui demande de réécrire, de retravailler, d'augmenter son édition de sa propre vision même si celui-ci ne connait pas l’île. Le résultat est décevant pour Gauguin qui jugea l’intervention de Morice alourdissante et lui demande d’arrêter cette collaboration.
Mais le charme de l’ouvrage est incroyable, mêlant textes et illustra­tions, photographies aquarelles, monotypes, bois gravés coloriés. Au sein de ce carnet ,on comprend ses ressentis, ses inspirations, ou ses aventures avec de jeunes polynésiennes. C’est un récit qui permet de comprendre pleinement la peinture de l’artiste, son approche des couleurs, des paysages et des femmes maories..
Oublié dans un grenier pendant plus de quarante ans, le premier manuscrit qui ne porte encore aucun titre, restera longtemps ignoré. C’est ce premier carnet de bord qui est gardé par la suite comme référence authentique.




Tehura (tête de Tahitienne) 
Paul Gauguin, Tehura (tête de Tahitienne) Musée d'Orsay - entre 1891 et 1893, 22 x 8 x 13 cm - masque en bois de pua polychrome  
Cette sculpture est le visage d’une Tahitienne. On y reconnaît des traits particuliers : des lèvres épaisses, des paupières et des yeux sombres peints en noir. Dans ses cheveux on peut voir des fleurs au pourtour doré. La sculpture a l’air lisse et brillante elle est faite en bois de pua polychrome.
Mais qui est ce visage inconnu ?
Tehura, ou de son vrai nom Teha'amana, est la compagne et le modèle de Paul Gauguin entre 1892 et son retour en métropole. Elle a été pour lui une grande inspiration, on la retrouve dans de nombreuses peintures comme « Femme à la fleur » datant de 1891 ou bien « eha'amana a beaucoup de parents » œuvre de 1893.



De l'autre côté du masque



A l'intérieur du masque, Gauguin sculpte une autre scène, installant dans la tête de son modèle une femme dans un décor stylisé, "Eve exotique" dans un jardin exotique, proposant un double sens, une double approche de son œuvre.
Contexte de l’œuvre
Gauguin vécut les derniers mois de sa vie à Tahiti puis aux îles Marquises. C’est en observant et en étudiant la culture polynésienne que, peu à peu, il se l’approprie. En se confrontant à cette nouvelle culture, Gauguin recherche les origines cherchant la partie "sauvage" de l’homme.
Une inspiration dans des domaines variés
Le masque a fasciné les créateurs dans des domaines bien variés. Compositeurs, cinéastes et écrivains se sont laissés envoûter par l'imaginaire que le masque crée et cache dans le même temps. Concerts, spectacle lyrique, films et conférences contribuent à rendre compte de cet impact.
Charlotte KAPLAN



Oviri – Paul Gauguin (1894)

Trois ans après son arrivée en Polynésie, en 1894, Gauguin crée la sculpture « Oviri » et la complète durant son retour en France en 1895 pour la présenter au salon de la Société Nationale des Beaux-Arts. Cependant, son œuvre ne sera pas très appréciée par ses contemporains, et il sera expulsé de l’exposition, puis réintégré suite aux menaces de Chapelet, céramiste ayant formé Gauguin, de se retirer de l’exposition lui aussi. C’est en 1897 que Vollard, un marchand d’art et galeriste français, proposera à Gauguin de couler ses sculptures en bronze. En réponse, l’artiste se centrera essentiellement sur sa « Tueuse » (surnom qu’il donne à sa sculpture Oviri) qu’il considère comme sa plus grande œuvre. Il demandera d’ailleurs à un ami qu’on appose cette sculpture sur sa tombe à sa mort, ce qui sera fait bien plus tard avec un des moulages en bronze.
Oviri – Paul Gauguin (1894)
Oviri est un personnage créé par Gauguin : il s’agit d’une jeune fille ne correspondant pas aux stéréotypes de la beauté féminine de l’époque et les remet ainsi en question. Elle possède une longue chevelure allant jusqu’au sol et une tête disproportionnée par rapport au reste de son corps. A l’arrière de sa tête il y a une fente rappelant que cette sculpture a été conçue comme un vase. La jeune fille est au dessus du corps d’une louve, qui elle-même écrase son louveteau.
Pour la réalisation de sa sculpture, Paul Gauguin fait preuve d’audace en recouvrant partiellement l’œuvre d’émail : Il épargne en effet la jeune fille, qui, contrairement au reste de la sculpture, reste mate. Il appose de manière imprécise du jus d’émail blanc sur ses cheveux, et du rouge à ses pieds, accentuant la violence de la scène.
Plusieurs interprétations ont été proposées. Oviri évoque les légendes tahitiennes et les thèmes de la mort et de la superstition. Sa longue chevelure suggère, selon les idées reçues de l’époque, qu’Oviri est une femme séduisante, sauvage et dangereuse. En effet, le nom d’Oviri provient d’Oviri-moe-aihere, le dieu de la Mort et du Deuil dans la mythologie tahitienne.
Ceci pourrait faire écho avec les objectifs de Gauguin, comme celui de renouer avec un état de nature primitif nécessaire à l’acte de création et passant par la destruction du moi civilisé. Ainsi, l’artiste matérialiserait à travers Oviri son envie de renouveau.
La forme de la fente qui se situe derrière la tête de Oviri peut faire écho au fait que l’artiste contracte la syphilis durant la période de réalisation de l’œuvre, en évoquant une forme vaginale. Cette hypothèse vient renforcer l’idée qu’Oviri incarne à la fois la féminité, la maternité, mais aussi la mort.

Virginie Lelièvre

« L’au-delà » de GAUGUIN 1898

Paul Gauguin - D’où venons-nous ? Que sommes nous ? Où allons-nous ? 
Paul Gauguin avait pensé cette toile comme l’ultime de sa carrière, avant le tombé du rideau. En effet, affaibli et souffrant, il travailla « jour et nuit dans une fièvre inouïe » pour mettre en œuvre son testament pictural, à la suite duquel il planifiait de se suicider.
Réalisée entre 1897 et 1898 à Tahiti, il s’agit là d’une sorte d’immense fresque mesurant 1,39 m de hauteur sur 3,74 m de longueur. Ces dimensions permettent d’apprécier la vaste scène de nature exotique avec des corps nus ou presque, amenant des touches chaudes sur la toile. Sur les coins supérieurs de l’œuvre, on observe des aplats de couleur jaune tels des morceaux disparus d'une fresque appliquée sur un mur. Le titre est d’ailleurs indiqué dans l’aplat de gauche : « D’où venons-nous ? Que sommes nous ? Où allons-nous ? », trois questions existentielles auxquelles l’Homme ne sait répondre avec certitude mais dont Gauguin illustre les propos de droite à gauche : l’origine de la vie avec les trois femmes et le nouveau-né, le quotidien des jeunes adultes au centre, l’approche de la mort avec la femme âgée qui attend son heure. La composition donc du tableau emmène le regard du spectateur le long du cycle de la vie ; de l’enfance à la vieillesse ou bien de la naissance à la mort. Ce schéma a pour point de départ la statue bleue en arrière-plan, symbolisant « l’au-delà ». En effet, ses mains tournées dans des directions opposées s’apparentent au début et à la fin du cycle de la vie ; et le fait de lire la toile dans le sens des aiguilles d’une montre « symbolise l’écoulement inéluctable du temps ». Le temps qu’il ne reste plus à Gauguin, d’où son testament artistique, qui se manifeste au sein de sa toile à travers les divers personnages et motifs peints auparavant, qu’il a rassemblé et organisé. On retrouve par exemple la vieille femme dans le tableau « Eve bretonne », l’enfant dans « Jours Délicieux » ou encore l’homme central dans « l’Homme à la hache ».

détail

Marie BREUILLON-GRISEZ 



Gauguin aux Iles Marquises

La maison du jouir et non par plaisir ... 



Un paysage de vacances, de la verdure, des maisons naturelles et écologiques, un panorama de folie, c'est maintenant la dernière maison ou vécue Paul Gauguin que j'analyse aujourd'hui.



Il a vécu les derniers mois de sa vie à Atuona, aux îles Marquises. Ornant la porte de la grande case sur pilotis en bois, palmes et bambous, qui fut sa dernière demeure, d'un ensemble de panneaux sculptés en taille directe, dans du bois de séquoia. Les trois panneaux horizontaux portent des inscriptions révélatrices de la quête d'un âge d'or primitif qui habita l'artiste jusqu'à la fin de sa vie: la case s'intitule, non sans provocation, "Maison du Jouir", alors que les deux panneaux du soubassement semblent préciser les conditions de cet éden : "Soyez mystérieuses" et "Soyez amoureuses et vous serez heureuses". Ces paroles amenant à une réflection profonde qui mène à dire une chose plus tôt paradoxale : comment être amoureux et heureux en étant mystérieux ?
Les nus et les bustes féminins qui illustrent ces devises, formes massives et sereines, sont sculptés en entailles rugueuses et incisives, mélangés à des animaux et des végétaux. Tout ceci ramené à décrire le paysage dans le quel se trouve la case, de la nature, du bon air et un peu de paysage de vacances.
La naïveté voluptueuse de ce décor marque la naissance d'une esthétique primitivisme qui connaîtra au XXe siècle de brillants développements avec Matisse, Derain, Lhote et Picasso.

Anthony Ménégon 

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